La VDM du SG*

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«Secrétaire général des Nations Unies.»«Secretary-General of the United Nations.» Il n’y a pas à dire, ça a de la gueule ! Le genre de titre qui pose son homme, illumine une biographie, couronne une carrière. Il n’empêche que, personnellement, on me le proposerait, je le refuserais (il s’agit évidemment là d’une pure et grossière pirouette littéraire au service de mon argumentation ; je sais que le degré de probabilité de cette situation est inférieur encore à celui de voir Jodie Foster sortir de mes fantasmes pour entrer dans une réalité où elle succomberait au charme de la femme qui se cache en moi… Ceci étant acté, pirouettons et poursuivons.). Je refuserais car le prestige et les honneurs ne me suffiraient par pour accepter l’humiliation quotidienne liée à la fonction. Sans doute ai-je l’ego particulièrement frigide mais je ne saurais jouir d’être admis dans la cour des grands et invité à leurs teufs alors que cela implique de devenir la tête-à-claque officielle de la bande, le «cause toujours tu m’intéresses» qui s’agite en vitrine pendant que cela magouille dans l’arrière-boutique.

Etre à la tête des Nations Unies, c’est se trouver face à 193 Etats plus cancres que membres dont l’intérêt national prime viscéralement sur le bien global et qui, même s’ils vous écoutent parler, tonner, exhorter plus ou moins respectueusement, n’en feront in fine qu’à leur tête (et à hauteur de la marge d’action que daigneront leur laisser la World Company et ses filiales).
Etre à la tête des Nations Unies, c’est afficher un air ravi et un sourire ouistiti sex en serrant la main de la plus immonde crapule ou du pire dictateur.
Etre à la tête des Nations Unies, c’est assumer les vilénies et petits arrangements avec le droit et le morale qu’implique une realpolitik inter- et multi- nationale.

J’ouvre ici une parenthèse : (Je fus, dans une autre vie, confronté au pragmatisme indécent de cette realpolitik. En reportage dans le Nord de l’Irak, je me suis retrouvé à proximité d’un camp de réfugiés sur lequel flottait le pavillon bleu des Nations Unies. Curieux d’en savoir plus sur cette installation, je pus rencontrer l’officier responsable qui m’expliqua que… ce que je voyais n’existait pas ! Officiellement, il n’y avait là ni camp, ni réfugiés. Explication off : il importait de ne pas fâcher la Turquie, Etat occupant une position géostratégique majeure. Pas question, donc, de reconnaître ni même évoquer l’existence d’une minorité kurde persécutée venue chercher refuge et protection de ce côté-ci de la frontière. Pas question non plus de dénoncer les raids quotidiens de l’aviation turque contre des villages décrétés «sanctuaires rebelles», raids violant impunément l’espace aérien irakien alors même que la communauté internationale contrôlait le ciel de la région pour la protéger contre les frappes de Saddam Hussein. Pas même question, par précaution oratoire valant in fine acceptation d’un terrorisme d’Etat qui criminalise un peuple et sa culture, de prononcer les mots «kurde» et «Kurdistan»… Ce n’est là qu’un infime – mais signifiant – exemple de la face immergée de l’iceberg géopolitique contre lequel les maîtres du monde acceptent de fracasser leur conscience. Je ferme la parenthèse : )

Bref, être à la tête des Nations Unies exige une capacité d’absorption et de digestion de couleuvres hors du commun, un moral immunisé contre le découragement mais aussi la révolte, un taux élevé de faux-culterie… et une estime de soi qui s’accommode de tout ça. Autant de «qualités» qui forceront l’admiration des uns et le mépris des autres mais dont je suis en ce qui me concerne désespérément dépourvu. Ce qui explique sans doute le sentiment de «vie de merde» éprouvé en voyant l’autre jour Ban Ki-moon, Secrétaire général onusien en titre, s’exprimer sur la question climatique devant un parterre de costumes trois pièces et tailleurs chics.

Depuis son entrée en fonction le 1er janvier 2007, l’homme illustre jusqu’au pathétique l’expression «prêcher dans le désert». Tandis qu’il s’épuise à répéter que «nous sommes en guerre pour le climat» et que «la question climatique constitue le plus grand défi auquel l’humanité aie été confrontée», ses Etats ouailles s’enferment dans une inaction ayant valeur de bras d’honneur. Il est vrai que prôner «le respect de la Terre nourricière» devant des décideurs obnubilés par la croissance et la vigueur de l’économie, c’est un peu comme appeler à l’abstinence sexuelle au Salon de l’érotisme ou faire de la pub pour la Journée sans viande sur le site de la Fédération des bouchers-charcutiers, cela relève du SM soft…
Et pourtant, sans cesse sur le métier Ban remet son ouvrage. Cette fois dont je vous parle, il se risqua même à flirter – discrètement – avec les frontières de l’alarmisme, déclarant : «Il sera bientôt trop tard… Nos modes de consommation sont incompatibles avec la santé de la planète. Notre empreinte écologique est démesurée.»

Les autres sujets du digest de l’info hebdomadaire où je le découvrais conférèrent au propos un caractère aussi surréaliste qu’anachronique : augmentation de 25% des immatriculations de voitures neuves en Chine ; commande de 234 Airbus A320 par la compagnie low cost indonésienne Lion Air et de 175 Boeing 737 par Ryanair ; avancée sérieuse des négociations pour la vente de 6 réacteurs EPR français à l’Inde ; vente record de tablettes numériques lors du 1er trimestre 2013 ; découverte d’un important gisement pétrolier dans le Sud de l’Iran ; chassés – croisés aériens et routiers massifs à l’occasion des vacances de Pâques. Pas de quoi espérer un renversement du constat posé par le porte-flambeau onusien: «Sur quatre-vingt-dix objectifs adoptés d’un commun accord par la communauté internationale dans le domaine environnemental ces vingt dernières années, seuls quatre affichent des progrès notables.» Il aurait pu ajouter que, chaque année en décembre, la Conférence sur les changements climatiques organisée par sa vénérable institution claque la porte au nez de «la dernière chance d’arriver à un accord permettant de limiter le réchauffement global sous les 2°C à l’horizon 2100». Depuis le temps qu’elle traîne dans les négociations, cette « dernière chance »-là est d’ailleurs avariée et il faudrait penser à la jeter si on veut éviter qu’elle contamine «la dernière chance d’adopter des mesures d’adaptation aux conséquences des changements climatiques».

Allô… Non mais allô, quoi! Tu es SG de l’ONU et tu acceptes qu’on n’accorde pas plus d’importance à tes propos qu’un alcoolique à son foie ? Allô…? Allô…?!? Je ne sais pas, vous me recevez ? Tu es SG de l’ONU et tu acceptes qu’on n’accorde pas plus d’importance à tes propos qu’un alcoolique à son foie ! C’est comme si je disais tu es SG de l’Onu et ton discours n’a pas plus d’impact que la dissertation «Changements climatiques : mythes et réalité» présentée par Jean-Kevin devant la 5ème Technique de qualification Coiffure, option Mèches et Balayage, de l’IPSLSPJ (Institut Professionnel Supérieur Libre Saint-Pierre et Judas) d’Uccle-Calvoet.

Avouez qu’il y a de quoi ruer dans les brancards Pourtant, pas question pour l’homme de perdre son flegme diplomatique. Poli et policé il est ; poli et policé il restera ; et toujours dans le désert il prêchera.

En voyant Ban saluer son auditoire avec cette déférence contrite propre aux Asiatiques, je n’ai pas pu m’empêcher d’éprouver une certaine compassion pour la vie de merdre de cet homme. J’aurais voulu lui dire : «Casse toi, mon gars. Reprends ta vie en main. Rien, aucune cause, aucune fonction, ne justifie qu’un individu comme toi, sans nul doute intelligent et à coup sûr riche de convictions, ne soit poussé à bout jusqu’à danser le Gangman style devant les caméras du monde entier. Rentre à Chungju. Réserve ton temps à Yoo Soon-taek, Ban Woo-hyun, Ban Hyun-hee et Ban Seon-yong, ta femme et tes enfants. Cultive des orchidées, compose des haïkus, mets toi à la cuisine ou au bricolage, vas à la pêche, crée une Fondation, fais du yoga, de la poterie ou du body-building mais abandonne cette vie de merde. Cela ne changera pas le cours du monde et tu retrouveras un brin de dignité. »

Mais après tout, peut-être qu’il aime vraiment cela, le prestige et les honneurs ? Peut-être qu’il ne se sent pas pathétique à jouer les guignols officiels ? Peut-être, en fin de compte, est-ce moi qui suis pitoyable à croire encore en des principes et des valeurs périmés…

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, restez vigilants car, comme le dit le proverbe : «Quand on se noie, on s’accroche à tout, même au serpent.»

* La vie de merde du Secrétaire général

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