Couvin: chaud, chaud, le contournement!!!

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La Région traîne dans ses cartons quelques dossiers qui, tel le monstre du Loch Ness, font des apparitions récurrentes et parfois s’ensommeillent au plus profond des tiroirs de l’administration. Le contournement de Couvin : un dossier bien Loch Ness, et ce dragon-là, vieux de plus de vingt ans, a trois têtes.

Il s’agit d’abord de la liaison Rotterdam-Marseille: la liaison actuelle, par l’est de la France, devrait être dédoublée par une autre liaison traversant la Wallonie en empruntant le tracé de la RN5 entre Charleroi et la frontière (Brûly), pour se prolonger ensuite dans les Ardennes françaises. Il s’agit ensuite (et plus récemment) du contournement de Couvin, dont le centre est encombré par les camions au point de susciter de vives réactions de la population, notamment des commerçants locaux; il y a enfin – c’est un non-dit mais c’est un fait qui semble peser lourd – le désenclavement de Viroinval, commune voisine dont Michel Lebrun fut maïeur, lui qui fut aussi, il y a deux législatures de cela, Ministre de l’aménagement du territoire.

Seulement, voilà: on ne mène pas un dossier de la même façon suivant celui des résultats que l’on poursuit.

Si c’est de la liaison internationale qu’il est question, alors peu importe que l’on double Couvin par la gauche ou par la droite, peu importe aussi la nature du trafic qui traverse la ville: l’essentiel est de créer une voie plus rapide que celle passant actuellement dans les rues habitées d’une petite ville.

Si par contre il est question d’éviter les camions dans Couvin, il en va tout autrement. Des camions qui entrent en ville, combien s’arrêtent à Couvin même? Combien partent vers Chimay ou Cul-des Sarts, flux qui ne seront jamais, ou du moins jamais complètement, repris par un contournement est? Pour connaître ces données indispensables à l’examen des solutions, il faut évidemment disposer des résultats d’un comptage origine-destination… Ce comptage n’a jamais eu lieu. Entre les deux le dossier flotte dans l’ambiguïté, mais glisse au fil du temps vers le second avatar (désencombrer Couvin), plus urgent. C’est néanmoins le contournement par l’est qui est finalement inscrit au plan de secteur, alors qu’il ne reprend ni le trafic vers Chimay ni celui vers Cul-des-Sarts. Mais qu’il permet de désenclaver Viroinval, tiens voici la troisième tête du dragon!.

En 2001, une demande de permis introduite par le MET fait l’objet d’une étude d’incidences. Celle-ci s’avère incomplète; les commissions régionales d’avis émettent le souhait de recevoir des compléments notamment en matière d’équilibre remblais-déblais et de stabilité. Voyez l‘avis du CWEDD. Ces compléments sont fournis mais restent insatisfaisants car partiels: ils consistent en une étude technique, mais au total il n’y a pas étude d’incidences, au sens plein du terme, sur la partie du tracé située au sud du Ry de Rome.
Ce manquement n’est pas formel. En effet, ce que ni la CRAT ni, probablement, le Gouvernement n’avaient réalisé en inscrivant le tracé est au plan de secteur, c’est l’énormité de la masse de déblais que crée la route, notamment en entrant dans le massif calcaire situé au nord de la route de Petigny. Au total, le chantier générerait un million et demi de mètres cube de terres. Que faire de cette masse? Le MET a résolu le problème à sa manière, c’est à dire simplement: on les met sous la route, pardi! Donc, les vallées (Eau noire, Ry de Rome) seront franchies en remblai; ce qui représente, pour de Ry de Rome dont la vallée est la plus encaissée, une barre de 46m de haut et de plus de 250 mètres de largeur au pied (mais consolons-nous, il y aura un aménagement écologique du ruisseau le long du pertuis, sisi!). Et cela ne suffit pas: au sud du Ry de Rome, la route sera relevée sur la plus grande partie de son tracé, toujours pour absorber les déblais en excès. D’évaluation paysagère de l’effet produit, point…

Sans surprise, le dossier collecte les avis négatifs. L’étude d’incidences souligne la perte de nombreux milieux naturels de grand intérêt; le Conseil supérieur de la conservation de la nature remet un avis négatif sur la demande de dérogation visant à des habitats protégés (reptiles, batraciens, mammifères, diverses plantes) et s’interroge quant aux éléments sur lesquels s’appuie le demandeur pour justifier l’absence d’alternative. Les avis de la CRAT et du CWEDD sont défavorables par deux fois sur l’opportunité du projet.

Celui-ci n’en passe pas moins; le directeur de la DNF accorde les dérogations « nature » contre l’avis du Conseil et le Ministre Antoine délivre le permis en date du 16 mars 2007.
Natagora et Inter-Environnement forment alors un recours en suspension du permis devant le Conseil d’Etat; deux propriétaires forestiers dont les bois sont coupés par la route en projet en font autant. Tant les associations que les particuliers font valoir l’incomplétude de l’étude d’incidences. Cette dernière va de pair avec l’absence d’un réel résumé non technique. C’est cette branche du moyen que retiendra le Conseil d’Etat car l’absence d’une pièce à l’enquête publique constitue un « moyen d’ordre public ». Vous vous sentez l’âme juridique? Voyez sur ce lien. Ne l’aurions-nous pas soulevé, ce moyen aurait vraisemblablement été tout aussi bien retenu: le juge peut soulever d’office de tels moyens… aussi le Conseil d’Etat se dispense-t-il d’examiner la recevabilité de requérants et annule-t-il immédiatement le permis.

Voilà qui fait de vagues à Couvin où l’on attend avec impatience le contournement… Le Ministre a promis un nouveau permis pour bientôt, une fois réalisé le résumé non technique. Il est aujourd’hui question que ce permis soit pris par décret. Mais ceci ne change évidemment rien au fond, et le problème des déblais continue de hanter ce dossier, comme les camions continuent de hanter le centre de Couvin. Dans ces conditions, bien malin qui peut dire comment le dossier va tourner…
Mon petit conte ne s’arrête donc point ici: il y aura une suite au feuilleton. Mais on peut déjà en tirer une morale: quand la Région conduit un dossier, le moins serait qu’elle sache quel objectif elle vise. Entre une liaison Rotterdam-Marseille, un contournement et le désenclavement d’une commune voisine, il faudrait peut-être trancher, sous peine que le dossier de Couvin, tel l’âne de Buridan, meure de n’avoir su choisir.

Canopea