Labellisation biologique : la filière se met en danger

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Conformément à ses engagements, la Commission européenne a adopté un projet de règlement modifiant la réglementation relative aux produits biologiques. Ce projet faisait suite à une large consultation des parties prenantes et des citoyens dont une proportion importante de consommateurs. Le Parlement européen s’est ensuite penché sur cette proposition et en a modifié fondamentalement certains aspects essentiels. Hormis de belles avancées dans le domaine des semences, le Parlement européen s’est montré très permissif aux arguments de la transformation et de la distribution relayé par IFOAM. Le parlement a revu à la baisse le niveau des exigences du cahier des charges européen et, dans certains cas, les a affaiblies par rapport au règlement actuel. La proposition du Parlement fait ainsi apparaître une agriculture biologique très peu ambitieuse et méconnaissant gravement les attentes des consommateurs.

Le cahier des charges européen de l’agriculture biologique a été créé en 2007 (Règlement n° 834/2007). À l’époque, le texte réglementaire fut largement critiqué. Il représentait, sous couvert d’une harmonisation européenne de cahiers des charges nationaux très hétérogènes, un nivellement par le bas des exigences applicables à l’agriculture biologique. La Commission s’était toutefois engagée à améliorer ce cadre réglementaire européen. Pour ce faire, elle a sollicité plus de 70 experts et universitaires qui ont examiné les défis actuels et futurs que devra relever le secteur de l’agriculture biologique. Elle a également lancé une consultation en ligne début 2013. En plus des quelque 45.000 réponses, ce qui constitue un véritable succès pour une consultation de ce type, la Commission a reçu près de 1.400 contributions complémentaires. La majorité des réponses (96 %) ont été envoyées par des citoyens, tandis que les 4 % restants émanent de parties intéressées. Le secteur a été informé du réexamen et a été consulté lors de plusieurs réunions du groupe consultatif « Agriculture biologique ». Les États membres, en tant qu’autorités compétentes responsables de la mise en œuvre de la législation, ont également été tenu informés du réexamen et consultés sur ses aspects techniques.

Après ces multiples consultations publiques, La Commission a fait une nouvelle proposition de Règlement en mars 2014, visant à renforcer les garanties offertes par le label européen aux consommateurs. Le projet est ensuite passé au Parlement Européen qui l’a amendé et adopté le 13 octobre 2015. C’est à ce niveau qu’il a été largement modifié, notamment suite à l’intervention des acteurs de la filière biologique (IFOAM). L’analyse ci-après, à l’exception du volet relatif aux semences, illustre l’attention très particulière d’IFOAM au développement économique de la filière plutôt qu’aux attentes de ceux qui la font vivre.

Semences : vers une sélection variétale biologique spécifique

L’essentiel des variétés de semences biologiques mises sur le marché n’ont pas été sélectionnées spécifiquement pour l’agriculture biologique mais bien pour l’agriculture conventionnelle. Elles ne sont donc pas adaptées au bio puisque résultant d’une sélection dans des conditions artificielles (recours aux engrais chimiques et aux pesticides). Cette quasi-absence de recherche et développement en termes de sélection variétale a un impact considérable sur l’ensemble de la filière, affectant tant le potentiel de rendements que la résistance naturelle des cultures biologiques.

Le Parlement Européen a bien compris la nécessité de développer la sélection variétale. Pour cela, il apporte une réelle flexibilité eu égard à la réglementation relative aux semences qui encouragera ce secteur (obtenteurs et multiplicateurs de semences, structure publique) à développer des variétés répondant aux spécificités de l’agriculture biologique. Plus encore, il autorise le recours aux variétés anciennes, aux variétés inscrites dans le domaine public ou encore aux variétés constituées de « matériel hétérogène », résultant de variétés à pollinisation ouverte. Ces dernières sont actuellement interdites à la vente et la proposition du Parlement permettrait de déroger à l’ensemble des directives formant la législation sur le commerce des semences, et ce afin de les rendre disponibles pour l’agriculture biologique. Cette évolution est évidement une avancée considérable eu égard au poids et au lobby exercé par l’oligopole des semenciers et de l’agrochimie sur cet enjeu.

Aucun seuil de dé-certification en cas de présence de substances non-autorisées

Actuellement, le règlement européen ne prévoit pas de disposition particulière lorsque des substances ou produits non autorisés (pesticides & OGM) sont présents dans les produits bio. La Commission proposait une harmonisation visant à dé-certifier les produits dans lesquels sont détectées des substances non autorisées (pesticides et/ou OGM) au-delà des seuils fixés dans la législation sur les produits alimentaires pour bébés soit des niveaux inférieurs à 0,01 mg/kg[[Les limites maximales de résidus (LMR) sont parfois bien supérieures à ce seuil. Pour certaines substances, le seuil est celui de la détection. Directive 2006/125/CE de la Commission du 5 décembre 2006 concernant les préparations à base de céréales et les aliments pour bébés destinés aux nourrissons et aux enfants en bas âge]]. Cette modification substantielle résulte notamment de la consultation publique et de la motivation d’achat des consommateurs. En effet, 85 % des consommateurs déclarent acheter des produits bio pour éviter la présence de résidus de pesticides dans leur alimentation. Sur ce point, la Wallonie a déjà pris des mesures afin de garantir au consommateur le zéro-pesticide dans les produits biologiques à travers des contrôles parmi les plus élevés d’Europe et l’obligation de dé-certifier les produits en cas de présence de résidus[[Soit 150 % de la limite de détection.]]. L’expérience en Wallonie montre que les cas de contamination accidentelle sont peu fréquents. Le certificateur doit d’abord s’assurer qu’il n’y a pas eu de fraude, et si ce n’est pas le cas, le produit final ne sera dé-certifié que sur base des résidus mesurés dans la production mise en vente et non sur base des analyses réalisées en champs. Le problème serait donc ailleurs…

L’EFSA réalise annuellement une étude[[EFSA (2015) The 2013 European Union report on pesticide residues. http://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/scientific_output/files/main_documents/4038.pdf]] des résidus de pesticides retrouvé dans les aliments biologiques ou conventionnels, ce qui permet de mesurer l’importance de cette problématique. Sur les 4.620 échantillons d’aliments biologiques, 15,5 % (44,4 % en conventionnel) contenaient des résidus détectables dans les concentrations autorisées par la loi actuelle[[Soit à des concentrations inférieures aux Limites Maximales de Résidus autorisée en agriculture conventionnelle.]] tandis que 0,8% (2,7 % en conventionnel) des échantillons biologiques analysés dépassaient les Limites Maximales de Résidus[[Les limites maximales de résidus (LMR) sont les niveaux supérieurs de concentration de résidus de pesticides autorisés légalement dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux. Elles sont fondées sur les bonnes pratiques agricoles et visent à garantir le niveau d’exposition le plus faible possible pour les consommateurs.]] (LMR). Il faut cependant nuancer ces chiffres : 28 % des substances retrouvées le sont à l’état de traces, non quantifiables. De plus, les principales substances retrouvées sont des pesticides autorisés en agriculture biologique (cuivre et insecticides naturels notamment). Une analyse plus fouillée des chiffres de l’EFSA permet de préciser l’impact qu’aurait la proposition de la Commission : dans environ 20 % des cas, les résidus de pesticides dépassent les seuils proposés par la Commission à savoir 0,01 mg/kg. La part des aliments qui seraient dé-certifiés est donc probablement inférieure à quelques pourcents. Enfin, le rapport de l’EFSA donne l’origine des produits qui dépassent les LMR, ce qui contribue à relativiser l’impact d’un seuil de dé-certification ambitieux sur les fermiers biologiques de l’Union européenne. 58 % des dépassements de LMR résultent de produits importés en dehors de l’Union européenne. L’essentiel de l’impact de cette disposition concerne en fait l’importation de produits biologique.

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C’est précisément cette disposition qui a mobilisé IFOAM – Europe, estimant que l’agriculture biologique se définissait par des obligations de moyens (pas d’intrants chimiques) et non de résultats. Ils estiment qu’il n’y a pas lieu de pénaliser un producteur en cas de contamination par des tiers. En fait, l’utilisation d’un seuil de dé-certification pénalisera peu les producteurs européens, elle impactera essentiellement les transformateurs et distributeurs (recourant à des produits importés) et questionne la qualité de la certification dans les pays hors union européenne, ce qui est très légitime.

En plus de l’instauration d’un seuil de dé-certification pour les résidus de pesticides, la Commission proposait de mettre un terme aux nombreux cas de fraude dans l’importation de produits biologiques en provenance de pays tiers. Ces fraudes sont possibles par le système de la « reconnaissance d’équivalence ». La Commission proposait de rendre le cahier des charges de l’agriculture biologique européen obligatoire pour toutes les importations en provenance de pays tiers, supprimant ainsi cette source importante de produits « suspects ». Le Parlement, à la demande d’IFOAM, a rejeté cette proposition, en la remplaçant par un système de « conformité adaptée » permettant à un produit qui ne remplirait pas les standards fixés par le cahier des charges européen « à cause de conditions climatiques et locales spécifiques » et « afin d’éviter une rupture d’approvisionnement », d’être tout de même importé en tant que produit biologique via un système de conditions dérogatoires sous le contrôle de la Commission européenne.

Des fermes moins autonomes

Concernant l’alimentation des ruminants, la Commission proposait qu’au moins 90 % de celle-ci proviennent de la ferme où les animaux sont élevés et, dans le cas où cela ne serait pas possible, que cette alimentation soit produite en coopération avec d’autres fermes biologiques situées dans la même région. Ce seuil était porté pour l’alimentation des porcins et de la volaille à un taux minimal de 60 %. Ces dispositions sont évidemment essentielles pour promouvoir une agriculture biologique productrice d’aménités, liée au sol et à son territoire.

Le Parlement a vidé l’incidence de cette disposition en proposant un seuil de 60% pour les bovins, ovins et caprins et de 30% pour les porcs et la volaille. Plus encore, le Parlement prévoir une dérogation très souple permettant d’atteindre ce seuil avec des aliments qui seraient, « dans la mesure du possible » produits en coopération avec « d’autres fermes biologiques établies dans un rayon de 150 Km » et « être produits dans l’Union ». Outre que ces exigences de proximité géographique se contredisent, les garanties d’alimentation locale des animaux d’élevage sont réduites à néant.

Un bien-être animal au rabais

La Commission proposait de maintenir l’obligation actuelle de fournir à tous les animaux d’élevage un accès permanent à des espaces de plein air, de préférence à des pâturages, chaque fois que les conditions climatiques et l’état du sol le permettent.
Le Parlement a limité cette obligation aux herbivores, excluant ainsi toute obligation de fournir un accès à des espaces de plein air aux cochons et à la volaille. Les restrictions aux mutilations ont également été fortement allégées.

Des dérogations plus faciles au cahier des charges de l’AB

La Commission se réservait la possibilité d’adopter des dispositions spécifiques, par acte délégué, afin de gérer les suites de « circonstances catastrophiques » et permettre aux exploitations biologiques de continuer ou de recommencer.

Le Parlement a donné la possibilité aux autorités nationales (et non plus à la Commission) d’octroyer des dérogations individuelles au cahier des charges de l’AB dans les cas de « phénomène climatique défavorable », de « pandémie animale », de « maladie animale ou végétale », d’ « incident environnemental ou de catastrophe naturelle », ce qui est beaucoup plus vaste. Au vu de l’origine des dépassements de LMR au sein de l’Union européenne, il est clair que le contrôle laisse davantage à désirer dans certains États membres (Espagne, Roumanie). Le Parlement génère, avec de telles dérogations, une agriculture bio à plusieurs vitesses.

Des régressions importantes sur les produits transformés et les exploitations mixtes

A l’écoute des consommateurs, la Commission proposait que les produits transformés labellisés bio soient quasi totalement produits à partir d’ingrédients biologiques. Actuellement 95 % au moins, en poids, des ingrédients d’origine agricole doivent être issus de l’agriculture biologique. Le Parlement a voté la possibilité pour les États membres, lorsqu’un ingrédient n’est pas disponible sous forme biologique, d’autoriser son utilisation dans un produit transformé, lequel, malgré cela, conservera son label bio.

La Commission proposait de limiter l’accès au bio aux seules exploitations entièrement bio à l’issue d’une période de conversion des installations mixtes (bio et conventionnelle). Cette proposition est motivée en raison d’un risque élevé de fraude et de non-conformité au cahier des charges de l’AB constaté dans les exploitations mixtes. Le Parlement a voté le maintien des installations mixtes sans pour autant donner de garanties suffisantes pour limiter les risques de fraude.

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité