Le bal des faux-culs

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Mon propos risquant de déplaire à certain(e)s, je tiens à lever d’entrée toute ambiguïté: j’éprouve pour Bart De Wever une attirance proche de celle que ressent un végétalien face à une fricandelle; ce n’est pas mon truc, tout simplement. Si je comprends – et partage même parfois – certaines de ses analyses communautaires, son positionnement socio-économique le situe en effet dans une zone très au-delà des frontières de ma tolérance. Ceci étant précisé, j’avoue sans honte que ce peu d’affinités électives ne m’empêche pas de trouver au bonhomme de réelles qualités au premier rang desquelles je place sa rigueur idéologique et son honnêteté intellectuelle.

Ainsi, alors que la politique est (devenue) l’art du compromis et qu’il apparaît aujourd’hui mal venu pour un dirigeant de s’arqueboutter sur le programme de son parti – c’est-à-dire, de facto, d’être fidèle à ses engagements de campagne… –, je considère avec respect un homme qui refuse de transiger, dut-il en conséquence se voir déclaré “inapte à gouverner”. J’ai la faiblesse de croire que si cette attitude était plus répandue, la classe politique échapperait à la défiance et au mépris qui l’accompagnent souvent et injustement aujourd’hui.

De Wever a par ailleurs le culot de braver le politiquement correct pour exprimer des vérités qu’il est traditionnellement et consensuellement de bon goût de taire. Une franchise qui lui vaut les foudres répétées des Tartuffe en tous genres. Le dernier épisode en date offre de ce point de vue un exemple édifiant. Jugez plutôt.

Dans une interview destinée à un reportage du magazine “Questions à la Une”[[Programmé le mercredi 7 septembre sur la RTBF.]] mais dont des extraits furent diffusés en avant-première dans les journaux télévisés, Kaïzer Bart, fidèle à sa stratégie des pieds dans le plat, osa reconnaître “Je ne le nie pas: moins ces négociations avanceront, mieux c’est pour nous; un échec démontrera que notre programme est le bon.” Et d’étayer son propos: “C’est un peu cynique et paradoxal mais c’est toujours comme ça et pour chaque parti: pour avoir des votes pour le programme, on espère qu’il y a des élément de la réalité qui indiquent que votre programme est nécessaire et, parfois, ce sont des choses qui ne sont pas bonnes. C’est pour chaque parti. Quand les écologistes veulent gagner les élections, ils doivent espérer que dans l’environnement il se passe des choses terribles. Comme à Fukushima. Ils en profitent pour dire: voilà, notre programme est le bon programme…”

Oufti, qué n’affaire! Qu’avait-il dit là! Un ouragan de critiques vitupérantes se leva instantanément. Shame, shame, shame! Shame on him!!!

Oubliant un peu vite que son alter-ego NVA avait assumé d’entrée le caractère cynique de sa sortie, le président du VLD, Alexander De Croo, estima que “Dire que les partis peuvent tirer profit des catastrophes, c’est cynique!” Certes. Mais est-ce faux pour autant…?

“Atteré”, le patron de Groen!, Wouter Van Besien, déclara en avoir eu “l’estomac retourné”.

La moustache frémissante d’indignation contenue, Olivier Deleuze dénonça l’insulte et posa les verts en victimes préférées de l’ogre De Wever.

La palme de l’outrance revint toutefois haut la main au quotidien “De Morgen” qui se permit les termes “barbare” (!) et “rat” (!!) pour qualifier l’auteur de la saillie.

“Barbare” et “rat”… Bigre! La charge est rude. L’homme méritait-il vraiment tant d’indignité? Ou la virulence de la réaction n’était-elle pas plutôt le signe que, une fois de plus, il avait frappé là où cela fait mal ?

Les uns et les autres ont beau être les acteurs d’un théâtre politico-médiatique – ou médiatico-politique – dans lequel chacun existe à travers ses tirades et effets de manches, ils me semblent ici pousser un peu loin le bouchon de la mauvaise foi. Car si ces propos font de De Wever un “barbare” et un “rat”, eh bien alors, j’en suis en autre. J’ose en effet prétendre que, oui, les partis politiques – et, par-delà, tous les groupes de pression – comptent sur des éléments de la réalité venant démontrer que leur programme est nécessaire et que, oui, parfois voire souvent, ces éléments qui les servent sont de mauvaises nouvelles.

Peut-on objectivement nier que le succès historique d’Ecolo et d’Agalev aux élections de 1999 doit beaucoup sinon tout à l’affaire des “poulets à la dioxine”?

Peut-on objectivement nier que la présence de Le Pen au second tour de la présidentielle française de 2002 doit beaucoup sinon tout au climat d’insécurité distillé à l’époque par les médias sur base de quelques faits divers marquants?

Peut-on objectivement nier que les attentats du 11 septembre 2001 ont servi les velléités militaires de George W. Bush ? Que NVA exploite la mauvaise image de la Wallonie tandis que le FDF joue sur la peur du totalitarisme flamingant ? Que les politiques de gauche tirent arguments des crises économiques et financières et que l’extrême-droite se nourrit des ratés de l’intégration ? Que les cas dramatiques de Vincent Humbert et Chantal Sébire ont apporté du crédit au combat pour la légalisation de l’euthanasie en France ? Que l’affaire DSK sert les organisations féministes ? Que les statistiques sur l’obésité renforcent les opposants à la junk-food ? Que des images de taureaux ensanglantés sont du pain béni pour les adversaires de la corrida ? Que choper le SIDA prouve le bien-fondé du port du préservatif ? Que le fumeur qui contracte un cancer du larynx ne doute plus du bien-fondé des mises en garde sur les dangers du tabac ? Qu’une bonne gueule de bois confirme qu’il est préférable de boire avec modération ?

La liste est longue et pourrait s’allonger à l’infini de ces exemples qui démontrent que, oui, tous les discours, toutes les revendications, tous les programmes ont besoin du témoignage des événements pour prouver leur pertinence.

Pour ma part, je ne nierai pas qu’une catastrophe climatique, un accident nucléaire, une pollution majeure, des études scientifiques mettant en exergue le danger des perturbateurs endocriniens, des particules fines ou des ondes électromégnétiques, etc. contribuent aux avancées du combat environnemental. On préfèrerait qu’il en soit autrement, qu’il ne faille pas avoir atteint l’état d’urgence voire un point de non-retour avant d’être entendu mais ce n’est malheureusement pas le cas. Un discours sur le danger de la bétonisation des sols ne devient audible et recevable qu’après une inondation idéalement spectaculaire…

Le seul reproche objectif que l’on puisse formuler à l’égard de De Wever est l’utilisation du terme “espérer”. Car si les faits, a fortiori négatifs, sont malheureusement nécessaires pour confirmer les propos et faire avancer les idées, on ne va pas nécessairement jusqu’à les espérer.

Seul à ne pas avoir cloué le président de la NVA au pilori, Bart Sturtewagen, le rédacteur en chef du “Standaard”, commenta l’affaire ainsi: “C’est Bart De Wever l’analyste qui a parlé. Il est comme ça, il ne mesure pas ses mots, il n’accommode pas son public. Il dit ce qu’il pense et les autres doivent en faire ce qu’ils en veulent… »

Ce qu’ils ont voulu en faire ici ne me paraît pas à leur honneur. A l’opposé de ce choeur de vierges effarouchées niant l’évidence de leurs propres pulsions, j’ai plutôt, en ce qui me concerne, envie de féliciter De Wever pour sa franchise sans fausse pudeur. Et je me prends même à espérer qu’il fasse école.

Des politiques dépourvus de langue de bois et fidèles à leur programme: cela ne faciliterait sans doute pas les négociations mais permettrait peut-être à l’électeur de se positionner sur des choix de société réellement tranchés et de retrouver du même coup confiance en ses gourvernants… Non?

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, noubliez pas: “Celui qui voit un problème et ne fait rien fait partie du problème.” (Gandhi)

Extrait de nIEWs n°96 (du 15 au 28 septembre),

la Lettre d’information de la Fédération.

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