La supracommunalité à la française, un exemple à suivre ?

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Territoire
  • Temps de lecture :8 min de lecture
You are currently viewing La supracommunalité à la française, un exemple à suivre ?

La supracommunalité est une réalité bien ancrée chez nos voisins français, notamment en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Chez nous, elle se vit encore de manière très expérimentale et informelle. Mais elle est en marche.

C½ur du Hainaut, Wallonie Picarde, Pays de Herve Futur, Pays de Famenne, Conférence d’arrondissement des Bourgmestres et du collège provincial de Liège… Oui, la supracommunalité intéresse les élus wallons. Oui, la supracommunalité existe déjà ici et là sur le territoire wallon. Et, oui, la supracommunalité est en marche en Wallonie.

Reste qu’aujourd’hui, elle s’opère en Wallonie dans un vide juridique absolu, selon des logiques de regroupement parfaitement aléatoires, selon des modalités les plus diverses, sur des compétences très variées, avec un financement des plus incertains, et sans aucun contrôle démocratique. Le volontarisme et l’ingéniosité de certaines personnes à penser leurs territoires au-delà les limites de leurs communes est le principal moteur de la réflexion wallonne en la matière. Parfois ce sont des bourgmestres comme dans le Pays de Famenne, parfois c’est la société civile comme dans le Pays de Herve Futur. Car en l’état, mis à part des déclarations d’intention présentes dans la Déclaration de politique régionale (DPR) ou dans le Schéma de développement de l’espace régional (SDER), le droit wallon demeure bien muet sur la question.

Dans ce contexte, l’Institut Jules Destrée a organisé le 1er mai 2012 un colloque consacré à « l’intelligence territoriale ». Ce concept un peu ronflant recouvre en fait des années de réflexions et d’expérimentations sur l’articulation entre échelles d’action et pertinence de l’action selon les matières, et partant, toute une réflexion sur la pertinence de nos niveaux de pouvoir au regard des enjeux. Pour ce faire, le portrait de nombreuses initiatives wallonnes de supracommunalité a été brossé. Ce qui a, entre autres choses, mis en exergue les tâtonnements nombreux dans leurs développements et les contradictions actuelles entre certaines de ces initiatives.

Une des questions les plus cruciales, mais qui est loin de faire l’unanimité parmi les regroupements empiriques de communes wallonnes, est celle de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Alors que les processus territoriaux – développement commercial, éparpillement de l’habitat… – n’ont pas de frontières, n’y a-t-il pas du sens à penser ces matières-là ensemble ? Et selon quel niveau de coopération ? Et avec des décisions qui s’imposeraient au niveau communal ?
Voilà une question que la France a relativement bien élaborée. Un niveau supracommunal y a été développé – communauté urbaine, communauté d’agglomération, communauté de pays, intercommunalité – depuis plusieurs décennies. Et des agences d’urbanismes ont été créées jouant les bras armés de cette coopération supracommunale.

image1-2.jpg

Localisation des agences d’urbanisme en France. Source : Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme

Mais que sont-elles au juste, ces fameuses agences d’urbanisme souvent présentées comme les instruments du renouveau des territoires ? Par ailleurs, si les villes et régions urbaines françaises y gagnent en cohérence et pertinence au niveau des choix d’aménagement, ne pourrait-on pas, chez nous, réfléchir à une éventuelle (et délicate) transposition ? La question mérite d’être posée.
La loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire qui a été votée en juin 1999 nous donne une définition de ces agences d’urbanisme à la française.

« Les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les collectivités territoriales peuvent créer avec l’Etat et les établissements publics ou autres organismes qui contribuent à l’aménagement et au développement de leur territoire des organismes de réflexion et d’études appelés « agences d’urbanisme ». Ces agences ont notamment pour mission de suivre les évolutions urbaines, de participer à la définition des politiques d’aménagement et de développement et de préparer les projets d’agglomération dans un souci d’harmonisation des politiques publiques. Elles peuvent prendre la forme d’association. »

Dans ce cadre, les activités des agences d’urbanisme françaises s’articulent autour de six grands objectifs : observer, planifier, projeter, animer, préparer, anticiper.

Observer

La raison d’être même des agences d’urbanisme est la connaissance des agglomérations et l’analyse de leurs évolutions territoriales. Ce travail se fait dans une coopération soutenue avec différentes administrations et autres organisations publiques en charge de matières diverses : statistiques, allocations familiales, chômage… Cette mission donne lieu à la publication régulière d’atlas divers et autres fiches techniques.

Planifier

Ce métier constitue un peu le patrimoine génétique des agences d’urbanisme. Depuis l’élaboration de documents aussi stratégiques que les Plans Locaux d’Urbanisme et les Schémas de Cohérence Territoriale – des équivalents toutes proportions gardées de nos plans communaux d’aménagement et autres schémas de structure communaux –, jusqu’à la prise en compte de thématiques aussi cruciales que les implantations commerciales ou la mobilité, les agences d’urbanisme jouent un rôle déterminant dans l’évolution de la structuration des territoires. Par cette mission, elles permettent une véritable articulation des différentes politiques publiques.

image2-2.jpg

L’agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (AGAM), l’outil d’aide à la décision en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire des communautés urbaines de Marseille (en vert clair) et d’Aubagne (en vert foncé). Source : Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise

Projeter

Les agences d’urbanisme ont la compétence de faire vivre la planologie qu’elles produisent. Le projet constitue même véritablement le c½ur de leur action. Ce projet peut être aussi spatial, que social ou économique, et il peut concerner une échelle très variée, de l’aire urbaine au quartier. L’élaboration du projet comme sa mise en ½uvre concrète peuvent mobiliser des partenaires divers : des acteurs publics, des représentants économiques, des habitants, des associations.

Animer

Le travail des agences d’urbanisme ne se réalise pas sans interactions avec le public. Le dialogue avec la population est même voulu le plus permanent possible.

Préparer

Les agences d’urbanisme préparent régulièrement des dossiers sur des thématiques particulières. Ce qui contribue à constituer une culture territoriale commune et à faciliter le dialogue sur les questions urbaines dans chaque agglomération. Dossier après dossier, c’est bien une véritable mémoire du territoire confiée à leurs soins qui se construit.

Anticiper

L’appréhension de l’avenir constitue aussi un axe essentiel du travail des agences d’urbanisme. Au travers d’études prospectives, c’est bien un ensemble de pratiques tournées vers le devenir des territoires qui est mis en évidence.
Même si l’on est d’avis que la Wallonie n’a pas nécessairement beaucoup à apprendre de la France, en particulier en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire – en France, l’étalement urbain atteint des sommets, la ville y est extrêmement ségréguée, les entrées de ville s’illustrent par leur insignifiance –, elle gagnerait, sur ce point précis, à l’imiter : il est certain que l’agence d’urbanisme à la française, ou une transposition locale, pourrait se révéler être un instrument efficace dans la recherche de davantage de cohérence dans les agglomérations wallonnes.

Les cas des aires urbaines de Liège, Verviers, La Louvière et Charleroi sont particulièrement illustratifs. Les politiques urbanistiques de communes voisines vont parfois dans des directions parfaitement opposées, jusqu’à aboutir à des contradictions particulièrement délétères pour toutes. Alors pourquoi ne pas penser un peu plus profondément la supracommunalité en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire ? Et créer de telles institutions ? La Région Bruxelloise a déjà emboité le pas. L’ADT, pour Agence de développement territorial, s’inscrit un peu dans cette perspective des agences d’urbanisme, mais dans un périmètre qui ne correspond peut-être pas à celui de son agglomération… : les 19 communes de la Région B