Voitures électriques : réfléchir avant d’agir !

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Va-t-on, avec la promotion des voitures électriques et à l’instar de ce qui s’est passé avec les agrocarburants, foncer avant de réfléchir, au risque de devoir freiner sinon stopper une machine infernale emballée ?

« Scandaleux ! Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous dites ! Et les Boliviens, vous croyez qu’ils seront d’accord de voir massacrer ces splendides sites naturels des Salars, qui devraient être classés patrimoine naturel mondial ? Et tout ça pour vous permettre de continuer à rouler en voiture ? »
C’était, il y a un peu plus d’un an, à Estaimpuis, la réaction indignée d’une dame lorsque, au cours d’une conférence « Mobilité – Environnement », j’abordais, prudemment, la question de la voiture électrique. Il fut bien difficile de maîtriser le courroux de cette enseignante à la retraite, qui avait passé une grande partie de sa vie en Bolivie et qui gardait un attachement très vif à ce pays et sa population. Puis de lui expliquer que, oui, mon « slide » présentait les avantages du véhicule électrique en matière de réduction des émissions de CO2 , mais que le suivant (qu’elle ne m’avait pas laissé le temps de présenter) posait clairement plusieurs questions quant à sa durabilité. Dont celle, centrale, des batteries et des matières premières nécessaires à leur fabrication, photo du magnifique Salar[[Un « salar » est un lac partiellement ou complètement asséché dont les sédiments sont formés de sels. Ils se sont accumulés au fil des âges en raison du fait que le lac est fermé (pas « d’évacuation ») et que le climat est aride (haut taux d’évaporation).]] de Uyuni à l’appui.

Si son intervention était un peu vive, cette personne mettait le doigt sur un point crucial. Les technologies les plus prometteuses en matière de batteries pour les véhicules électriques ou hybrides sont actuellement celles qui utilisent le lithium (Li), le plus léger des métaux (sa densité est de 0,55). On trouve le Li en de rares endroits du globe, du moins en quantités exploitables : l’eau de mer en contient, mais en concentrations infimes[[La concentration en lithium de l’eau de mer est de 0,17 parts par million (ppm) en moyenne ; des tests menés à l’Université de Saga, au Japon, ont permis d’extraire 30 grammes de chlorure de lithium (LiCl), soit 5 g de Li, à partir de 130.000 litres d’eau de mer…]] qui rendent illusoire tout espoir d’extraction à grande échelle. Les Andes (Bolivie, Chili et Argentine) concentrent environ 70% des réserves exploitables et le gros du solde se trouve au Tibet – ce qui, entre autres facteurs, explique l’attachement des Chinois à ce qu’ils considèrent comme une province.

Or, les véhicules électriques (ou hybrides) présentant une autonomie « acceptable »[[C’est-à-dire au moins 150 à 200 km.]] (et requérant donc des batteries volumineuses) constituent la seule solution crédible que l’industrie automobile peut aujourd’hui présenter pour répondre au double défi des changements climatiques et de la déplétion des ressources de pétrole. Ceci, bien sûr, dans un scénario de poursuite du modèle de mobilité de nos sociétés occidentales, où les voitures assurent 90 à 95% des déplacements des personnes.
« Faire que l’automobile soit à nouveau perçue comme un progrès pour l’humanité et pour la planète »[[Voiture électrique : l’envol, enfin, Vers l’Avenir, 01 octobre 2010.]] est l’enjeu identifié par Carlos Ghosn, PDG de Renault, au Mondial de l’auto de Paris. Rien que ça. Et Monsieur Ghosn ne s’y trompe pas. Il s’agit bien de perception. Il déclarait ainsi le 29 septembre « je pense que le véhicule électrique est une orientation inéluctable et que s’engager sur cette voie aura beaucoup de conséquences. A commencer par l’image. » En clair, non seulement la propulsion électrique constitue-t-elle (avec l’hybride) la seule alternative crédible au moteur thermique – mais encore s’inscrit-elle idéalement dans la stratégie de greenwashing que le secteur est bien obligé de mettre en place pour effacer les quelques salissures qui ternissent petit à petit l’image jusqu’il y a peu inaltérée de l’automobile.

Destruction irréversible de magnifiques écosystèmes absolument uniques et tensions géopolitiques autour des réserves de lithium sont deux aspects fort peu discutés du développement des motorisations électriques. Ils devraient faire l’objet d’études approfondies avant toute décision politique en matière de promotion des véhicules électriques ou hybrides (telle que l’installation, aux frais du contribuable, de réseaux de bornes de recharge des batteries, réclamés par les lobbys industriels). Il y a dix ans, nul (ou presque) ne parlait des effets des changements d’affectation des sols ou des incidences sur la souveraineté alimentaire du développement à grande échelle des agrocarburants. Aujourd’hui, ces effets sont quantifiés, les agrocarburants apparaissent clairement comme une fausse bonne solution – et les pouvoirs politiques sont amenés à devoir freiner sinon stopper une machine emballée qu’ils ont eux-mêmes participé à prématurément mettre en marche. Il faut espérer que, en matière de véhicules électriques, nos sociétés prennent le temps de mener une réflexion systémique qui intègre les différents aspects du dossier, d’analyser si une technologie pertinente à l’échelle de quelques véhicules, est transposable à plusieurs centaines de millions de voitures – et de méditer ces paroles : « Et les Boliviens, vous croyez qu’ils seront d’accord de voir massacrer ces splendides sites naturels des Salars, qui devraient être classés patrimoine naturel mondial ? Et tout ça pour vous permettre de continuer à rouler en voiture ? »

Crédit photographique : labelverte – Fotolia.com

Extrait de nIEWs 81, (14 au 28 septembre 2010),

la Lettre d’information de la Fédération.

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