Viande : Véviba, le retour du refoulé

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Comme l’évoque Florence Burgat dans son essai L’humanité carnivore, « l’industrialisation de la viande, d’une part, et la montée en puissance d’un discours favorable au végétarisme, d’autre part, provoquent depuis quelques années, en forme de riposte, une fierté carnivore ostentatoire »(1)… qui vient de se prendre un sérieux râteau avec l’affaire Veviba.

Touche pas ma viande

Nées en réaction à la crise de 2013 (le scandale de la viande au boeuf-cheval roumain), ces poussées de testostérone carnée ont généralement lieu, en Wallonie, en février/mars.

Mars 2014, le ministre cdH Carlo Di Antonio, estimant que «cela semble très à la mode de s’en prendre à la viande rouge »(2), décide – et le fait savoir – de consacrer pas moins de 500.000 euros/an à la revalorisation de la viande bovine.

Mars 2015, Journée internationale sans viande, Willy Borsus, à l’époque ministre fédéral de l’agriculture, sort un communiqué de presse listant les 9 bonnes raisons de manger aussi de la viande (3). Il érige, à cette occasion, le fleuron bio-techno-industriel Bleu Blanc Belge(4) – qui domine le marché du bœuf wallon – comme fierté nationale. Pour monsieur Borsus, « Il faut arrêter avec ces idées reçues qui stipulent à tout va que manger de la viande est malsain, mauvais pour la santé et pour l’environnement. La viande, c’est un aliment local, sain, bon pour la santé et ‘environnement-friendly’. »

Mi février 2016, le ministre wallon de l’agriculture René Collin, interrogé sur l’initiative de cinq présidents de parti flamands(5), qui réduisent pendant plusieurs jours leur consommation de produits d’origine animale à l’occasion d’une opération « Jours Sans Viande » (6).

Mars 2017, une sorte de sommet est atteint, quand la campagne « Jours Sans Viande » ose franchir la frontière linguistique avec sa proposition de « manger moins de viande et de poisson pendant 40 jours ». Tous les acteurs de la viande meuglent en coeur :

La cellule viande considère qu’il s’agit là « d’une fausse bonne idée ».

L’Agence Wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité (APAQ-W) « a la responsabilité d’attirer l’attention des consommateurs sur les graves implications de cette initiative »(7).

Pour la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA), ces «40 jours sans viande», c’est avant tout «40 jours dans le mensonge» et elle estime qu’il faut « rétablir la vérité » car « faire croire au consommateur qu’il sauvera la planète en mangeant moins de viande est même dangereux »(8).

Mars 2018, la sourdine est de mise.

Le 20 mars, Journée international sans viande, se caractérisa cette année par un silence auquel le secteur ne nous avait pas habitué… Le scandale Véviba, tel un glaçant retour du refoulé, vient rappeler la pathologie chronique du secteur de la viande (et de l’alimentation en général d’ailleurs) : l’organisation capitaliste industrielle de la chaine alimentaire qui, en écrasant le petit producteur d’un côté et en trompant le consommateur (souvent consentant car il n’aime pas payer le juste prix) de l’autre, s’ingénie à occulter ses manipulations de tous ordres pour se faire toujours plus de bénéfices.

Erreur de diagnostic

Les incantations annuelles des représentants politiques précités ne s’inspirent pas, c’est important de le souligner, des recommandations les plus récentes en matière de qualité de production/consommation dictées notamment par des impératifs de santé(9) et de prise en compte de la crise climatique. Elles ressemblent davantage à des actions de communication qui consistent à systématiquement surfer sur les pratiques vertueuses (production bio ou de qualité, en circuits courts) minoritaires en Wallonie, et à nous faire croire qu’il s’agit là du modèle majoritaire en Wallonie. Il n’en est rien. Mais le présenter comme tel ne permet-il pas de fermer les yeux sur les modes de production aujourd’hui dépassés (notamment la production industrielle de viande issue du Bleu Blanc Belge) et sur les agissements quasi mafieux de l’industrie agro-alimentaire ?

Et il va de soi que ce type de discours se heurte à celui d’autres acteurs qui, telle IEW et bien d’autres, se basent sur les travaux scientifiques les plus récents et les pratiques innovantes, et prônent le changement. Changement qu’ils savent difficile, mais possible et surtout indispensable. Ces acteurs sont systématiquement accusés de dénigrer la profession d’agriculteur/éleveur au nom d’une idéologie « écoloboboélitistedonneurdeleçons » qui servirait également à tromper le consommateur. Aucun fait n’étaye bien sûr ces allégations, mais les effets sont hélas palpables chez des agriculteurs, qui, ne sachant à quels saints se vouer, prennent ces propos pour argent comptant et ont là un bouc émissaire tout désigné responsable de leurs difficultés. Et aussi chez les consommateurs amateurs de viandes et charcuteries « en quantité » qui se voient ainsi confortés par les discours des « autorités » dans leurs habitudes de consommation, fussent-elles interrogeables.

Or, ce n’est pas un problème d’agriculteurs/éleveurs (dont beaucoup rencontrent de réelles difficultés dans ce monde changeant et parfois si cruel), mais un problème de modèle agro-alimentaire. Il doit changer, et à grande échelle. Et ce changement se fera non pas dans un processus de dénigrement permanent et d’occultation de la réalité, mais en réunissant les parties prenantes « dans un travail d’intelligence collective transparent ».

Libérer la parole

Le principal gain d’une rencontre apaisée entre ces mondes serait le partage des expériences alternatives qui existent, sont fiables, prennent doucement de l’ampleur et fleuriront d’autant plus vite qu’elles seront accompagnées par des femmes et hommes politiques visionnaires…

(1) Florence Burgat, L’humanité carnivore, Editions du Seuil, février 2017, p.137.

(2) Carlo Di Antonio veut balayer les mauvais clichés sur la viande de boeuf, consulté le 07/03/2017.

(3) Nous avions, pour répondre au Ministre, donné la parole à l’asbl Végétik, membre de la Fédération, qui avait avec rigueur [démonté les arguments ministériels tendancieux.

(4) Mais s’agit-il encore d’un animal ?

(5) Bart De Wever (N-VA), Wouter Beke (CD&V), John Crombez (SP.A), Meyrem Almaci (Groen) et Gwendolyn Rutten (Open Vld).

(6)tonne, en séance plénière du gouvernement wallon , qu’il en a marre « de ces gourous de la santé et de l’environnement qui, sur des bases totalement dénuées de caractère scientifique, disent que c’est dangereux de manger de la viande » ! Et il annonce dans la foulée, la mise en place d’un centre d’information sur la viande « où l’on pourra enfin trouver un espace de vérité scientifique »[En 2016 est mise sur pied, à l’initiative du [Collège des producteurs,la Cellule d’information viande qui est surtout la cellule d’information Boeuf…

(7)tonne, en séance plénière du gouvernement wallon , qu’il en a marre « de ces gourous de la santé et de l’environnement qui, sur des bases totalement dénuées de caractère scientifique, disent que c’est dangereux de manger de la viande » ! Et il annonce dans la foulée, la mise en place d’un centre d’information sur la viande « où l’on pourra enfin trouver un espace de vérité scientifique »[En 2016 est mise sur pied, à l’initiative du [Collège des producteurs,la Cellule d’information viande qui est surtout la cellule d’information Boeuf…

(8) http://www.fwa.be/wordpressfwa/index.php/consommation-de-viande-bovine-retablir-la-verite/

(9) voir par exemple : https://www.mediapicking.com/medias/files_medias/circ—communiqua–0763282001446039697.pdf ou http://www.journaldelenvironnement.net/article/viande-rouge-les-cancers-expliques-par-un-sucre,54133

Pour étayer de différentes manières et sur des tons divers les propos qui précèdent, nous vous invitons à (re)lire une douzaine d’articles « maison » !!

Tout d’abord une position générale de la fédération :

Repenser notre agriculture et notre alimentation : la position d’IEW

Ensuite quelques textes choisis

Viande : produire et manger moins et mieux ! – 1er mars 2017
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