Semaine sans pesticides: quelles suites politiques ?

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Du samedi 19 au mercredi 30 mars, la Wallonie a vécu au rythme de la « Semaine sans pesticides ». De multiples actions ont permis de sensibiliser le public aux dangers de l’utilisation de ces substances chimiques et de promouvoir des alternatives naturelles.
Le politique n’a, de son côté, pas manqué de profiter de cette opportunité de visibilité pour… communiquer. Le ministre Lutgen s’est ainsi exprimé dans divers médias (Le Soir du 19 mars 2011, le Jardin extraordinaire), mais le sens de ces interventions nous a quelque peu étonné.
Les pesticides furent également à l’ordre du jour du CFDD (Conseil fédéral du développement durable) qui doit remettre deux avis sur deux projets d’Arrêtés Royaux. L’un concerne le futur plan d’action national (NAPAN) et l’autre la mise en place d’une phytolicence pour les utilisateurs professionnels et les vendeurs de produits phytopharmaceutiques.
Cette semaine fut aussi l’occasion de remettre aux devants de la scène quelques dossiers emblématiques. Les abeilles, qui sont depuis un certain temps au centre des préoccupations du fait de leur particulière sensibilité aux substances chimiques, se font en quelque sorte arnaquer par des spécialistes fort peu précis et ne verront probablement pas leur sort s’améliorer rapidement. Enfin, la sortie du livre de Marie-Monique Robin « Notre poison quotidien » aura été l’occasion de se réinterroger sur l’épineuse question de la (non) transparence du secteur, notamment concernant les chiffres de mises sur le marché des substances actives de pesticides. Et là, nous vous proposons un scoop !! Reprenons…

La sensibilisation en cache-sexe de l’inaction politique

[[Nous reprenons ici la quasi intégralité du communiqué de presse envoyé par la Fédération le mercredi 30 mars, dernier jour de la Semaine sans pesticides.]]

S’exprimant dans plusieurs médias à l’occasion de cette « Semaine sans pesticides », le ministre Lutgen a fait connaître son souhait de voir les compétences en matière de « normes de produits » régionalisées. A l’en croire, cette réforme permettrait de rendre moins aisée la commercialisation des pesticides sur le marché wallon, ce pour le plus grand bien de la santé et de l’environnement.

La proposition ministérielle apparaît tellement irréaliste qu’elle relève davantage de l’effet d’annonce appelé à rester sans lendemain que d’une réelle volonté politique. La régionalisation évoquée impliquerait en effet que chaque région doive se prononcer avant la commercialisation d’un produit sur son territoire ce qui conduirait de facto à l’existence de trois marchés différents en Belgique ! On imagine assez l’absurdité de pareille situation…

On peut par ailleurs s’interroger sur l’impact positif que la mesure serait censée avoir sur la protection de l’environnement et de la santé en Wallonie. Le ministre affirme qu’elle s’en trouverait renforcée mais c’est loin d’être évident au regard des politiques menées en cette matière des deux côtés de la frontière linguistique. Ainsi, l’utilisation des pesticides sur les espaces publics est une compétence régionalisée depuis la loi spéciale du 8 août 1980. Mais alors que la Flandre se dotait dès 2001 d’un cadre strict pour arriver à une interdiction pure et simple en 2014, la Wallonie reste aujourd’hui encore en attente d’une législation devant remplacer un arrêté du gouvernement wallon de… 1984 qui régit l’utilisation des herbicides sur les espaces publics mais néglige insecticides et fongicides.

Pour Inter-Environnement Wallonie, une opération comme la « Semaine sans pesticides » ne peut servir de cache-sexe de l’inaction politique. La Fédération invite donc les ministres concernés, Benoît Lutgen et son collègue Philippe Henry, à adopter au plus vite des mesures permettant de réelles avancées sur ce dossier lourd d’enjeux environnementaux mais aussi sanitaires. Le NAPAN est une excellente opportunité pour ce faire..;

Un plan d’action national pour passer de la parole aux actes

La législation européenne impose à la Belgique de présenter un plan d’action national (NAPAN) pour fin 2012. Divers thèmes y seront abordés – certains pour lesquels la préparation est déjà fortement avancée puisque les travaux de la Belgique fédérale ont en partie servi d’exemple au cadre défini par l’Europe. D’autres, comme le soutien à la lutte intégrée – de compétence régionale – ne sont encore qu’à un stade embryonnaire. Il est clair que l’élément clé de ce plan et le gage de sa réussite sera la participation active et constructive de tous les ministres compétents sur ce dossier, et notamment des ministres régionaux Wallons. L’ambition du PRPB (Plan de réduction pesticides et biocides) relevait avant tout des seules compétences fédérales et l’on espère bien que nos ministres régionaux trouveront dans la réalisation de ce NAPAN une excellente opportunité de passer de la parole aux actes et de concrétiser leur volonté affirmée de réduction de l’utilisation des pesticides, non seulement par les particuliers mais surtout au niveau agricole. Ce secteur agricole présente en effet un potentiel important de réduction d’utilisation des pesticides comme l’a démontré un travail conséquent de l’INRA (Institut national de recherche agronomique), avec le projet Eco-Phyto. L’enjeu est bien de réduire les fréquences d’application de pesticides – qui mesurent la dépendance de notre agriculture à ces substances chimiques – tout en réduisant les risques liés à leur utilisation.

Des abeilles qui butinent… des pesticides

Les abeilles qu’on assassine sont par ailleurs l’objet de mesures mises en ½uvre pour tenter d’assurer leur préservation. Ainsi, un nouveau schéma d’évaluation des risques des pesticides systémiques vient d’être publié par l’ICPBR (International Commission for plant-bee relationships). L’european beekeeping organisation a analysé ce nouveau schéma et est arrivé à la conclusion qu’il présente une grave lacune: la valeur de déclenchement, qui permet de distinguer les pesticides considérés comme « low risque » – qui ne doivent donc pas subir d’évaluation plus poussée – des autres pesticides, n’est pas à même de cerner correctement les effets réels des pesticides sur les abeilles.

Le schéma propose en effet de calculer le ratio entre exposition et toxicité – le Toxicity Exposure Ratio (TER) – avec un facteur de sécurité de 10. Si ce TER est supérieur à 10, le schéma propose de considérer le pesticide comme « low risque ». Le problème, c’est que le facteur de sécurité a été « tiré » d’un rapport établi pour 7 substances (rapport DEFRA, 2007). Extrapoler ce résultat à toutes les substances est clairement abusif, d’autant plus que ces molécules présentent de fortes disparités de comportement… et que l’étude DEFRA [[Defra. Assessment of the Risk Posed by systemic pesticides to honeybee, PS2322, CSL, York, UK (2007)]] ne vérifie nullement ce facteur 10 ! Les risques liés à l’exposition chronique des abeilles ne seront donc pas mieux pris en compte dans ce nouveau schéma d’évaluation… Ce qui n’aidera donc pas les populations d’insectes à mieux se porter!

De la transparence, pas des menaces !

Le nouveau livre de Marie-Monique Robin, sorti à l’occasion de cette Semaine sans pesticides attire l’attention des lecteurs sur le Bisphénol A, les additifs alimentaires (dont l’aspartame) et les pesticides. L’auteure pointe tout spécialement la problématique de l’évaluation des risques (largement insuffisante face à la problématique des effets cocktails) et de l’indépendance de la science – les exemples du tabac, du benzène et même de pesticides dans certains cas montrent l’absence de scrupules de certaines entreprises et – malheureusement – de chercheurs. Les études présentant simplement des biais d’échantillonnage sont légions, et suffisent à générer suffisamment de doutes que pour retarder les mesures politiques[Lire notamment [cet article , confrontant M-M Robin à Jean-Charles Bocquet, directeur général de l’UIPP (l’Union des industries de la protection des plantes]].

La question de l’accès à l’information trouve ici tout son sens – tant en terme de recherches des effets toxiques que d’informations plus brutes, comme les quantités de pesticides mises sur le marché en Belgique. La Fédération a obtenu ces données l’année passée et avait publié à l’époque une analyse des tendances observées pour certaines catégories de pesticides. Phytofar (Association belge de l’industrie des produits de protection des plantes) n’a pas manqué de réagir et de menacer la Fédération comme nous le relatons, de façon humoristique dans cet article : données sensibles, céphalées et bières trappistes. Considérant que ces informations doivent pouvoir être accessibles à tout un chacun, la Fédération a décidé de publier ces chiffres sur son site internet. Vous trouverez, joints au présent article, les fichiers pdf pour les années 1995, 1998, 2000, 2005, 2007 et 2008.

Un grand merci à Pierre Titeux et Lionel Delvaux pour leur contribution à cet article.

Extrait de nIEWs 91, (31 mars – 14 avril 2011),

la Lettre d’information de la Fédération.

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Valérie Xhonneux

Anciennement: Santé & Produits chimiques