Circuits courts et grande distribution : un mariage heureux ?

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Le mardi 22 octobre dernier, dans le cadre du Réseau des acteurs wallons pour une alimentation durable, la Fédération Inter Environnement Wallonie organisait une journée sur les circuits courts en partenariat avec Saveurs paysannes, Accueil Champêtre en Wallonie, Diversiferm, et les Conviviums Slow food wallons.

L’objectif de la journée était d’informer sur les différents modes de distribution en circuits courts (vente directe à la ferme, marchés de terroir, groupements d’achats, grande distribution, sites internet, …) ; de mettre en évidence les types de contrat entre les parties prenantes ; ainsi que les avantages et les inconvénients du point de vue des producteurs et des distributeurs.

Focus sur le projet de charte chez Carrefour et sur le magasin d’Ici, moyenne surface située à Namur.

Le projet carrefour

La grande distribution n’est pas connue pour être tendre avec ses fournisseurs et notamment avec les producteurs : prix négociés à minima, calibrages stricts, absences de contrats, exigences de volumes et de constance dans l’approvisionnement, reprise des invendus,… En vue de construire un partenariat plus équitable avec les producteurs, Carrefour a rédigé une charte avec le soutien notamment d’Accueil Champêtre en Wallonie (organisation de soutien aux producteurs) puis de Hainaut développement qui s’est assuré de maintenir l’église au milieu du village entre les intérêts du distributeur et ceux des producteurs. Les différentes Provinces aident maintenant Carrefour à mettre en œuvre cette charte localement. Dans ce nouveau cadre, les producteurs de petites exploitations ne passent plus par une centrale d’achat mais approvisionnent directement le magasin carrefour proche de chez eux (maximum 40 km). Il n’y a plus d’exigence de volumes et les prix ne sont pas négociés. Les produits sont achetés et non mis en dépôt et les producteurs sont assurés d’un paiement plus rapide que dans le circuit traditionnel. Les produits locaux sont mis en avant en étant présentés sur un ilot où chaque producteur est identifié.

Aujourd’hui, plusieurs Carrefours en Wallonie proposent un rayon « produits locaux ». 126 producteurs wallons y proposent dorénavant leurs produits. La charte va bientôt être élargie aux franchisés du groupe Carrefour. La fédération de la grande distribution, COMEOS, et d’autres enseignes de la grande distribution sont également intéressées par un processus similaire. Des structures publiques, telles les Provinces, pourraient se charger à l’avenir d’uniformiser un tel processus pour toute la grande distribution et ce afin d’éviter que les producteurs ne se retrouvent avec autant de chartes « circuits courts » que d’enseignes de distribution.

Des avis positifs…

Du côté des producteurs directement impliqués dans le projet, les témoignages entendus le 22 octobre étaient plutôt positifs. Deux producteurs seraient sortis de la faillite grâce à ce nouveau débouché. Un autre témoigne que cette initiative lui a permis d’écouler une production supplémentaire, croissance devenue nécessaire pour rembourser les emprunts effectués pour répondre aux normes de l’Afsca. Une autre raconte que ses produits sont bien mis en avant et qu’elle a capté de nouveaux clients à son magasin à la ferme grâce à carrefour. Cependant, les producteurs restent sur leur garde. Surtout ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier en diversifiant ses filières de distribution. Les expériences où certains acheteurs de la grande distribution ont mis fin à une collaboration du jour au lendemain continuent à marquer les esprits.

Et des questionnements…

Cet engouement de la grande distribution pour les circuits courts a soulevé de nombreuses questions et réticences parmi les participants. Certains producteurs ne veulent pas entendre parler du projet de Carrefour considérant que l’enseigne se sert des producteurs pour redorer leur blason. L’offre en produits locaux pourrait à terme manquer et l’initiative de la grande distribution pourrait phagocyter les autres initiatives (groupements d’achats, marchés, …) qui développent les circuits courts.
Ce nouveau cadre de Carrefour, n’est aujourd’hui pas rentable et – selon les dires de Carrefour – sert surtout à l’image de l’enseigne. Ce qui soulève des questions sur la pérennité du projet. La proportion en produits locaux par rapport à l’offre globale reste faible (quelques pourcents). Comment la grande distribution va t’elle contribuer à construire un système alimentaire plus durable ? Les pratiques de la grande distribution ont contribué à faire disparaitre les circuits économiques locaux et les petites épiceries. Vont-ils revoir leurs pratiques de façon plus globales ? Vont-ils laisser la place à d’autres initiatives de se développer et de se maintenir ?

L’expérience du magasin d’ici : moyenne distribution

C’est en tout cas le pari du magasin D’ici situé en région namuroise et dirigé par Franck Mestdagh. Son objectif est de se fournir principalement en produits régionaux en vue de redynamiser l’économie locale. 50% des produits viennent de moins de 50 km. L’idée est de proposer des produits de consommation courante à des prix abordables. Les 10 employés sont sciemment issus du monde agricole – et pas de la grande distribution- . Franck Mesdagh espère la rentabilité à partir de la 3ème année quand deux ou trois autres enseignes auront vu le jour.

Et les politiques ?

Le projet de Carrefour est soutenu par le ministre de l’agriculture ainsi que par les Provinces. Certains des intervenants et participants n’ont pas manqué d’épingler qu’un soutien plus important pour d’autres initiatives en circuits courts de la part des pouvoirs publics serait hautement appréciable. Une façon de dire que les politiques veillent aussi à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier…