Aménagement du territoire : mais où donc est passée l’urgence climatique ?

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Le changement climatique, c’est aussi une affaire d’aménagement du territoire. Et ce « aussi » désigne une part non négligeable du problème: l’accroissement constant des émissions dues au transport est largement lié aux politiques d’implantation des fonctions. Contrer le changement climatique demande donc, en matière d’aménagement, une petite révolution. Où en est-on ?

Il suffit de fréquenter nos autoroutes à plusieurs moments de la journée pour en constater la surcharge. Aux heures de pointe s’allongent les files de voitures: voici les navetteurs, obligés de la bagnole dès lors que l’habitat s’est étalé au point que la desserte en transports en commun n’est plus guère envisageable, que l’école et les commerces sont bien trop éloignés pour qu’on s’y rende à pieds. Et à toute heure s’étire la procession des camions : combien plus légère serait-elle si les zones d’activités économiques n’avaient pas été développées avec, pour premier critère d’implantation, la proximité de l’autoroute ?

Contrer le changement climatique demande donc, en matière d’aménagement, une petite révolution. Où en est-on ?

L’analyse des dossiers dévolus à la Cellule de développement territorial suscite quelques inquiétudes. La Cellule est une équipe d’une dizaine de personnes issues de la fonction publique et pilotée directement par le Cabinet de ministre de l’aménagement du territoire. Elle a en charge les révisions de plan de secteur que le Gouvernement estime urgentes ; l’énumération de ses dossiers reflète donc les priorités wallonnes en matière de grands projets à développer sur le territoire régional. On se réjouit d’y trouver l’important dossier du RER qui devrait nous amener un service ferroviaire amélioré sur les lignes 124 (entre Bruxelles et Nivelles) et 161 (entre Bruxelles et Louvain-la Neuve). On déchante face au reste : les projets de Bierset et Gosselies sont liés au développement des aéroports ; deux autres projets sont routiers (la E420 au sud de Charleroi et la RN54, deux très vieux dossiers qui plongent dans les eaux de l’oubli ou en ressurgissent selon la configuration politique du moment). S’y ajoutent encore deux projets privés, mais très soutenus on s’en doute par l’autorité régionale : l’installation d’un circuit de moto-vitesse et d’entreprises axées sur la moto à Dour (près des villages d’Elouges et Thulin, sur le site du zoning) et enfin le développement d’un Centre européen de la nature et de la glisse à Antoing, avec pistes de ski, anneau de glace et tout le toutim, 850 000 visiteurs attendus. Vivent donc le développement du transport aérien et routier, et les sports dispendieux en énergie, qu’on viendra pratiquer de loin… et en voiture, évidemment.

Ouf, ce n’est pas là toute la politique d’aménagement du Gouvernement : l’immobilier commercial constitue un autre point sensible, les grands ensembles commerciaux générant une demande en mobilité proportionnelle à leur zone de chalandise. Et là, c’est nettement mieux. Le Ministre Antoine a pris fait et cause pour les centre-villes et n’hésite pas à prendre décision en conséquence. Il l’a rappelé récemment au MAPIC[[Le MAPIC est le marché international des professionnels de l’immobilier commercial. Source : LALIBRE.be, mise ne ligne du 16/11/2007]], relevant que d’ores et déjà six projets sont passés à la trappe, notamment pour avoir pris place en zones dédiées (et donc subsidiées) à l’accueil d’entreprises économiques : à Bierges, Eghezée, Rhisnes, Assesse, Sambreville et prochainement Sterpenich. Seul le Cora Mouscron, voulu corps et âme par Jean-Pierre Detremmerie, a trouvé grâce à ses yeux – une grâce imméritée : ce méga centre avec hypermarché et galeries commerçantes devrait drainer plus de 15 000 véhicules/jour.

Au-delà des grands projets, l’impact sur le climat de nos politiques urbanistiques et d’aménagement est surtout lié à l’extension de l’urbanisation, qui semble inexorable. Toutes les deux heures, c’est un terrain de football qui est ainsi soustrait à l’espace ouvert en Wallonie; la seule fonction résidentielle avale un mètre carré par seconde[[Source ; Statbel et calcul personnel : 218km² gagnés en 7 ans par la fonction résidentielle]] . Le nombre de dossiers de lotissement de plus de deux hectares s’alourdit d’année en année comme on peut le constater sur le site du CWEDD : 9 dossiers en 2002, 13 en 2003 (plus un parc d’affaires, plus un hypermarché) ; 18 en 2004 (plus huit surfaces commerciales), 26 en 2005 (plus cinq grands projets commerciaux et trois constructions groupées), 29 en 2006 (plus 6 gros projets immobiliers, 9 projets commerciaux)… La toute grande majorité de ces lotissements est encore implantée en zone rurale, à la périphérie des villages. Les projets plus urbains, à densité plus importante, apparaissent sporadiquement (on citera par exemple celui de la Drève Prévert à Mons). L’essentiel de la demande se focalise toujours sur la villa quatre-façades, construite « à la campagne » et isolée au milieu d’un terrain de quelques ares. Pourtant, le quartier « durable » est d’abord celui qui propose un logement proche des activités et des services, avec une densité suffisante pour justifier l’implantation de commerces de base, d’une ligne de bus. Les ménages wallons seront confrontés à cette réalité dans les années qui viennent, lorsque le prix du carburant viendra grever le budget au point qu’il faille laisser la voiture au garage… ne tardons-nous pas un peu trop à en prendre conscience ?

Si l’autorité publique se dit de plus en plus consciente de l’urgence climatique, dans la plupart des domaines cette conscience tarde à se manifester, on le voit, au niveau décisionnel. La volonté politique est parfois défaillante, c’est particulièrement clair en ce qui concerne les « grands projets » évoqués en début de cet article : nos élus éprouvent une difficulté réelle à se détacher d’une perspective mettant dans un même axe emploi, bien-être et constructions nouvelles. Avoir un zoning sur le territoire communal reste un objectif en soi ; le lotissement pourvoyeur d’additionnels à l’IPP est souvent bien vu… Mais ne nous voilons pas la face : la culture de la population apporte aussi au système son pesant d’inertie. Refuser demain aux ménages le type de logement dont ils sont demandeurs n’est guère envisageable : il faut donc une évolution en douceur, travaillant sur la sensibilisation, non pour amener une nouvelle forme de pensée unique (l’habitat urbain et dense à tout prix) mais pour dégager l’imagerie mentale qui a encore cours aujourd’hui (la-famille-deux-enfants-un-chien-heureuse-sur-sa-pelouse-devant-sa-villa) et axer le choix du ménage sur ses besoins réels et son confort de vie (ne pas devoir jouer les parents-taxis, trouver au coin de la rue le paquet de sucre oublié lors des courses… ça compte aussi !).

Tout cela est possible, certes… mais en avons-nous encore le temps ?

Canopea