Trois petites lettres et puis s’embrouillent

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Il existe de ces acronymes tellement utilisés qu’on a le sentiment qu’ils font partie de notre langage courant. De simples petites lettres anodines placées les unes derrières les autres qui ont cette particularité de défrayer la chronique. J’aurais pu vous parler du JEP (jury d’éthique publicitaire à qui la Fédération a décerné son chardon 2010), du RER (réseau express régional), des RUE (rapport urbanistique et environnemental), des ZAE (zones d’activité économique) mais mon attention s’est focalisée sur trois dossiers qui reviennent régulièrement sous les feux de la rampe: DAR – CHB – BHV.

Le piquant DAR

Pour rappel, le mécanisme du Décret d’Autorisation Régionale[[Intitulé exact du décret « Décret du 17 juillet 2008 relatif à quelques permis pour lesquels il existe des motifs impérieux d’intérêt général », publié au Moniteur belge du 25 juillet 2008]] est le suivant: le DAR répertorie une série de projets pour lesquels il existerait, soi-disant, des motifs impérieux d’intérêt général. Une fois le permis délivré par l’autorité compétente dans la procédure classique, il est adressé au Parlement wallon pour que ce dernier procède à la ratification du permis par l’adoption d’un décret. Conséquence: l’acte final constituant un acte législatif, tout recours à son encontre doit être introduit devant la Cour constitutionnelle et non pas devant le Conseil d’Etat. Or, ces deux juridictions n’ont pas le même champ d’intervention. Raison d’être du décret: les déclarations officielles des auteurs du texte affirmeront qu’il s’agit d’associer les parlementaires aux décisions relatives à des projets d’importance. L’objectif officieux: couper l’herbe sous le pied aux particuliers et aux ONG environnementales qui voudraient introduire des recours au Conseil d’Etat contre ces projets prétendument d’envergure.
Face aux nombreuses critiques dont le DAR a fait l’objet, en ce compris celle de la section de législation du Conseil d’Etat, des dizaines de recours ont été introduits devant la Cour constitutionnelle dont un de la Fédération. Dans un premier temps, la Cour constitutionnelle a décidé de temporiser en posant des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne notamment au regard du respect de la convention d’Aarhus. De son côté, la Commission européenne a également mis la Belgique en demeure de s’expliquer sur ce texte.

Chacun y va de sa pierre d’achoppement

Une des particularités de ce texte consiste sans nul doute en l’effervescence constante qu’il engendre. Depuis son passage en première lecture fin 2007, en passant par son adoption définitive le 17 juillet 2008, les polémiques et coups de gueule entourant le DAR ont été légion. L’eau a-t-elle coulé sous les ponts? Du tout! Périodiquement, on remet le couvert par le biais d’interpellations parlementaires, d’articles de presse, …
A croire que dès que l’actualité parlementaire wallonne est en mode mineur, on nous ressort le DAR, chacun croyant bon d’apporter sa pierre à l’édifice de ce pamphlet législatif. Entre ceux qui sollicitent l’application du DAR nonobstant l’existence de recours et ceux qui partent du principe qu’en raison des recours, les projets repris dans le DAR doivent faire l’objet d’une procédure de délivrance classique (càd sans ratification parlementaire), chacun souhaite apporter son grain de sel.
Au delà des joutes oratoires au sein des cénacles parlementaires wallons, le DAR inspire: c’est ainsi que de nouveaux concepts apparaissent: « daribilisation », « dariser », « darisable » ou encore « darifier ». Une chose est certaine, de tels néologismes ne vont pas nous rendre ce texte de loi plus sympathique…

Crédit photographique : Matthew Antonino – Fotolia.com

Lourd héritage à porter…

La situation dans laquelle se trouve le Ministre wallon de l’aménagement du territoire est loin d’être évidente quand on sait que son parti a tiré à boulet rouge contre le DAR du temps où il était dans l’opposition. Et pourtant, le Ministre doit désormais appliquer cette législation… à contre c½ur probablement!
En effet, le premier décret de ratification sous l’ère du Ministre Ecolo a été délivré par le Parlement en juillet dernier pour le permis relatif à la quatrième écluse de Lanaye. L’urgence de l’adoption d’un décret de ratification par le Parlement se justifiait par la nécessité de mettre en ½uvre les travaux inhérents au projet sous peine de perdre les fonds européens qui avaient été octroyés à la Région.
Plus récemment encore, le président et le directeur général de l’aéroport de Bierset ont interpellé des parlementaires wallons afin qu’ils fassent pression auprès du Ministre Henry pour qu’ils soumettent à ratification parlementaire deux permis pour des infrastructures (la construction de bureaux et la construction d’un hall) sur le site de l’aéroport de Liège. Au delà de l’esprit de clocher que présente une telle démarche, l’on est légitimement en droit de s’interroger en quoi de tels projets relèvent de « motifs impérieux d’intérêt général » d’autant plus, quand on sait que les deux projets avant même d’être construits seraient loués pour partie à d’autres exploitants que ceux de l’aéroport.
Quelle attitude adoptée par le Ministre? Peut-il se retrancher derrière la kyrielle de recours contre le DAR pour justifier le gel des procédures portant sur des projets visés par le décret dans l’attente d’une décision de la Cour? La non-application du décret pourrait-elle être prétextée par l’évaluation en cours du CWATUPE laquelle « portera notamment sur la ratification parlementaire des permis»[[Déclaration de politique régionale « Une énergie partagée pour une société durable, humaine et solidaire », p. 127]] ? Visiblement non… pour preuve le permis de la 4ème écluse de Lanaye a été ratifié. Il n’en demeure pas moins qu’en ayant soumis à ratification le permis de l’écluse de Lanaye, toute attitude qui consisterait à ne pas soumettre à ratification parlementaire d’autres permis sera difficilement soutenable sur le plan politique.

Que faut-il espérer en ce dossier?

Probablement souhaiter que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne d’abord et de la Cour constitutionnelle ensuite ne se fassent pas trop attendre afin de lever les incertitudes juridiques accompagnant ce dossier. La Fédération caresse l’espoir que ce décret s’en ira de sa belle mort. En effet, la volonté de mettre en place un mécanisme pour évincer les recours des citoyens au Conseil d’Etat afin de faire passer comme une lettre à la poste des projets sensibles pose une réelle question de principe. Et cela indépendamment de la pertinence ou non des projets répertoriés dans le DAR et indépendamment du fait que certains recours pourraient présenter, dans certains cas, un caractère nymbiste. Néanmoins, de tels recours ne sont pas la panacée. Adopter un décret qui aux yeux de la Fédération méconnaît des principes juridiques essentiels (en matière d’accès à la justice et de participation citoyenne) va à l’encontre de la bonne gouvernance qui incombe à tout pouvoir décisionnaire.

CHB, le mort-vivant

En matière de mobilité, le tronçon autoroutier de Cerexhe-Heuseux-Beaufays poursuit comme objectif la construction de la liaison entre l’autoroute E40 et l’autoroute E25. CHB: trois lettres qui défrayent régulièrement la chronique alors que le projet remonte à la fin des années 60. Les partisans de la liaison avancent la saturation du réseau liégeois pour justifier la réalisation du tronçon alors que les opposants invoquent notamment la nécessité d’affecter les moyens financiers à l’entretien et la rénovation des tronçons existants mais aussi et surtout au développement de mode de transport plus durables sur le plan environnemental.

L’opposition de la Fédération s’est notamment traduite par l’introduction d’un recours en annulation contre l’octroi d’une dérogation délivrée par la DNF en septembre 2007 qui accordait certaines dérogations en matière de protection des espèces animales et végétales en vue de la construction de la liaison. De son côté, la Commission européenne a également mis en demeure la Belgique en ce dossier.

Il semble néanmoins que la majorité politique gouvernementale aurait renoncé à mettre en ½uvre ce projet en indiquant dans la DPR qu’elle entendait « ne pas poursuivre le projet autoroutier à l’est de Liège (la liaison Cerexhe-Heuseux-Beaufays) …»[[Déclaration de politique régionale « Une énergie partagée pour une société durable, humaine et solidaire », p. 98]]. Rien est moins sûr dès lors que les débats en commission parlementaire sont toujours bien présents[[Débats récents : Parlement wallon – C.R.I.C. N° 151 (2009-2010) – Mardi 29 juin 2010]]. La suite au prochain épisode!

Le sac de n½uds BHV

Pour terminer enfin, Bruxelles Hal Vilvorde! BHV: les trois lettres fracassantes sont connues depuis de nombreuses années et menacent la pérennité de notre pays. Que dire? Lassant? Interpellant? Inquiétant? Désespérant? En tout cas, guère réjouissant…
Après le « pré-formateur », place aux « démineurs » logique me direz-vous qu’on choisisse un ancien ministre de la défense… Je ne m’attarderai pas sur les sempiternelles discussions BHVesques dès lors qu’on nous en sert à toutes les sauces quotidiennement!

Au menu du jour:

 entrée: le sauscission francoflamand sur canapé bruxellois;

 plat principal: les carbonadowallo à la flamande;

 dessert: l’île flottante bruxelloise entourée de son parfait wallon (parfait flamand) et de son mendiant flamand (mendiant wallon);

En tout état de cause, un sujet bien indigeste que voilà… un bon daflamand pour faire passer le mal de tête.
Oui mais… trêve de plaisanteries, pendant ce temps avec un Gouvernement en affaire courante, les grands enjeux qu’ils soient environnementaux, économiques et sociaux sont mis au placard ou à tout le moins en stand by. En matière environnementale, des décisions fermes doivent être prises par le Gouvernement. Sans être exhaustifs, nous pouvons citer: des engagements audacieux dans les matières énergétiques, climatiques, la révision d’un code la publicité écologique, l’affichage des émissions CO2 sur les publicités automobiles.

Voici trois exemples d’acronymes « tendance » à propos desquels on remet souvent le couvert et où, au terme de chaque épisode, on pourrait dire « prochainement dans BHV …». Un peu à l’instar de ces séries américaines avec la saison de trop.
L’on affirme souvent que les meilleures choses ont une fin. A fortiori les pires devraient en avoir une aussi…