Un moratoire sur les agrocarburants

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Un moratoire sur les agrocarburants est une nécessité… pour prendre le temps de définir une véritable politique énergétique basée sur une utilisation optimale de la biomasse et pensée de manière coopérative plutôt que compétitive. Une compétition dangereuse illustrée par l’augmentation conséquente des prix agricoles et qui reflète les tensions sur les marchés générés par les nouveaux débouchés énergétiques des productions agricoles. Dernier indicateur en date: le principal exportateur de céréales sur les marchés mondiaux, à savoir l’Europe, vient d’annoncer la suppression des droits de douanes à l’importation pour réapprovisionner son marché intérieur. Plutôt que d’encadrer l’utilisation des productions agricoles dans les agrocarburants, l’Europe table, comme variable d’ajustement, sur les estomacs des populations les plus paupérisées. Une profonde remise en question s’impose donc et pourquoi pas à Bali, ou les agrocarburants font plus que jamais parler d’eux.

Un appel à moratoire resté lettre morte

Ce 25 octobre aux Nations-Unies, le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, M. Jean Ziegler, a demandé à la communauté internationale de décréter un moratoire, d’une durée de cinq ans, interdisant le transfert des terres pour la production de biocarburants. Partant du fait que ce transfert présente des risques sérieux car il réduirait la production de denrées de base comme le maïs, le blé, le sucre et l’huile de palme, il a indiqué qu’il pouvait conduire à une compétition entre l’alimentation et le carburant qui laissera les pauvres et les affamés des pays en développement à la merci d’une augmentation rapide des prix des produits de base. Cette demande ne rencontra qu’un très faible écho de la part des pays membres des Nations-Unies… car les cultures énergétiques représentent un espoir de devise pour de nombreux pays du Sud.

Une remontée des prix attendue

Sur le seul plan socio-économique, la plupart des états se félicitent d’une augmentation des prix agricoles, qui reviennent à des cours plus « équitable », pour les pays du Sud confrontés à des prix agricoles « déprimés » par les soutiens à la production des pays du Nord et singulièrement des États-Unis et de l’Europe. De plus, pour de nombreux Etats, le développement des agrocarburants offrent des perspectives intéressantes en terme de développement économique. Des perspectives qui sur le plan environnemental passe bien souvent par des déforestations, induisant de véritables catastrophes puisque les agrocarburants produits ont alors un impact négatif1 sur le climat…

Premières conséquences

L’ajustement des prix qui vient d’avoir lieu reste cependant très rapide et pour la plupart imprévu. Le choc est d’autant plus dur pour les plus populations paupérisées et les nations les plus dépendantes des importations ou de l’aide alimentaire (dont les quantités seront réduites de moitié du fait du doublement des prix). La FAO a définit une liste de « perdants », soit 82 pays à faible revenu et à déficit vivrier. Ces pays représentent près de deux tiers de la population mondiale et plus de la moitié sont en Afrique. Dans certains de ces pays, la hausse des prix des produits agricoles exportés devrait compenser les prix des aliments importés, pour les autres, l’augmentation des prix et la réduction des aides alimentaires représentent une menace pour leur population. L’analyse de Jean Ziegler est confirmée par la FAO mais elle ne risque d’être reconnue que quand les images de famines s’inviteront à nos tables.

Perspectives effrayantes

Le développement des agrocarburants semble presque inéluctable puisque soutenu aujourd’hui par un baril en constante progression vers de nouveaux sommets, sans réellement affecter la demande et des objectifs politiques ambitieux. Une ambition qui cache un cynisme probablement jamais atteint. Ainsi, l’Europe s’est fixée des objectifs contraignant en matière d’incorporation d’agrocarburant. Des garanties qui sont données aux investisseurs… au mépris des plus démunis qui seront affectés par l’augmentation des prix plus forte encore que celles que nous venons de connaître en cas de pénurie alimentaire sur les marchés. Une analyse partagée par Oxfam dans son rapport « La pauvreté roule aux biocarburants ».

Une absence totale de prospective

En mars de cette année, l’Europe adopte des objectifs contraignants imposant d’incorporer 10 % d’agrocarburants au carburant routier. Suite à l’augmentation des prix agricoles, les pays européens décident de supprimer les jachères, histoire de redonner un peu de mou… qui dans les faits ne représente rien par rapport aux besoins futurs induits par la mise en place des nouvelles usines d’agrocarburants. Une décision entérinée dans le Health Check de la Pac. Dernièrement, la Commission supprime les droits de douane à l’importation des céréales afin d’assurer l’approvisionnement des marchés européens… D’exportatrice, l’Union européenne devient importatrice de céréales. Les derniers outils de gestion des marchés agricoles (jachère et droits de douanes) ont été détricotés et l’utilisation de nos céréales est liées de manière contraignante à notre consommation de carburant !

Une compétition qui s’organise

Ce qui s’est passé pour le pétrole se passe aujourd’hui pour l’accès à la terre et ses productions. Notre addiction à l’énergie est telle que nous organisons aujourd’hui la compétition entre États pour l’accès aux marchés énergétiques sans réelle volonté de contrôler leurs impacts environnementaux et sociaux, voire en les bafouant explicitement. L’impact socio-économique de notre dépendance au pétrole était bien peu de chose face à une dépendance agricole. Ce ne sont plus quelques pétro-monarchies qui sont concernées par la richesse de leurs sous-sols mais bien tous les peuples, qu’ils aient soif d’énergie ou pas, qui sont concernés à travers leur alimentation mais aussi par la prise de possession de leur territoire, voire leur asservissement par l’agrobusiness.

Sortir de cette logique

L’utilisation des agrocarburants et des sylvocarburants comme source énergétique est l’un des moyens auxquels l’humanité doit recourir pour amoindrir son impact environnemental et mettre fin à l’ère du pétrole. Mais leur utilisation met inévitablement les peuples en compétition, une compétition qui passe par l’appropriation de l’espace de vie et de l’alimentation. Leur production n’est pas à exclure en soi, mais ne peut se développer que dans une stratégie globale combinant réduction drastique de la demande énergétique des pays riches, d’une part et utilisation rationnelle, donc planifiée, des différentes sources renouvelables, d’autre part. Une stratégie d’utilisation des agrocarburants sous leur forme la plus efficace en terme de réduction d’émissions. Une stratégie enfin qui utilise les agrocarburants comme la variable d’ajustement des prix agricoles et donc alimentaires plutôt que d’utiliser la faim comme variable d’ajustement des prix agricoles.

Un moratoire pour prendre le temps de la coopération

La question des agrocarburants est à l’agenda de Bali, en Indonnésie. Un pays symbolique du développement débridés des agrocarburants. Les palmiers à huile y ont remplacé forêts primaires et productions vivrières, chassant peuples indigènes et asservissant les paysans locaux. Oxfam dresse un constat accablant de la situation du point de vie social et Greenpeace du point de vue environnemental (Voir le rapport de Greenpeace à ce sujet). Un symbole de ce qu’il faut éviter à tout prix et qui démontre que nous devons repenser rapidement nos politiques énergétiques.

Crédit photographique: http://www.aidh.org/alimentation/3_07-moratoire.htm

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité