Pourquoi l’application du prélèvement kilométrique aux voitures est une fausse bonne idée

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Imputer aux automobilistes les coûts externes de l’usage de la voiture afin d’optimiser leurs comportements de mobilité : le concept peut sembler « évident » au point d’apparaître parfois comme la pierre philosophale de la mobilité. Il nous a semblé d’autant plus nécessaire de l’analyser sereinement.

Les systèmes de mobilité actuels des pays développés, largement basés sur le transport routier (voiture individuelle et camion) « ne sont pas durables à long terme sur le plan environnemental – ni, par voie de conséquence, sur les plans social et économique »[[OCDE, Project on environmentaly sustainable transport (EST), The economic and social implications of sustainable transportation, Proceedings from the Ottawa workshop, p. 11]]. Pour le transport de personnes, l’automobile règne en maître, notamment en raison de la passion fusionnelle que nombre de citoyens entretiennent avec la voiture – passion savamment entretenue par le secteur. Interrogées dans le cadre d’un sondage réalisé par l’administration des transports du Royaume-Uni en 2009, certaines personnes qualifiaient de « droit de l’homme » le fait de pouvoir rouler en voiture à sa guise.[[Owen, R. et al., 2008, Public acceptability of road pricing – Technical Report, Department for Transport, London, p. 27]]

Le dossier qu’IEW a consacré à la question s’attache à développer une approche systémique. Il est divisé en trois parties. Un : présentation des fondements théoriques de l’internalisation, du principe du pollueur-payeur, du cadre politique et du prélèvement kilométrique. Deux : analyse critique de l’outil, des considérations théoriques aux enjeux politiques en passant par les aspects psychologiques, sociaux et moraux. Trois : proposition de pistes de réflexion pour la mise en place d’une politique de mobilité durable.

Notre analyse met en lumière les faiblesses conceptuelles de l’application d’un prélèvement kilométrique aux voitures, ses zones d’ombres et ses dangers. Faiblesses comme la réduction de « l’homo automobilis » à un être mû principalement par la rationalité économique, comme l’impossibilité d’intégrer les motivations des déplacements ou comme les limites de l’exercice de monétarisation des services écosystémiques. Zones d’ombres avec l’entretien du flou entre internalisation et payement pour la transgression d’une norme, avec la monétarisation de la vie humaine ou avec l’imputation de la responsabilité des déplacements au seul individu – dont les comportements sont pourtant guidés par l’organisation sociétale. Dangers, enfin, au niveau des effets sociaux potentiels, de la perte de maîtrise de l’outil fiscal par les Etats membres de l’Union européenne ou de la mise à mal des principes de solidarité et de mutualisation sur lesquelles sont bâties nos sociétés.

Le dossier, préfacé par Monsieur Jean Gadrey, professeur honoraire d’économie à l’Université de Lille, a été présenté à la presse le vendredi 22 janvier. La présentation et le dossier dont téléchargeables ici : http://www.iew.be/spip.php?article7588.

IEW invite les décideurs politiques à faire preuve de la plus grande méfiance envers un outil fiscal souvent présenté comme la panacée universelle apte à guérir toutes les plaies de la mobilité. Le plaidoyer que développe l’industrie automobile en faveur du l’application du prélèvement kilométrique aux voitures[Voir par exemple [le mémorandum 2014 de la FEBIAC ]] a une raison d’être principale : le report de la fiscalité de l’achat vers l’utilisation. Très concrètement, il s’agit de supprimer la taxe de mise en circulation (TMC), seul « contrepoids » au véritable bombardement publicitaire auquel est soumise toute personne qui envisage l’achat d’une voiture. Or la TMC, si elle est correctement utilisée, permet d’orienter les achats vers les véhicules moins polluants, consommant moins de carburant et donc moins chers à l’utilisation (http://www.iew.be/spip.php?article6890). Par ailleurs, les accises sur le carburant constituent déjà un très bon « signal-prix » à l’utilisation. En fait, les outils sont là : il ne reste qu’à les optimiser pour atteindre des objectif environnementaux.

Ce qui manque aux politiques de mobilité, c’est une volonté claire de réduire la demande de transport, condition sine qua non pour atteindre la durabilité dans ce secteur. S’il ne s’inscrit pas dans une logique de maîtrise de la demande, aucun outil – qu’il soit normatif ou économique – ne peut à lui seul apporter de solution adéquate aux nombreuses incidences du système de mobilité. De plus, s’il est présenté comme offrant de grandes potentialités, il risque de détourner l’attention de l’opinion publique et l’action politique des vraies solutions, lesquelles résident en un bouquet d’outils normatifs et économiques sélectionnés dans le cadre d’une approche systémique de la mobilité.