BandeauAgriculture
Namur, le 15 décembre 2021

Politique Agricole Commune (PAC) :
les mauvaises règles du jeu

Une opinion de Julie Van Damme, experte "agriculture" chez IEW, épouse d'un éleveur proposée dans le contexte de négociations du Gouvernement de Wallonie relatives au Plan Stratégique PAC Wallon

J’ai commencé à écrire ce texte, il y a quelques mois déjà…
Je le termine en convalescence covid; en retrait du bras de fer qui se joue actuellement dans les rues de Namur, un peu dans les médias, beaucoup sur les réseaux sociaux et au Gouvernement wallon, paraît-il…
Le partage d’une déception en tant que partie prenante, citoyenne et épouse d’agriculteur…
Je me souviens très bien de cette sensation de juin 2020 lorsque je me suis assise à la table des parties prenantes dans cette grande salle de la Direction Générale du SPW. Dans une fenêtre présentielle entre deux vagues Covid, nous étions plus d’une vingtaine : des syndicats agricoles et unions professionnelles, des organisations environnementales et de la société civile, des représentants des ministres (agriculture et environnement) et des experts de l’administration, responsables de l’animation du processus de la construction du premier Plan Stratégique (PS) pour la programmation de la Politique Agricole Commune (PAC) de 2023 à 2027[1].

Je connaissais pas mal de monde autour de la table notamment parmi les représentants du monde agricole. C’était par contre, la première fois que je voyais en chair et en os mes partenaires de coalition avec qui je travaillais à distance depuis quelques semaines ! L’alliance imPAACte composé de WWF, Natagora, Greenpeace et Nature & Progrès a été initiée par IEW en juin 2018 lors de la sortie de la proposition de règlement de la Commission pour la PAC 2021-2027.

Légèrement impressionnée par mon changement de posture, de chercheuse à « partie prenante », c’est avec confiance et optimisme que j’abordais ces premières réunions. Après une phase d’observation, je me suis alors lancée pour une proposition qui m’apparaissait couler de source et que je n’avais pas encore entendue. Cette proposition était de tirer profit du nouveau cadre ambitieux pour l’environnement que proposait l’Europe à la fois dans le règlement PAC mais aussi dans son Green Deal[2] pour mettre en place des filières où les « efforts » des fermes pour « la nature » soient récompensés par une rémunération juste.
Faire en sorte que les agriculteurs puissent vivre de leur métier et non pas de subsides artificiels qui les maintiennent la tête hors de l’eau. Un vaste chantier certes, mais un changement de cap qui pouvait être initié en douceur dès 2023.

Etrangement, cette « idée » n’a reçu aucun écho dans la salle. J’ai alors persisté en dehors des réunions officielles en rencontrant des acteurs du monde agricole qui me semblait logiquement partager cette vision. J’ai vite compris qu’il ne s’agissait pas de discuter de vision dans ces débats PAC. Il y a un décalage énorme entre les slogans que l’on peut entendre publiquement et les discussions réelles éminemment techniques qui ont duré pas loin de 150 heures entre juin 2020 et mai 2021.

Je n’avais donc pas les bonnes règles du jeu. Car, le jeu des négociations PAC consiste en fait à ce que chaque partie prenante défende les « intérêts » et maintienne certains acquis de ceux qu’ils représentent. On parle d’ailleurs de « gagnants » et de « perdants » dans les simulations qui nous sont présentées. Il ne faut donc pas que ceux que l’on représente se retrouvent du mauvais côté.

J’ai malgré tout joué le jeu. Pour comprendre, apprendre et parfois même me prendre au jeu notamment en entendant comment les mesures de soutien à l’agriculture biologique étaient menacées.
Mais ce jeu-là ne m’a vraiment pas enthousiasmée. J’y ai découvert une machinerie complexe presqu’impossible à faire bouger en l’état. Tout changement impliquant généralement une nouvelle couche administrative qui doit être contrôlable. Au fil des décennies, la PAC a tenté de s’adapter et de répondre aux nouveaux enjeux environnementaux. A l’objectif initial d’assurer la sécurité alimentaire de la population européenne sont venus s’ajouter des mécanismes pour pallier la destruction des ressources naturelles. C’est à partir de là que la machine a accumulé des couches de normes aberrantes, tel des emplâtres sur une jambe de bois ; des mesures qui contraignent de plus en plus les agriculteurs et dont les résultats pour la nature sont inconsistants.

Pourtant, j’ai eu l’occasion de découvrir qu’il existe bien des outils dans cette PAC pour orienter nos systèmes agricoles et alimentaires dans une voie économique vertueuse pour les agriculteurs, la nature et la santé des citoyens par une alimentation composée de produits sains et de qualité issus de notre terroir. Il aurait certainement fallu beaucoup d’heures de discussion et de réflexion pour changer « le cœur du réacteur » pour reprendre les propos de Benoît Biteau, député européen. Mais quand je vois toute l’énergie dépensée par une vingtaine de personnes pour venir pendant autant d’heures à des réunions répéter inlassablement leurs positions et, sur le côté, passer au moins autant d’heures à simuler qui va gagner ou perdre en fonction du scénario, je suis convaincue qu’avec les milliards de la PAC et un objectif commun avoué et assumé, nous aurions pu arriver à autre chose ; une évolution réelle qui rendait le changement possible pour ceux qui le souhaitent...

Dans ce jeu, on m’a aussi fait endosser le rôle de « l’environnementaliste », celle qui ne défend pas des humains qui travaillent, mais les intérêts de la nature. Inhumaine donc… C’est sans doute cela qui est le plus dur à porter étant sincèrement animée par la volonté de soutenir le plus beau métier du monde, les hommes et les femmes qui le perpétuent ; pour qu’il ne soit pas juste le plus dur et le plus injuste des métiers dont plus personne ne voudra d’ici quelques années.

Ce qui compte aujourd’hui, MAINTENANT, mesdames et messieurs les ministres, c’est de faire en sorte de soutenir les agriculteurs qui pourront assurer la disponibilité d’une alimentation qui contribue à notre bonne santé tout en respectant l’environnement. Pour qu’ils soient toujours là dans 7 ans. Pour que l’on puisse, cette fois, jouer avec les bonnes règles du jeu…

[1] La programmation était initialement prévue pour 7 ans à partir de 2021 mais le processus a pris du retard e.a en raison de la pandémie covid. 2021 et 2022 sont donc deux années de transition dans la droite ligne de la PAC 2014-2020.
[2] Avec les stratégies de la Fourche à la Fourchette et Biodiversité
Julie Van Damme
Julie Van Damme
Agriculture

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