Politique agricole commune : du greening au greenwashing

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Le Conseil des Ministres européens et les eurodéputés ont maintenant exprimé leur position respective sur la proposition de réforme de la Politique agricole commune (PAC) déposée par la Commission, et plus spécifiquement sur sa composante verte. Les propositions de la Commission seront vraisemblablement assouplies par les eurodéputés, tandis que les Ministres européens ne semblent pas vouloir légitimer les aides directes à l’agriculture par une composante verte forte, le tout, à quelques mois de la fixation du budget de la PAC. Le risque de voir les aides agricoles allouées sans plus de légitimité est bien réel, le greening (très timoré) se muant ainsi en opération de greenwashing.

Un moment charnière dans les négociations sur la PAC

Ce 18 juin le Conseil des Ministres de l’agriculture de l’Union européenne s’est réuni. Le Danemark, au terme de sa présidence, a présenté un rapport d’étape sur la réforme de la PAC, synthétisant les points de consensus et de débat. Le lendemain, c’était au tour de la Commission agriculture du Parlement européen d’en débattre. Le « verdissement » de la PAC était au cœur des discussions, avec le risque d’un affaiblissement des propositions initialement formulées par la Commission en octobre dernier. Des propositions qu’elle a déjà légèrement assoupli via un « Concept paper » sur le verdissement.

Petit rappel : la Commission a proposé un verdissement de la PAC en liant à 3 mesures environnementales 30 % de l’enveloppe des aides directes versées aux agriculteurs. Ces mesures portent, à l’échelle de chaque exploitation agricole, sur le maintien des prairies permanentes, une certaine diversité de cultures et surtout l’affectation de 7 % des exploitations à des surfaces d’intérêt écologique tel des haies, bosquets, bandes enherbées, mares. Cette dernière mesure est déjà appliquée en France dans le cadre de la conditionnalité et est inscrite dans la déclaration de Politique Régionale Wallonne [[Instaurer, comme dans les pays voisins, un seuil minimum d’éléments de compensation écologique dans la surface agricole utile (SAU) à l’aide d’incitants financiers tels les mesures agri-environnementales (MAE) et les subventions pour la plantation des haies… Déclaration de Politique Régionale Wallonne 2009-2014, p. 110]].

Un conseil des Ministres européens très critique

Le compte rendu du Conseil apporte un éclairage sur les désaccords et positions des États-membres, et ce, malgré les assouplissements déjà accordés par la Commission dans son « Concept paper ». Certaines délégations mettent en cause le seuil de 30 %, le trouvant trop important tandis que d’autres proposent, à la place du verdissement, un transfert complémentaire de 10% des aides directes vers le budget du développement rural (agroenvironnement, aides aux investissements, …).

Tous les États-membres en appellent à une approche plus flexible de la composante verte ainsi qu’à la prise en compte de son impact économique. Une demande étonnante puisque la Commission estime le coût du greening à une perte de revenu de l’ordre de 1 à 3 %, en moyenne en Europe, avec une fourchette comparable en Wallonie. Une perte très largement compensée par les aides du premier pilier qui représentent entre 50 et plus de 100 % du revenu agricole.

Parmi les propositions des États-membres, certaines vident de leur substance le verdissement puisqu’elles excluraient par principe les exploitations disposant d’une proportion importante de prairies, celles qui sont engagées dans des mesures agroenvironnementales ou dans une certification environnementale. À priori, ces exploitations devraient rencontrer plus facilement les mesures justifiant le verdissement, il n’y a donc aucune raison de les en sortir.

La présidence danoise a proposé trois amendements aux mesures actuelles. L’un de ceux-ci assouplirait la mesure liée à la diversité minimale des cultures afin de limiter ses effets sur la seule culture vraiment concernée, à savoir la monoculture de maïs. Le second assouplissement vise le maintien des prairies permanentes pour lequel l’État-membre pourrait définir le niveau d’application : celui de l’exploitation ou de la région. Une proposition qui offre la possibilité du statut quo puisque cette mesure existe déjà au niveau régional. Enfin, la présidence propose, pour les surfaces d’intérêt écologique, d’en exclure les plus petites exploitations et de définir un seuil minimal à atteindre au niveau individuel et régional. Les bons élèves, poussés par des mesures agroenvironnementales volontaires, pouvant ainsi faire bénéficier les autres de leur engagement pour l’environnement…

La proposition Danoise reste très équilibrée au regard de la flexibilité souhaitée par certains États-membres qui ont plaidé pour une approche par « menu » afin d’offrir des mesures environnementales à la carte, et surtout, accessibles ce qui aurait pour conséquence de vider le verdissement de sa substance. D’autres plaident pour que ce verdissement soit inclu dans la conditionnalité, appliquée selon le principe de subsidiarité. Parmi les mécanismes de flexibilité, certains États voudraient que les cultures énergétiques ou de protéagineux puissent être comptabilisées dans les surfaces d’intérêt écologique. Une ineptie puisque les surfaces d’intérêt écologique doivent jouer un rôle de régulation de l’écosystème en hébergeant des auxiliaires de cultures et aussi un rôle de tampon vis-à-vis des autres milieux (protection de l’eau, de la biodiversité, lutte contre l’érosion des sols, …). Pour jouer ces rôles, les espaces ne doivent recevoir ni engrais, ni pesticide, ni labour. Cela n’a donc aucun sens, d’un point de vue environnemental, de remplacer ces surfaces écologiques par des champs cultivés.

Des eurodéputés favorables… à plus de flexibilité

La commission de l’agriculture du Parlement européen est encore loin d’un consensus. De nouvelles mesures semblent cependant émerger sous forme d’une plus grande flexibilité pour permettre aux agriculteurs d’obtenir le paiement vert. Plutôt que d’élargir le « menu » des mesures de verdissement, comme le souhaitaient certains pays européens, les rapporteurs envisagent d’introduire une certification écologique optionnelle des exploitations, dont les conditions seraient à définir par la Commission et qui permettrait l’éligibilité automatique des exploitations certifiées à la composante verte des aides directes.
Les rapporteurs proposent également de passer de 7 % à 5 % de surfaces d’intérêt écologique dans le cas où les surfaces dédiées seraient contiguës à celles d’une exploitation voisine pour plus d’efficacité environnementale. Mais les rapporteurs suggèrent également que les cultures assurant la fixation de l’azote puissent être comptabilisées, ce qui risque de réduire à néant l’objectif initial de protection de la biodiversité et de l’eau.
Les rapporteurs voudraient, toujours pour plus de flexibilité, permettre aux États-membres d’effectuer des transferts du premier pilier (les aides directes) vers le second (programme de développement rural) tout en demandant qu’il n’y ait pas, pour ces transferts, de cofinancement national. Ces transferts resteraient limités aux budgets non utilisés du volet verdissement.

Prochaines étapes

Le vote en Commission de l’agriculture est prévu pour la fin de l’automne en fonction des progrès sur le futur cadre financier 2014-2020. La Conseil devrait également se positionner puisque la version finale de la nouvelle politique agricole de l’UE sera co-décidée par le Parlement et le Conseil. La réforme de la PAC entrera en vigueur le 1er janvier 2014.

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité