Salon de l’automobile : lettre ouverte à sa Majesté le Roi

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Sire,

Le 11 janvier dernier, comme de coutume, vous inauguriez le Salon de l’automobile qui vient de se clôturer sur le bilan de 542.566 visiteurs. « Succès total » pour le secteur qui « constate une nouvelle fois avec plaisir l’attachement indéfectible témoigné par le public belge envers les solutions de mobilité individuelle »[[FEBIAC, Succès total pour le 96e Brussels Motor Show – Communiqué de presse, 21/01/2018]]. En tant que fédération représentant 150 associations environnementales, Inter-Environnement Wallonie travaille depuis de nombreuses années à la promotion de solutions de mobilité durables. C’est à ce titre que nous aimerions cerner et appréhender les motivations de votre présence officielle à l’inauguration d’un Salon que ses organisateurs qualifient de « grand-messe de l’automobile ».

Indéniablement, le Salon constitue un moment fort pour un secteur économique qui participe de manière significative au PIB du pays. Cela étant, il se trouve que ce secteur produit et met en vente des biens de consommation dont les incidences sur l’environnement, la santé humaine et l’intégrité physique des personnes sont loin d’être anodines. 732 personnes ont perdu la vie sur les routes belges en 2015 (et 4.201 y étaient gravement blessées, dont la plupart garderont des séquelles à vie)[[IBSR, 8 personnes sur 10 blessées dans un accident de la route ne s’en remettent jamais complètement, Communiqué de presse, 20/11/2016]]. Plus de 2.400 personnes décèdent chaque année des suites de la pollution de l’air induite par le trafic routier. Des milliers de victimes en souffrent quotidiennement, au premier rang desquelles les publics vulnérables : personnes atteintes de maladies respiratoires, enfants, personnes âgées. L’exposition au bruit routier induit plus de 200 morts par an et dégrade fortement la qualité de vie de milliers de personnes. Ceci sans compter les effets délétères du manque d’activités physiques qu’induit une utilisation excessive de la voiture.

Les incidences négatives du trafic routier s’expriment aussi en termes de congestion, consommation d’énergie, émissions de gaz à effet de serre, accaparement de l’espace public, utilisation de ressources naturelles et génération de déchets, …

La voiture rend d’indéniables services à de nombreuses personnes. L’organisation actuelle de nos sociétés impose son utilisation à beaucoup de citoyens créant, notamment par l’aménagement du territoire, une véritable « dépendance automobile ». Pour soutenir et renforcer cette dépendance, le secteur automobile présente la voiture non comme un objet utilitaire, mais comme un objet de fantasme, évitant toute allusion à ses nombreuses incidences négatives. Il dépense à cet égard des moyens financiers plus que conséquents en annonces publicitaires pour présenter la voiture sous son plus beau jour : « Rebonjour pulsation », « Belle et rebelle », « Ne laissez personne indifférent »,… Ces quelques slogans glanés dans le catalogue officiel du Salon suffisent à s’en convaincre.

Ainsi, au fil des décennies, la voiture a acquis un statut unique, que ne connait aucun autre bien de consommation. En Belgique, une sorte de consensus social fort positif prévaut au sujet du Salon vu comme un événement convivial, sympathique, bon enfant, une occasion de sortie en famille. A notre estime, votre participation à l’inauguration du Salon contribue à renforcer cette image très orientée d’un événement qui est avant tout – et c’est normal – commercial et dont l’objectif premier est de booster les ventes du secteur. Le succès du Salon a notamment pour conséquence un accroissement du parc automobile. En 1996, l’OCDE estimait déjà que les transports n’étaient pas durables et le devenaient de moins en moins. En cause notamment l’augmentation du parc automobile, de l’utilisation des voitures et de leur puissance[[OECD. 1997. Towards sustainable transportation – The Vancouver conference. Paris: OECD Publishing, p. 7]]. Depuis la mise en garde de l’OCDE, ces tendances se sont renforcées.

Le secteur de l’automobile a par ailleurs largement fait la preuve de son amoralité. Notamment par les pratiques de tricherie en matière d’émissions polluantes révélées par le scandale du dieselgate. Mais également à travers un plaidoyer incessant pour affaiblir et retarder l’entrée en vigueur des législations visant à protéger la santé publique. Ces pratiques ont été soulignées par la Commission d’enquête EMIS du Parlement européen. Le secteur ne les a pas abandonnées suite au dieselgate[[European Parliament. 2017. Report on the inquiry into emission measurements in the automotive sector (2016/2215(INI)), p. 5, 8-9]]. Ou encore en développant, tout en déclarant que ces véhicules sont « verts », des modèles toujours plus lourds, plus puissants, plus rapides, plus agressifs et au design inspiré de celui des « 4X4 ». Or, ces modèles sont – le secteur ne peut l’ignorer – plus incidents en termes d’insécurité routière et d’impacts environnementaux. C’est pour contrer cette dernière tendance que notre Fédération a développé, en collaboration avec d’autres partenaires, au premier rang desquels des associations de victimes de la route, le projet LISA Car (light and safe car)[[Voir à ce sujet le dossier LISA Car disponible sur www.lisacar.eu]].

Il est des moments, dans l’histoire des sociétés humaines, où il convient d’introduire de véritables ruptures. Si cela pouvait être envisageable au début du siècle passé, imagine-t-on le Roi des Belges inaugurer aujourd’hui un hypothétique Salon de la cigarette ? Non, en la matière, la rupture nécessaire a eu lieu. Si nous voulons aujourd’hui répondre à l’appel lancé par l’OCDE il y a plus de 20 ans et migrer vers un système de transport durable, la rupture qu’il est indispensable de mettre en place est la sortie du « système automobile ». Ce qui nécessite de porter un regard lucide, sans concession, sur l’objet voiture et de le remettre à sa juste place : un moyen de mobilité utile mais qui génère aussi d’importantes incidences négatives. D’autres modes de déplacement (transports publics, marche, vélo) présentent un bien meilleur bilan mais ne jouissent pas de la même aura que l’automobile.

La présente n’a d’autre objectif que de vous proposer des éléments d’information et de réflexion trop peu connus, trop peu débattus et qui sont de nature, pensons-nous, à pouvoir alimenter utilement votre prise de décision face à de futures sollicitations du secteur automobile.

Nous serions bien évidemment très honorés de pouvoir vous rencontrer afin d’en discuter. A défaut, nous espérons pouvoir vous lire.

Daigne Votre Majesté agréer l’expression de notre profond respect

Christophe SCHOUNE, Secrétaire général

Vous trouverez ICI une interview télévisée relative à cette lettre à sa majesté le roi.

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