« Tax shift » : solution ou attrape-couillons ?

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Je l’avoue humblement : j’ai autant d’atomes crochus avec l’économie que Dominique Strauss-Kahn peut en avoir avec le mouvement pro-abstinence. Et encore : lui ne rechignerait sans doute pas à pénétrer cette mouvance pour tenter de la retourner alors que je suis et resterai à jamais incapable du moindre entrisme pour changer les règles du jeu économique.
Il est donc acquis que je suis une buse, une brêle, une truffe, un schmock, bref, un nullard incompétent en la matière. La possession d’un MBA ou d’un doctorat en finances publiques ne me paraît toutefois pas nécessaire pour considérer avec scepticisme l’unanimisme autour de « l’indispensable réduction des charges pesant sur le travail ». Mon simple bon sens AOC Ardenne s’est en tout cas toujours heurté de front à l’alliance objective unissant employeurs et travailleurs sur ce point, leur propension à considérer qu’ils gagneraient l’un et l’autre à cette réduction m’apparaissant comme un contre-sens plus absolu que relatif.

Je comprends certes – sans pour autant y adhérer – l’approche du patronat qui veut renforcer la compétitivité des entreprises en réduisant leurs coûts salariaux. Je comprends de même – sans nécessairement la partager – l’analyse des salariés qui souhaitent augmenter leur pouvoir d’achat. J’échoue par contre à trouver la moindre compatibilité entre ces deux objectifs.
Pour mon esprit certes béotien en économie mais pas complètement obtus – j’ai du moins la prétention de l’espérer – , une réduction visant à renforcer la compétitivité porterait sur les charges patronales et s’avèrerait in fine sans impact sur le fameux « salaire pôche » cher à notre premier Ministre. A l’inverse, une baisse destinée à augmenter le pouvoir d’achat s’attaquerait aux contributions payées par les salariés… et ne contribuerait nullement à réduire le coût jugé excessif du travail.

On pourra bien sûr m’objecter que les deux scénarios ne s’excluent pas et qu’on peut alléger à la fois la pression pesant sur les employeurs et celle subie par les travailleurs. Ce que je suis tout disposé à admettre pour autant qu’on ne me parle plus de réforme fiscale ou de tax shift mais bien de révolution sociale, avec tout ce que le terme « révolution » implique. Car il importe de ne pas nier l’évidence : la perte de recettes serait telle que ni notre modèle de sécurité sociale, ni nos services publics ne résisteraient à pareil cataclysme. L’assurance individuelle se substituerait alors à la solidarité collective, rejetant dans les marges de la société celles et ceux financièrement incapables d’intégrer ce nouveau paradigme.

Nous n’en sommes heureusement pas là mais le tollé provoqué il y a quelques jours par la sortie[[Interview au « Tijd » du 30/01/2015]] du Ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, annonçant que la tax shift prévue dans l’accord du gouvernement Michel serait réalisée via une taxation majorée de la consommation – en d’autres termes, une augmentation de la TVA – est révélateur du caractère ô combien sensible des enjeux sur la table et des (mauvaises) surprises qui risquent de surgir une fois la boîte de Pandore ouverte.

Il est relativement aisé de faire consensus autour de la lutte contre la « rage taxatoire » et la volonté de diminuer des impôts dont la détestation transcende les clivages sociaux plus efficacement que l’adoration des « Diables rouches ». A l’opposé, il s’avère particulièrement complexe de mettre en œuvre un tax shift sans fâcher personne ; l’essence même de l’opération implique en effet que certains puissent au final se sentir cocus. Car il ne s’agit pas ici de réduire le volume global des ponctions fiscales mais bien de déplacer leurs parts respectives et plus précisément d’alléger celle venant de la fiscalité du travail en la reportant sur d’autres formes de taxation. Il est donc inévitable que certains se retrouvent au bout du compte dans la peau du cochon de payeur… Reste à savoir qui et dans quelles proportions.
Avec la formule avancée par Johan Van Overtveldt, le port de cornes serait particulièrement répandu, chacun étant appelé à compenser la baisse de coût du travail par une augmentation de ses factures de consommateur : on payera plus cher sans que les revenus aient nécessairement bénéficié de la fameuse « réduction de la pression pesant sur le travail ».

Les alternatives existent. La première et la plus évidente est la taxation des grosses fortunes. Une option à laquelle notre ministre des Finances rechigne au prétexte que « vous pouvez le faire une fois et en profiter. Mais la deuxième fois que vous le ferez, le capital sera sans doute parti ailleurs ». Sauf que les scandales Luxleaks et Swissleaks ont montré à suffisance que nombre de capitaux n’attendent pas d’être visés pour s’enfuir vers des cieux plus favorables à l’égoïsme de leurs propriétaires. Par ailleurs, la « peur de » est la pire des conseillères. Une fiscalité sur ces grandes fortunes est à la fois nécessaire et juste. Il convient de l’assumer sans honte mais, au contraire, avec fierté en portant haut et clair un discours sans équivoque à travers lequel cette mesure apparaît comme ce qu’elle est : non pas une punition infligée à la richesse mais bien une contribution à un indispensable devoir de solidarité auquel chacun doit participer à hauteur de ses moyens.

La fiscalité environnementale offre une autre option mais si son renforcement est indispensable, il doit s’inscrire dans un cadre très particulier.
Ici encore, il importe d’être sans équivoque sur les enjeux : ces taxes ne peuvent pas être présentées – et encore moins perçues ! – comme un moyen supplémentaire de presser le citoyen-citron et d’enrichir l’Etat ; elles doivent être clairement identifiées comme la pénalisation légitime de comportements préjudiciables à la collectivité. Dans cette logique, leurs recettes doivent être affectées au développement d’alternatives (de transports, de mobilité, de consommation, etc.) permettant de s’affranchir plus aisément desdits comportements. Cette affectation spécifique s’avère d’autant plus importante que la fiscalité environnementale est par nature temporaire, destinée à disparaître au fur et à mesure du développement des gestes « vertueux ». Sans caractère pérenne, elle ne saurait financer à des politiques publiques dont la pérennité constitue précisément un enjeu majeur…

Le débat sur le tax shift commence à peine et il promet d’être chaud. C’est que le rejet quasi maladif au sein de la société d’un impôt de moins en moins considéré comme ce qu’il est – la contribution de chacun de ses membres au budget de la famille Etat – mais comme un vol légalisé risque de fausser les enjeux. A force de crier « Pue, caca! » et de vouloir tirer la chasse sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à un prélèvement fiscal, le bon peuple pourrait bien finir par se tirer gaiement une balle dans le pied et se priver de tous les services et bienfaits que cette fiscalité honnie et haïe lui assure. Car n’en doutons pas, ce réflexe aussi puéril que pavlovien de rejet ne manquera pas d’être exploité par certains pour faire glisser davantage encore notre modèle soci(ét)al vers un individualisme égocentrique. Il importera donc d’être particulièrement vigilants pour éviter que ce piège ne se referme sur nos idéaux.

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