8 balises pour analyser les projets d’urbanisme : étude de cas

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Dans nos activités d’éducation permanente, nous sommes régulièrement en contact avec des collectifs citoyens en lutte contre des projets d’urbanisation, qui sollicitent notre soutien dans leur mobilisation. Nous sommes ainsi confrontés à des projets très divers, que ce soit en termes de taille, de destination, de pertinence et d’impacts environnementaux. Un outil permet d’objectiver l’analyse : les huit balises du Stop Béton. Application…

Il est important que les réflexions menées sur l’aménagement du territoire sortent de l’approche « Nimby » (acronyme de « Not in my backyard » ou « pas dans mon jardin », qui décrit la tendance à refuser tout projet situé à proximité de son domicile), et nous essayons toujours d’analyser les projets de manière objective. Les huit balises du Stop Béton sont un bon outil pour cela ; en voici un exemple d’application prenant comme cas d’étude le projet de « Cristal Office Park » visant la construction de bureaux rue du Monastère, dans le bois de l’abbaye du Val Saint-Lambert, à Seraing.

Ce projet s’intègre dans le projet plus large de « Cristal Park », qui a connu de nombreux rebondissements depuis plus de dix ans, et qui fait actuellement l’objet d’une enquête judiciaire en raison des soupçons de corruption qui pèsent sur les partisans du projet. Mais ce n’est pas l’objet de notre article, et pour des raisons de concision nous allons ici nous concentrer sur le projet de construction de bureaux dont la demande de permis vient d’être déposée.

Balise n°1 : Accessibilité piétonne et aux transports en commun

Plusieurs arrêts de bus sont présents à moins de 10 minutes de marche du site. Ces arrêts sont relativement bien desservis en direction de Jemeppe et Liège mais beaucoup moins en direction de Neupré et des hauteurs de Flémalle (ligne 91 – seulement 4 bus par jour). Pour l’accès en train, bien que l’emplacement prévu du projet soit situé à 3 km de la gare de Flémalle-Haute, le trajet à pied depuis la gare est trop dangereux car il passe par des routes à trafic important où il n’existe aucun aménagement pour les piétons. De plus, les correspondances entre bus et trains ne sont pas optimisées.

Le cheminement piéton aux environs immédiats, c’est-à-dire dans la rue du Monastère, n’est pas non plus confortable ni évident car de nombreuses voitures sont régulièrement stationnées sur les trottoirs.

Lors de la construction, un sentier piéton sera supprimé mais le promoteur prévoit d’en créer un nouveau.

Le projet ne répond donc pas à cette première balise.

Balise n°2 : L’accessibilité aux cyclistes et aux PMR

D’après le guide du SPW « Stationnement vélo et projet immobilier », un emplacement de parking pour vélo est recommandé par 100 m² de bureaux, soit 228 emplacements dans le cas de ce projet. Le promoteur n’en prévoit que 112, et justifie cela par le fait que le site est peu attractif à vélo en raison des fortes pentes notamment. Des pistes cyclables existent ou sont prévues à proximité du site mais ne sont pas suffisamment connectées entre elles. De plus, aucun emplacement n’est prévu pour des vélos électriques, bien que le promoteur stipule qu’une trentaine d’emplacements pourraient éventuellement être ajoutés par la suite en fonction de la demande. La déclivité complique également l’accès pour les PMR : même si des aménagements PMR sont prévus sur le site même, il restera compliqué pour ces personnes d’arriver jusque-là.

Le projet ne répond donc pas à cette deuxième balise.

Balise n°3 : L’échelle humaine

Cette balise est un peu plus subjective que les autres, car la perception de ce qu’est une « échelle humaine » peut varier d’un individu à l’autre. Néanmoins, pour plus d’objectivité nous pouvons comparer les dimensions du projet au bâti existant. Les bâtiments existants dans la rue du Monastère sont majoritairement des maisons unifamiliales constituées de deux étages maximum. Les immeubles de bureaux atteindront quant à eux un maximum de cinq étages, pour une hauteur de 27 mètres… Il y a donc clairement une disparité d’échelle, les proportions des immeubles prévus pouvant être perçues comme « écrasantes » par rapport aux habitations voisines.

Nous estimons donc que le projet ne répond pas à cette troisième balise.

Balise n°4 : Paysage bâti et non bâti

Le respect de cette balise est particulièrement important étant donné que le projet se situe dans le périmètre d’intérêt paysager du Bois de la Neuville et de l’Abbaye. Or, au vu de la hauteur des bâtiments prévus et des caractéristiques chromatiques des matériaux utilisés pour les façades (une façade ventilée terminée par un métal déployé, une façade en cassettes aluminium et une façade vitrée), l’architecture du projet est en totale rupture avec le bâti existant, majoritairement constitué de maisons en brique à un ou deux étages. Cette architecture différente va créer un nouveau point d’appel dans le paysage, attirant le regard vers ces immeubles au détriment du patrimoine bâti et naturel (forêt) existant.

Il semble donc évident que la quatrième balise n’est absolument pas respectée.

Balise n°5 : Rénovation et réemploi des matériaux

Par rapport à une construction neuve, les avantages environnementaux de la rénovation sont nombreux : utilisation parcimonieuse des matériaux (jusqu’à 40 fois moins qu’une nouvelle construction), émissions de CO2 réduites, pas d’artificialisation du sol. La rénovation devrait donc être privilégiée autant que possible.

De nombreux bâtiments inoccupés sont présents sur le site des cristalleries mais aussi dans le centre de Seraing. Cependant, au lieu de rénover ces bâtiments, le promoteur privilégie une construction neuve, qui plus est au détriment d’un espace naturel. De plus, la logique de réemploi est inexistante puisqu’il n’est même pas prévu de réutiliser sur place les terres déblayées lors des travaux de terrassement. Ces 50 655 tonnes de terre correspondent à un volume de 2110 camions qui devra être évacué du site! On ne peut qu’imaginer les impacts environnementaux et les nuisances résultant de ce transport de terres…

Le projet ne répond donc pas du tout à la cinquième balise, ce qui est d’autant plus regrettable que de nombreuses opportunités de rénovation existent à proximité…

Rassemblement du collectif « Bois du Val » devant les Tailleries, l’un des nombreux immeubles à l’abandon sur le site des cristalleries (©Pascale Stakenne)

Balise n°6 : Les aménités existantes

Les aménités sont des éléments qui rendent un endroit sympathique et créent un attachement à un lieu. Les espaces verts sont des aménités particulièrement importantes pour le bien-être physique et mental, à tel point que les scientifiques parlent désormais de « nature deficit disorder » pour décrire les problèmes de santé rencontrés par les enfants qui ne bénéficient pas d’un accès à la nature. Les espaces boisés apportent également une fraîcheur bienvenue lors des canicules, qui deviendront de plus en plus fréquentes avec le réchauffement climatique.

Prévoir le déboisement d’une forêt qui constitue un véritable poumon vert en bordure d’une zone densément urbanisée, c’est témoigner d’un mépris total pour ces aménités qui participent au bien-être des riverains. Le projet ne respecte donc pas cette sixième balise.

Balise n°7 : Les activités économiques existantes

Le projet serait destiné à répondre à une demande de bureaux qui ne serait pas remplie sur Seraing. Or, la situation de ce marché a fortement évolué récemment, car le télétravail expérimenté durant la pandémie tend à s’imposer de manière structurelle dans de nombreuses entreprises, ce qui réduit par conséquent les besoins en bureaux. Aucune donnée ne permet donc d’objectiver si cette supposée demande est toujours d’actualité.

De plus, afin de soutenir les activités économiques existantes, il serait plus intéressant d’implanter ces bureaux dans le centre de Seraing, ce qui contribuerait à redynamiser le cœur de ville et à faire vivre les commerces et établissements Horeca locaux.

Nous estimons donc que le projet ne répond pas à la septième balise puisqu’il ne s’intègre pas suffisamment dans le tissu économique existant.

Balise n°8 : La végétation et les espaces verts en place – les continuités entre espaces naturels

Le projet prévoit la destruction d’un jeune peuplement de frênes mais également de boisements plus anciens et diversifiés (constitués notamment de chênes, érables et charmes dont plusieurs arbres à cavités) faisant partie du Site de Grand Intérêt Biologique du Bois de la Neuville et de la Vecquée. Ce site abrite plusieurs espèces protégées, notamment le pic noir, le pic mar et plusieurs espèces de chauves-souris. Le déboisement entrainera donc la destruction irréversible d’une partie de l’habitat de ces espèces, que les quelques plantations d’arbres et de haies prévues dans le cadre du projet ne suffiront pas à compenser. En effet, ces plantations ne trouveront place que dans les maigres espaces libres de construction et mettront de nombreuses années pour atteindre une taille et un intérêt biologique significatifs. Rien ne vaut donc la préservation de la nature existante !

Jeunes frênes (©Xavier Spirlet)
Boisement plus ancien (©Xavier Spirlet)

La huitième balise n’est donc pas non plus respectée.

En conclusion, le projet ne répond à aucune des huit balises. Il s’agit d’un exemple presque parfait de ce qu’il ne faut pas faire en matière d’aménagement du territoire ! Le collectif « Bois du Val » l’a bien compris et se mobilise activement contre ce projet…

A vous de jouer !

Il y a un projet d’urbanisme près de chez vous et vous ne savez pas trop quoi en penser ? Tentez à votre tour l’exercice des huit balises. En fonction des résultats, plusieurs cas de figures sont possibles :

  1. « Un exemple inspirant » : le projet répond parfaitement aux huit balises. Il n’y a rien à redire, n’hésitez pas à le citer en exemple pour inspirer d’autres promoteurs et architectes !
  2. « Peut mieux faire » : le projet répond à la plupart des balises mais certaines ne sont pas suffisamment prises en compte. Dans ce cas, prenez un peu plus de temps pour analyser de manière plus détaillée les balises qui font défaut, et profitez de l’enquête publique pour formuler vos remarques afin de bonifier le projet.
  3. « Tout est à jeter » : le projet ne répond à aucune des balises ou presque. Dans ce cas, réagissez à l’enquête publique et parlez-en à vos voisins pour susciter un maximum de réactions et mettre en place une mobilisation collective ! N’hésitez pas à vous inspirer du Manuel de résistance d’Occupons le terrain : c’est une véritable mine d’informations contre les projets inadaptés, imposés et nuisibles !

Bibliographie

Les 8 balises et les espaces publics (IEW): https://www.canopea.be/les-8-balises-et-les-espaces-publics/
Cristal Park à Seraing, le retour du carton-pâte (IEW): https://www.canopea.be/cristal-park-a-seraing-le-retour-du-carton-pate/
Soupçons de corruption à Seraing (Le Vif): https://www.levif.be/actualite/belgique/soupcons-de-corruption-a-seraing-la-justice-enquete-sur-le-cristal-park-un-projet-mirage-aux-40-millions-d-argent-public-info-le-vif/article-normal-1543141.html?cookie_check=1651073925
Stationnement vélo et projet immobilier (SPW): http://mobilite.wallonie.be/cms/render/live/fr_FR/sites/mobilite/home/actus/zone-maincontent/actualites/stationnement-velo-et-projet-immobilier-bonnes-pratiques.html
How to protect kids from nature-deficit disorder (Berkeley University): https://greatergood.berkeley.edu/article/item/how_to_protect_kids_from_nature_deficit_disorder
Bois de la Neuville et de la Vecquée (SPW): http://biodiversite.wallonie.be/fr/2113-bois-de-la-neuville-et-de-la-vecquee.html?IDD=251660602&IDC=1881
Collectif « Bois du Val » : https://www.leboisduval.be/

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