Néonicotinoïdes, serial killers !

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Les débats sur les causes du déclin des abeilles ont révélé au grand public l’existence d’une famille d’insecticides particulièrement dangereux, les néonicotinoïdes. Leur toxicité se limite-t-elle aux seules abeilles ? Le point.

Les néonicotinoïdes représentent un groupe relativement nouveau d’insecticides qui s’est rapidement imposé comme un des plus utilisé à travers le monde. Ils ont été introduits dans les années 1990 pour contrer la résistance croissante des insectes ravageurs et l’augmentation des impacts sur la santé et la sécurité associée aux insecticides organophosphorés.

De toxicité aiguë assez faible chez les vertébrés, les néonicotinoïdes sont par contre plus persistants. Ils sont solubles dans l’eau et donc susceptibles de contaminer largement l’environnement. Leur toxicité très élevée pour les pollinisateurs a eu pour conséquence qu’ils se sont rapidement retrouvés sous un contrôle public et politique croissant. Cette toxicité pour les pollinisateurs vient précisément d’être pointée du doigt par la l’EFSA.

Toxique pour les abeilles ET les oiseaux

La focalisation sur le problème des abeilles occulte le fait que les effets nocifs de cette famille de molécules ne se limitent pas aux seuls pollinisateurs. L’avis de l’EFSA a pointé la chose sans la détailler. Une récente étude de la littérature vient, elle, de montrer leurs effets sur les oiseaux.

Ce rapport publié par l’American Bird Conservancy pointe le fait que l’évaluation des matières actives mais aussi l’agréation spécifique pour leurs différents usages ont gravement sous-estimé la toxicité pour les oiseaux. Ainsi, une seule graine traitée à certains néonicotinoïdes courants peut tuer un oiseau chanteur et un dixième de la dose peut affecter sa reproduction. L’étude suggère que le déclin des populations d’oiseaux des plaines agricoles pourrait être attribué à ces insecticides utilisé de manière systématique par l’agriculture.

Le traitement à large échelle des semences est donc particulièrement inquiétant pour les oiseaux. Les graines ne sont jamais entièrement recouvertes de terre, ce qui les rend faciles à trouver par les oiseaux en recherche de nourriture ainsi que pour les nombreuses espèces qui ont la capacité de gratter et creuser. La quantité d’insecticides qui se trouve sur une semence de maïs peut entraîner des intoxications aiguës. Avec l’imidaclopride, une seule graine peut s’avérer mortelle pour un oiseau de taille moyenne. Quelques graines sont nécessaires dans le cas de la clothianidine ou thiaméthoxame.
De plus, à plus faible dose ces traitements de semences sont également susceptibles de provoquer des effets chroniques. La toxicité chronique des néonicotinoïdes pour les oiseaux est élevée et se caractérise entre autres par des effets notables sur leur reproduction. Cela a été reconnu très tôt lors les examens des différentes matières actives.

L’étude révèle en outre qu’aux États-Unis, au Canada mais aussi au Pays-Bas, les néonicotinoïdes contaminent le milieu aquatique à grande échelle et à des niveaux susceptibles de causer des impacts sur les chaînes alimentaires aquatiques.

Le rapport s’appuie sur plus de 200 études scientifiques indépendantes et recommande une interdiction totale pour le traitement des semences à base de néonicotinoïdes ainsi qu’une suspension pour toutes les autres utilisations jusqu’à ce qu’une analyse complète puisse être réalisée.

On le voit, les préoccupations environnementales vont donc bien au-delà des seuls insectes pollinisateurs.

Procédures d’évaluation et d’agréation déficientes

Comme pour l’évaluation des impacts sur les abeilles, l’étude relève que les procédures d’évaluation sur l’avifaune sont scientifiquement déficientes et hasardeuses. De plus, les experts qui évaluent ces matières actives et ceux qui évaluent les pesticides dans le cadre de l’agréation semblent accorder une importance minime aux préoccupations soulevées par les spécialistes de l’environnement qui réalisent des évaluations scientifiques sur ces produits.

Les scientifiques soulignent également que l’évaluation ne prend pas en compte les effets synergétiques entre matières actives issues de cette famille d’insecticides, des effets pourtant prévisibles au vu de l’usage important de ces matières actives et de la contamination de l’environnement.

Enfin, même si la toxicité aiguë des néonicotinoïdes pour les oiseaux est inférieure à la toxicité aiguë de la plupart des insecticides qu’ils ont remplacés, notamment les organophosphorés et les carbamates, les processus d’évaluation ont largement sous-estimé la toxicité de ces composés pour les oiseaux. Cette sous-évaluation s’explique en partie parce que les méthodes d’évaluation des risques ne prennent pas suffisamment en compte les différences de toxicité entre les espèces, celles-ci pouvant varier de 1 à 10.

Pour une interdiction des néonicotinoïdes

La Commission européenne a proposé de suspendre pendant 2 ans certains usages des matières actives incriminées sur les cultures attractives pour les abeilles. Mais cette position assez minimaliste[Ces pesticides persistent dans les sols et sont ensuite transmis aux cultures qui suivent. Ainsi, les semis de céréales traités vont contaminer les cultures de moutardes implantées en fin d’été et dont la floraison automnale alimentera les ruchers.]] n’a trouvé aucune majorité qualifiée [lors du vote des 27 États-membres, le 15 mars dernier, notamment du fait de l’abstention de l’Allemagne qui protège ainsi sa puissante industrie chimique (Bayer et BASF, pour ce qui concerne les néonicotinoïdes, les autres firmes productrices étant le suisse Syngenta et le français DuPont). La Belgique s’est positionnée en faveur de la suspension.

En l’absence de compromis entre la Commission et les États membres dans les 2 mois, la décision finale reviendra à la Commission européenne. Ce rapport apporte de nouveau éléments à ce dossier et plaide pour une interdiction plus forte encore que la proposition initiale de la Commission.

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité