Accès à la justice : audition de la Fédération au Parlement fédéral

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Le 20 mars dernier, la Fédération IEW a été entendue par la Commission de la Justice du Parlement fédéral dans le cadre de propositions de loi modifiant le Code judiciaire en vue d’accorder aux associations le droit d’introduire une action d’intérêt collectif[[(Proposition de loi (Muriel Gerkens, Stefaan Van Hecke, Georges Gilkinet, Zoé Genot, Renaat Landuyt) modifiant le Code judiciaire en vue d’accorder aux associations le droit d’introduire une action d’intérêt collectif, n° s 1680/1 et 2 ; Proposition de loi (Christian Brotcorne) complétant l’article 17 du Code judiciaire et l’article 3 du titre préliminaire du Code d’instruction criminelle en vue d’instaurer au profit des associations une action d’intérêt collectif, n° 153/1)]]. D’autres secteurs ont également été entendus (Verenigde Verenigingen, UCM, UNIZO, FGTB, FEB). Les propositions de loi concernent les associations en général.

L’opportunité d’améliorer l’accès à la justice des associations

justicemoyen.jpg Force est de constater que l’accès à la justice pour les associations environnementales au niveau des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire est très problématique avec, en point d’orgue, une jurisprudence excessivement restrictive de la Cour de cassation. En effet, l’arrêt du 19 novembre 1982 de la Cour de cassation impose dans le chef de l’association l’existence d’un intérêt propre (intérêt personnel et direct) pour agir et considère que la défense d’un intérêt collectif défini dans les statuts d’une association ne constitue pas un intérêt propre. Avec la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, une association ne peut agir devant les cours et tribunaux qu’en vue de préserver ses intérêts propres (patrimoniaux notamment) mais non pas pour défendre la finalité pour laquelle l’association s’est constituée.
En ce qui concerne les matières environnementales au sens large, il existe des législations européennes et internationales qui contiennent des dispositions spécifiques en matière d’accès à la justice. Peut être citée notamment la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Cette convention énonce en son article 1er que les parties doivent garantir les droits d’accès à la justice. Elle prévoit notamment :

  • que les modalités d’accès à la justice doivent être définies en droit interne «conformément à l’objectif consistant à accorder au public concerné un large accès à la justice »[[article 9, § 2, al. 2]] ;
  • la mise en place d’« un cadre précis, transparent et cohérent » ou encore « des recours suffisants et effectifs »[[article 3, §1]] avec des procédures qui doivent être « objectives, équitables et rapides, sans que leur coût soit prohibitif »[[article 9, § 4]].

S’il est vrai qu’en vertu de la convention d’Aarhus, le droit interne peut édicter des critères à remplir par un quidam pour introduire un recours, comme le met en exergue la doctrine, encore faut-il que ces critères ne soient pas à ce point restrictifs qu’ils empêchent toute possibilité de recours.

Une action d’intérêt collectif pour permettre à l’association de défendre son objet social

Avec la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, l’association ne peut agir devant les cours et tribunaux qu’en vue de préserver ses intérêt propres (patrimoniaux notamment) mais non pas pour défendre la finalité pour laquelle l’association s’est constituée. La mise en place d’une action d’intérêt collectif permettrait de dépasser une vision individualiste du recours telle qu’elle est envisagée à l’heure actuelle, sauf lois particulières. Des associations se créent avec l’objectif de protéger des intérêts généraux à savoir la protection de l’environnement et non pas de protéger les intérêts individuels de leurs membres. La mise en place d’une action d’intérêt collectif permettrait de dépasser la vision individualiste / atomistique des procédures judiciaires actuelles.

Sur le concept d’intérêt collectif, le fait de reconnaître aux associations la possibilité d’introduire une action d’intérêt collectif ne constituerait en rien une immixtion dans les domaines d’intervention du procureur du Roi. Ce dernier veille au respect de l’intérêt général. Les associations environnementales poursuivent, quant à elles, comme objectif la protection de l’environnement qui n’est qu’une composante de l’intérêt général. Par ailleurs, les éventuelles actions des associations permettraient d’une certaine manière de venir en appui / en soutien du Parquet, ce qui pourrait également s’avérer opportun.

La crainte d’une hausse des recours des associations n’est pas fondée

Certains appréhendent probablement ce type de propositions de loi lesquelles risqueraient, selon eux, d’entraîner une augmentation importante du nombre de recours au niveau des cours et tribunaux. Néanmoins, selon la Fédération Inter-Environnement Wallonie, de telles craintes apparaissent infondées et ce, pour plusieurs raisons :

  • malgré l’adoption de la loi du 12 janvier 1993 concernant le droit d’action en matière de protection de l’environnement laquelle prévoit, moyennant le respect de certaines conditions, une présomption d’intérêt à agir en faveur des ONG d’environnement, le nombre de recours des associations environnementales n’a pas explosé ;
  • les associations environnementales ont généralement des moyens financiers très limités, en particulier les associations locales, et ne disposent donc pas de moyens extensibles à l’infini en sorte que toute décision d’intenter une action fera l’objet d’un examen minutieux ;
  • il existe désormais la loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et des frais d’avocat en vertu de laquelle la partie qui « perd » le procès devra verser une indemnité de procédure à la partie qui a « gagné » le procès. En conséquence, toute association ou même toute personne réfléchira consciencieusement avant d’introduire une procédure judiciaire ;
  • il convient également de rappeler qu’une association qui introduit un recours à la légère pourra, le cas échéant, être condamnée à payer des dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire.

Quid de l’opportunité de telles propositions alors qu’il existe des lois particulières ?

D’aucuns s’étonneront peut-être de l’opportunité de mettre en place une action d’intérêt collectif alors qu’il existe des lois particulières notamment une loi du 12 janvier 1993 relative à l’action en cessation en matière d’environnement. En vertu de cette dernière, le droit d’agir accordé aux associations se limite à demander la cessation d’actes qui peuvent constituer une violation ou une menace de violation de dispositions en matière de protection de l’environnement. Les propositions de loi actuellement discutées ont un champ d’application beaucoup plus large que la loi de 1993.

En cas d’adoption desdites propositions de loi, il convient néanmoins de maintenir la loi de 1993 au vu de ses caractéristiques spécifiques et de la faire coexister avec les propositions actuellement discutées, ces dernières viendraient donc judicieusement compléter l’arsenal juridique qui existe d’ores et déjà. Il convient de mettre en avant que la reconnaissance d’un intérêt à agir en faveur des associations n’a rien de « révolutionnaire » mais ne fait que venir compléter un droit d’action déjà reconnu mais de manière limitée aux associations.

Des entraves en terme d’accès à la justice à supprimer

  • L’association doit être dotée de la personnalité juridique depuis au moins un an

Une des propositions de loi énonce expressément que l’association doit être dotée de la personnalité juridique depuis au moins un an : ce critère n’est pas souhaitable. En effet, si le critère de la personnalité juridique semble fondé afin de garantir une certaine stabilité dans le chef de l’association, tel n’est pas le cas de la durée minimale d’un an. Dans son avis rendu en 2010, la section de législation du Conseil d’Etat a clairement mis en exergue qu’en imposant une telle condition, la proposition de loi (laquelle portait sur la modification des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat) s’avérait plus restrictive que la jurisprudence actuelle du Conseil d’Etat dès lors que ce dernier avait jugé recevables des recours d’asbl constituées dans le cadre d’un projet déterminé alors même que l’association n’avait pas la personnalité juridique depuis un an. Cette analyse pourrait être transposée aux propositions de loi débattues et ce, dans un souci de cohérence.
L’objectif de cette condition d’un an résulte probablement de la crainte qu’il y ait, comme on a pu le lire dans certains documents parlementaires, des « procédures dilatoires » ou la constitution « d’association d’opportunité ». Néanmoins, cette crainte doit être relativisée au vu des éléments énoncés plus haut (risque de dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire notamment). Qui plus est, ce n’est pas parce qu’une association est émergente ou vient de se constituer qu’elle ne tend pas à assurer la défense d’une composante de l’intérêt général à savoir la protection de l’environnement. Si on transpose la jurisprudence du Conseil d’Etat aux propositions de lois actuellement débattues, le critère consistant à dire que l’association doit avoir la personnalité juridique depuis au moins un an est donc trop restrictif.
Imposé un tel critère pourrait également avoir des conséquences au niveau de la prescription des actions ; le temps que l’association se constitue et dispose de la personnalité juridique depuis au moins un an, l’action pourra, dans certains cas, être prescrite.
Aux yeux de la Fédération, la condition imposée à l’association d’être dotée de la personnalité juridique depuis au moins un an devrait être supprimée d’autant que le fait de prévoir dans les autres critères que l’association doit « poursuivre de manière régulière, effective et durable des activités en rapport avec son objet social » pourrait suffire à éviter les abus éventuels liés à la mise en place d’asbl de pure opportunité.

  • La difficulté pour certaines associations d’agir contre des projets locaux

Une autre difficulté que devrait lever les propositions de loi et à laquelle sont confrontées certaines associations qui ont un champ d’intervention sur un vaste territoire, c’est l’impossibilité, ou à tout le moins l’extrême difficulté, d’agir contre des projets aux impacts locaux. Il convient de s’assurer que cette difficulté soit levée par les propositions de loi débattues. Cette jurisprudence est d’autant plus sujette à critique que, dans certains cas, il n’y aura pas de mobilisation locale ou, au contraire, cette mobilisation existera mais ne disposera pas de moyens financiers pour introduire une éventuelle action en justice.

Les deux difficultés énoncées devraient, aux yeux de la Fédération, être supprimées sous peine qu’un certain nombre d’actes, d’omissions, de projets aux impacts locaux et portant atteinte à l’environnement ne pourraient pas être poursuivis en justice.

Conclusion

En guise de conclusion, il importe de se rendre compte, que hormis les lois particulières, au vu de la jurisprudence restrictive des cours et tribunaux qui empêche dans la plupart des cas une association de défendre l’objet social pour lequel elle s’est constituée, les propositions de loi discutées constituent une réelle avancée en matière d’accès à la justice.
Si le droit interne a la possibilité de fixer des critères pour permettre aux associations d’agir en justice, ces critères ne peuvent être à ce point stricts qu’ils empêcheraient tout recours dans le chef des associations.
La Fédération sera attentive à l’évolution législative de ce dossier.

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