Changements climatiques : agir fort et de suite pour l’AIE !

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Ce 7 décembre 2011, Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a présenté le dernier rapport annuel ‘World Energy Outlook 2011’ à Bruxelles. Voici quelques points saillants de ce travail remarquable qui, s’il part d’un constat sans concession, montre aussi que les solutions sont possibles.

Bilan pessimiste à l’AIE

Le Dr. Birol est considéré par le magazine Forbes comme un des personnages les plus influents sur la scène énergétique mondiale. Son bilan pessimiste repose sur plusieurs constats :

  • La crise économique a distrait l’attention et les moyens politiques loin des enjeux énergétiques et climatiques
  • Une grande incertitude repose sur l’avenir du nucléaire dans le monde post-Fukushima
  • Le printemps arabe fait peser des incertitudes sur l’approvisionnement en pétrole
  • Les tendances mondiales de 2010 sont mauvaises :
    • émissions de CO2 record, malgré tous les discours politiques
    • recul inhabituel de l’efficacité énergétique globale, pour la seconde année consécutive
    • dépenses quasi-records pour les importations de pétrole

Dans ce contexte, l’AIE estime que le pétrole pourrait atteindre à court terme des prix avoisinants les 150$ le baril.

Trois scénarios montrant l’urgence de l’action politique

Partant de ce bilan, le World Energy Outlook 2011 étudie trois scénarios principaux :

« Le scénario central, « nouvelles politiques », table sur une mise en ½uvre prudente des engagements récemment pris par les gouvernements même s’ils ne sont pas encore tous traduits par des mesures fermes. La comparaison avec les résultats du Scénario « politiques actuelles », selon lequel aucune nouvelle mesure ne vient s’ajouter à celles en vigueur au milieu de 2011, fait ressortir l’importance de ces engagements et des plans qui s’y rattachent. Par ailleurs, la comparaison avec les résultats du Scénario 450 est aussi instructive, car ce dernier part de l’objectif international visant à limiter à 2°C la hausse à long terme de la température moyenne mondiale par rapport aux niveaux préindustriels afin de tracer une trajectoire plausible vers sa réalisation. Les différences importantes entre les résultats de ces trois scénarios mettent en relief le rôle décisif des gouvernements dans la définition des objectifs et de la mise en ½uvre des politiques nécessaires pour déterminer notre avenir énergétique. »

Seul le scénario 450 est compatible avec un maintien de la concentration en CO2 dans l’atmosphère sous les 450 ppm, nécessaire pour avoir 50% de chances de limiter à 2°C de la hausse moyenne de température. De manière très claire, ni les mesures déjà prises (scénario « politiques actuelles »), ni celles qui sont actuellement en préparation un peu partout (scénario « nouvelles politiques ») ne suffisent pour permettre un avenir durable.

« Nous ne pouvons pas nous permettre de remettre à plus tard l’action contre le changement climatique si nous voulons atteindre à un coût raisonnable l’objectif à long terme d’une limitation à 2°C de l’augmentation de la température moyenne mondiale : c’est ce que montre le Scénario 450. Dans le Scénario « nouvelles politiques », le niveau des émissions mondiales de CO2 entraîne à long terme une hausse de la température moyenne de plus de 3,5°C. Si ces nouvelles politiques ne sont pas mises en ½uvre, le monde s’oriente vers une issue encore plus dangereuse, à savoir une augmentation de la température de 6°C ou plus. »

« Faute d’entreprendre des actions radicales d’ici à 2017, la cible des 2°C sera inaccessible pour toujours ! » [[Sauf à débrancher volontairement des équipements fonctionnels et encore non amortis, ce qui serait difficilement acceptable pour les gestionnaires de ces équipements.]]

Depuis plusieurs années, nous collons à la trajectoire menant à 6°C d’augmentation moyenne de température. Aucune amélioration n’est encore perceptible selon l’AIE.

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« Faute d’entreprendre des actions radicales d’ici à 2017, les infrastructures énergétiques déjà en place à cette date atteindront à elles seules la limite d’émissions de CO2 permises jusqu’en 2035 dans le Scénario 450. La marge pour la construction de nouvelles centrales, usines ou autres infrastructures serait donc nulle, à moins que ces dernières n’émettent pas de carbone du tout, une possibilité extrêmement onéreuse. »

« En reportant l’action, nous réaliserions de fausses économies : chaque dollar d’investissement non réalisé dans le secteur de l’électricité avant 2020 entraînerait 4,3 dollars de dépenses supplémentaires après cette date afin de compenser l’augmentation des émissions. »

En 2010, il y a eu 66 milliards de dollars de subsides aux énergies renouvelables, à comparer aux 409 milliards de soutien public pour les carburants fossiles. Dans ce contexte, l’AIE estime crucial de maintenir les subsides en faveur du développement des énergies renouvelables malgré la crise : globalement, ces subsides devraient croitre fortement dans les années à venir, parallèlement à une diminution conséquente des subsides à destination des énergies fossiles.

Réduire la demande

Si l’AIE considère que la demande globale en énergie ne peut que croître, le Dr. Birol tempère tout de même ce postulat : cette augmentation se justifie surtout dans des régions comme l’Afrique Subsaharienne ou l’Asie du Sud-Est, pour d’évidentes raisons d’équité dans l’accès à l’énergie. Les pays de l’OCDE doivent pour leur part diminuer leur consommation. Même des pays émergents comme la Chine devront bientôt faire des efforts en ce sens, puisque les émissions par habitant devraient y égaler celles des pays de l’OCDE d’ici 2035.

En ce qui concerne l’Union Européenne, l’AIE indique que la demande totale d’énergie primaire devra diminuer sous le niveau de 1990 avant 2030 pour avoir 50% de chances d’atteindre les objectifs climatiques.

« La principale contribution à la réalisation des objectifs de sécurité énergétique et de protection du climat vient de l’énergie que nous ne consommons pas. »

Scénario « nucléaire faible »

Il est significatif que l’AIE ouvre la porte à un monde moins nucléarisé, suite aux difficultés intrinsèques à l’énergie nucléaire que la catastrophe de Fukushima a remis en lumière.

« Le cas « nucléaire faible » postule qu’aucun nouveau réacteur n’est construit dans la zone OCDE, que les pays hors OCDE ne procèdent qu’à la moitié des accroissements de puissance installée prévus dans le Scénario « nouvelles politiques » et que la durée de vie des centrales nucléaires existantes est raccourcie. »

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Une variante, le scénario « nucléaire faible 450 » montre qu’il est possible de réduire globalement le recours au nucléaire tout en rencontrant l’objectif climatique de 2°C d’augmentation maximale de température moyenne. Y arriver nécessite de réduire plus fortement la demande en énergie primaire et de donner plus de place aux énergies renouvelables.

Regrettons cependant que ce scénario, plus encore que les autres, ait recours à une technologie qui, selon l’AIE elle-même, est loin d’être disponible, à savoir le captage et stockage du carbone (CSC). La place importante donnée à cette possibilité encore hypothétique (18% des réductions d’émissions obtenues, dans le scénario 450) fragilise le travail de prospective réalisé par l’AIE. Si le CSC n’est pas au rendez-vous, il faudra augmenter d’autant l’effort de modération de la demande et le déploiement des énergies renouvelables.

« L’accès universel à l’énergie ne coûtera pas les yeux de la tête »

Soulignons également qu’à la veille de l’année 2012, proclamée « Année internationale de l’énergie durable pour tous » par l’ONU, l’AIE donne un message fort, à contre-courant des discours qui tentent de reporter le problème sur la démographie mondiale.

Résoudre les problèmes d’accès à l’énergie des 1,3 milliard d’individus qui n’ont pas d’électricité (20% de la population mondiale) et des 2,7 milliards qui utilisent toujours la biomasse traditionnelle pour la cuisson des aliments (40% de la population) est tout à fait faisable. Cela nécessite d’y consacrer 3% de l’investissement énergétique total d’ici à 2030.

« L’accès universel en 2030 ferait augmenter de moins de 1 % la demande mondiale de combustibles fossiles et les émissions de CO2 qui y sont associées, un chiffre dérisoire au regard de sa contribution au développement humain et au bien-être. »

Conclusion

L’Agence Internationale à l’Energie intègre de plus en plus clairement à sa réflexion des éléments tels que la contrainte climatique, les difficultés du nucléaire ou l’équité dans l’accès à l’énergie. Ce changement doit se poursuivre et s’approfondir, notamment en abordant plus explicitement la très délicate question de la modération de la demande là où il y a surconsommation. La difficulté d’affronter frontalement cette question est illustrée par le recours à des artifices technologiques encore hypothétiques, tels que le captage et stockage du carbone.

Le travail de l’AIE est remarquable en ce qu’il met clairement le monde politique devant ses responsabilités. A la lecture du ‘World Energy Outlook 2011’, les engagements pris à Durban se révèlent largement insuffisants et excluent de facto la possibilité d’atteindre l’objectif de limitation à 2°C des hausses moyennes de températures[Voir notre communiqué du 11 décembre 2011 : [Durban : un accord qui sauve les apparences mais pas le climat ]]. Des politiques nettement plus ambitieuses devront être mises en place, rapidement.

http://www.worldenergyoutlook.org/