Régler l’immobilité – l’exemple d’Herstal

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Que se passe-t-il quand une ville comme Herstal choisit de revoir complètement le stationnement en voirie et la vitesse de circulation des véhicules à moteur ? D’abord, des protestations, puis, quand la fumée retombe, une vraie satisfaction. Il faut dire que le dispositif va bien plus loin que des machines à sous. Je vous invite à ouvrir votre œil urbanistique pour apprécier les multiples bénéfices que la démarche apporte à l’ensemble de la commune. Le récit subjectif qui suit a pour but premier d’encourager à poursuivre l’effort. Cette nIEWs a pour second but mal dissimulé de convaincre d’autres villes, d’autres habitants, de repenser leur mobilité pour améliorer la sociabilité des lieux.

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Lorsque le Schéma de Structure Communal de Herstal (SSC) préparait son diagnostic, il y a trois-quatre ans, il s’interrogeait : « Qui êtes-vous, Herstal ? De quoi avez-vous envie ? » La réponse lui sautait aux yeux et aux oreilles : « De ne plus être un goulet à bagnoles, des façades grises traversées par le bruit et la crasse, de jour comme de nuit. »

Mais un auteur de Schéma de Structure Communal n’ose pas écrire « ici, les conducteurs roulent comme des cow-boys et beaucoup d’habitants en ont marre ». Et la commune a hésité à avouer : « Docteur SSC, j’ai envie que mes rues soient à nouveau fréquentées par les piétons, que ceux-ci puissent marcher et pas seulement piétiner sur place. Je sais qu’ils hésitent souvent à abandonner leur véhicule, de peur de se faire écharper par un bolide en passage ou de passer pour un looser qui n’a pas de voiture. Ça doit changer. »

Même si le Docteur SSC est finalement resté relativement circonspect dans son chapitre Mobilité, en sortant de l’examen, Herstal s’est sentie prête. Elle avait désormais de quoi travailler. Quelques mois plus tôt, le Docteur Tritel lui avait conçu un Plan Communal de Mobilité sur-mesure. Le spécialiste avait regardé son patrimoine bâti et humain, il lui avait dit qu’il était temps de revaloriser tout ça, que des moyens existaient, que les vieilles recettes avaient fait leur temps. Alors, forte de ces deux diagnostics complémentaires, munie d’une bonne dose de fonds Européens et d’aides régionales à la rénovation urbaine, la ville s’est prise en main et a osé le pari d’une opération drastique. Mais quel levier allait-elle choisir ?

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JP Moutschen, « Carte des axes romains, carolingiens, de la Voie des Ardennes et de la voie des hèvurlins dans les environs de Liège », 2009. Cette image restitue le positionnement d’Herstal entre le plateau hesbignon, au nord-ouest, et la Meuse, ainsi que la complexité du tracé de liaisons entre la Basse-Meuse, le plateau de Herve et ce qui est aujourd’hui l’Allemagne. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jupille02.jpg

Clairement, il ne lui fallait pas de nouvelles routes. Des routes, Herstal en a depuis bien longtemps. Elle est localisée au point de contact d’itinéraires déjà utilisés au haut moyen-âge, comme le montre par exemple l’illustration issue de Wikipedia. La commune est aujourd’hui un nœud névralgique de la circulation autoroutière transrégionale et internationale avec de larges tronçons d’autoroutes (E313, E40, A 601), des bretelles, plusieurs échangeurs, un pont sur le Canal Albert et la Meuse qui n’est autre que le Viaduc de Cheratte, parcouru journellement par 100 000 véhicules et en cours de réfection. La liaison entre les axes à grand gabarit et le reste du réseau local se fait par des rues anciennes, souvent densément construites, que ce contact rude a malmenées sans pour autant les faire disparaître. En termes de voirie, la priorité doit être aujourd’hui de réparer et d’entretenir ce patrimoine.

Une alternative au transit par les petites rues du centre a été trouvée dès les années 1970 par le développement, le long du Canal Albert, de voiries de quai au profil complètement autoroutier : les boulevards Zénobe Gramme et Albert 1er. Avec le choix d’un tel équipement, il était logique que viennent s’installer là des surfaces commerciales de type boîte à chaussures, des nappes de parkings et des aménagements individuels empêchant toute circulation confortable et efficace des piétons entre ces entreprises et le reste de la ville, qui commence pourtant sur le trottoir d’en face. Le réaménagement du Boulevard Zénobe Gramme en « boulevard urbain » est une première étape pour tenter de réhumaniser la berge du Canal Albert.

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M. Murzeau et H.Ancion, annotations sur carte de l’agglomération liégeoise à hauteur de Herstal, 2015. La Meuse et le Canal Albert sont à droite, crayonnés en bleu. En pointillé continu, les limites communales. En jaune, les trajets anciens inter- quartiers. Surligné en rose, le tracé de la voie ferrée reliant Liège à Anvers via les gares de Liège-Guillemin, Liège-Palais, Hasselt et Aarschot. En orange, des croix marquant les suppressions de passage à niveau ; les petits traits bleu foncé parallèles marquent les passages maintenus. Les surfaces exploitées à des fins agricoles sont colorées en jaune pâle.

Puisque Herstal avait déjà donné beaucoup aux voitures, et que son problème de manque de fluidité et de convivialité ne faisait qu’empirer, elle a accepté de suivre les conseils du Docteur Tritel. Désormais, c’est la voiture qui allait donner, via le parking payant… A travers la réglementation de l’arrêt, du stationnement et du passage des véhicules, Herstal visait trois objectifs très concrets :
1. Empêcher les véhicules de passer des semaines sur un emplacement réputé « public » (voitures-ventouses), et d’occuper la majeure partie de l’espace public au point de le rendre illisible et dangereux pour les autres usagers.
2. Remettre au premier plan les autobus et leur clientèle. Les deux extrémités de la pyramide des âges représentent la fraction majoritaire dans les bus du TEC Liège-Verviers ; une augmentation nette de la part des 18-60 ans dans la clientèle des bus d’Herstal serait un excellent indicateur de la réussite de cet objectif.
3. Valoriser l’accessibilité piétonne et cycliste du centre en accentuant les convergences entre ces modes de déplacement et les chantiers en cours (ceux de l’autorité communale, ceux des privés, ceux d’organismes tels Infrabel, et tous les projets hybrides).

Or la voiture n’est pas donneuse. Avec un tel programme, vous devinez le gros grincement de dents collectif. La formule de perception des montants, confiée à un organisme privé a été critiquée et l’est toujours, de même le choix de la durée des tranches tarifaires.

Ce n’est pas une mince affaire de refréner ses agacements ou de les considérer comme passagers. Lors d’une visite de terrain en avril 2015, j’ai pu converser avec des Herstaliens. Ils admettent qu’il faut apprendre à vivre avec ces nouvelles règles, que ça demande un peu plus de concentration : « il faut avoir de la monnaie sur soi, ou alors si on veut profiter de la période de gratuité, on se chronomètre » ; « on ne sait pas toujours dans quelle zone tarifaire on est, mais la firme qui gère le partage se charge de vous le rappeler quand vous êtes en faute ! » ; « c’est clair que, si on veut être tranquille, on laisse sa voiture chez soi – si on en a une – et ici il y a pas mal de familles qui n’en ont pas, alors tout compte fait, hein ».

Leurs reproches ne vont pas à la réorganisation de la circulation et du stationnement mais à ceux qui outrepassent les nouvelles règles et persistent à se garer n’importe où (« c’est facile, puisqu’on dirait qu’il y a beaucoup plus de places qu’avant! »), ou filent à du 70 au moins sur des trajets limités à 30 Km/H. Quant à comprendre pourquoi le pouvoir communal a externalisé l’exploitation des horodateurs, la recette et les amendes, mes interlocuteurs confirment sobrement que la police peut ainsi se concentrer sur des missions où elle est seule compétente.

Mes interlocuteurs m’ont confié qu’après plusieurs mois de fonctionnement, il y a des usagers, des riverains, des commerçants, qui se demandent si le nouveau système doit être maintenu. Et ce, alors que les effets sont de plus en plus palpables. Ces effets, vous en aurez un avant-goût assez elliptique dans un clip d’1:00 minute réalisé grâce au Fonds Social Européen.

Je vais à présent vous donner mon témoignage. Et plus loin, si vous êtes courageux, la recette!

Concentrons-nous sur « l’hyper-centre commercial », expression que les Docteurs préfèrent à rue Hoyoux, Elisa Dumonceau, Laixheau, place Jean Jaurès, Large Voie. La très tenace impression d’agressivité et d’abandon qui se dégageait de ces artères est en train de se dissiper. Le ralentissement de la circulation et la rotation des véhicules en stationnement parviennent à calmer le jeu ; on commence à pouvoir se parler d’un trottoir à l’autre, preuve qu’il y a moins de bruit et qu’il y a plus de monde qui marche.

Sur la place Jean Jaurès, devenue zone de rencontre, les trottoirs ont littéralement fondu dans un tapis pavé uniforme, avec à la clé la mise en valeur de la vieille chapelle Saint-Orémus sur son promontoire. L’opération de rénovation urbaine a permis de dégager de nouveaux espaces publics entièrement libres de voitures. On n’a pas affaire à une piétonnisation au sens propre, et c’est tant mieux. La circulation des bus se poursuivra, comme semblent l’annoncer les abris-bus dont le style audacieux n’a d’égal que le confort – ce qui est tout de même une fameuse évolution, foi d’usagère intensive. La mise en œuvre de ce projet a demandé des années de négociation et de maturation, avec quelques accidents de roulage qui mettent sur leurs ergots les opposants à la zone de rencontre.

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Vue depuis la place Camille Lemonnier vers la chapelle Saint-Orémus. Le sommet de sa butte est de plain-pied avec la place Jean Jaurès. L’aménagement du versant reste fort controversé quant à l’usage expansif de béton (Photo de Jean Housen, février 2014 https://commons.wikimedia.org/wiki/File:20140201_herstal45.JPG).

Face à l’hôtel de ville et à la place Jean Jaurès, une structure en résille détonne dans l’alignement des sages maisons mitoyennes de la rue Elisa Dumonceau. C’est le centre administratif en construction ; ses deux ailes seront bientôt couvertes de feuillage, à l’image des terrils qui verdissent à la jonction entre Herstal et Liège, à l’arrière-plan de Coronmeuse. L’architecte? Si vous ne le connaissez pas encore, retenez son nom : Frédéric Haesevoets. Il a également conçu un ensemble de logements dans l’îlot Marexhe, à quelques pas de la gare SNCB (abandonnée au profit d’un tout nouveau point d’arrêt non gardé). Ses réalisations en cours ne sont pas des maquettes grandeur-nature mais des lieux actifs, qui reconnaissent le site où ils s’installent. Vraiment, à Herstal, l’accroche au paysage va pouvoir se révéler à nouveau.

J’en profite pour évoquer l’ancien immeuble de gare, avec sa longue volée de marches reliant le niveau des quais à la voie publique. Son architecture est compacte et ingénieuse, parfaitement adaptée au site à forte déclivité. La distance avec Liège-Palais ? Cinq minutes de trajet en train. Un magnifique potentiel à exploiter le plus vite possible, sous peine de voir le bâtiment et ses abords se dégrader davantage. Peut-être la gare pourrait-elle se faire recycler dans un projet d’intérêt communautaire ? La SPI+, intercommunale de développement économique de la Province de Liège, prévoit en tout cas un projet d’urbanisation à moins de cent mètres de là, rue En Grande Foxhalle, sur l’ancienne cour aux marchandises entre la voie ferrée et le versant.

« Tout le monde ne peut être satisfait d’un coup, mais ceux qui débarquent à Herstal comprendront, comme à Gand, que le système est ‘spécial’, pour permettre à tous de profiter de la ville. » Ainsi s’exprime Michel Murzeau, membre de la CCATM de Herstal et des sections locales du GRACQ et de la Ligue des Familles. Il guidait ma visite, et je ne laisserai personne lui rire au nez sous prétexte que « Hahahaha cette bonne blague, Gand a tout de même plus à offrir que Herstal ! »

Michel Murzeau avait déjà fourni les bases de réflexion de la nIEWs « Quitter sa voiture en ville », en avril 2010. Il s’y exprimait notamment sur les effets attendus en aménagement du territoire lorsqu’on encourage les modes de déplacement volontaires :

 Le premier objectif, c’est de freiner la production pléthorique des infrastructures liées à notre modèle d’urbanisation, ce « permis de bâtir de l’individualisation », responsable des 400 km de nouvelles routes construites chaque année en Wallonie. Nos villes et communes avalisent sans broncher ces voiries dont elles auront ensuite la charge ! Or ces voiries sont pour l’essentiel exclusivement tracées pour subvenir aux besoins d’usagers privés, et contribuent à les éloigner de plus en plus des noyaux urbains.

 Le deuxième objectif, c’est d’apporter une forme pratique à l’idéal de densité et de compacité qui est prôné actuellement. Les aménagements en mobilité de proximité, tels que les itinéraires de liaison, servent d’éléments de convivialité et d’aération dans une urbanisation intense sur des parcelles étroites. Ils mettent vraiment à portée de jambes la vie locale, les activités du centre névralgique d’une agglomération.

 Le troisième objectif, c’est de réaliser des économies d’échelle qui aident à atteindre la rentabilité sociale, et partant préservent les budgets en vue d’assumer des projets publics indispensables mais coûteux : transports en commun, constructions, rénovations, revitalisation, entretien des voiries. Une commune disposant d’une faible assiette fiscale pourrait dès lors se permettre d’être plus regardante sur la qualité. Face à ses partenaires et face aux investisseurs elle pourra être exigeante comme si elle était « riche » !

Alors, cinq ans plus tard, que lui inspirent les transformations de sa ville ?

Tenté de prime abord de me montrer tout ce qu’il reste à faire, Michel Murzeau estime qu’une étape indispensable serait un débat à la Commission communale d’aménagement du territoire et de mobilité (CCATM) Il est persuadé que laisser s’exprimer les opinions citoyennes au sujet de ces mois d’expérimentation pourrait avoir lieu dans le cadre de la Commission. Il en ressortirait un avis d’initiative, pour encourager la commune à poursuivre la démarche, et pour proposer des ajustements afin d’éviter que l’inadéquation avec la réalité condamne à terme l’ensemble du dispositif.

Car pour lui, cela coule de source qu’il faut maintenir le dispositif. Il ne craint pas que Herstal soit moins fréquentée, il est plutôt convaincu du contraire. Oui, la politique de mobilité de sa commune peut lui faire une bonne publicité, oui, elle a des chances d’être plus visitée grâce à cela, mais aussi d’être plus agréable à visiter. C’est pour les habitants que Michel conçoit que la métamorphose puisse être dure à digérer, car opérer des restrictions à l’usage de la voiture, revient à s’attaquer à un objet et à un statut, à rendre moins confortable un quotidien jugé ardu ou morose. Les bienfaits collectifs d’une diminution de la pollution ? Si les particules fines se voyaient à l’œil nu, l’arsenal de mesures aurait sans doute plus d’adeptes… Mais il faut avoir confiance dans la capacité des habitants à surmonter le sevrage automobile, puisqu’ils ont tout à gagner sur le plan de l’appropriation territoriale.

Au-delà des prérogatives strictes de la Ville de Herstal, Michel Murzeau regrette les nombreuses fermetures de passages-à-niveau orchestrées par Infrabel sur le tracé de la ligne 34. Ces huit fermetures, marquées par des croix orange sur la carte annotée qui illustre la présente nIEWs, signifient la fin du passage des voitures, des véhicules utilitaires, des piétons et des cyclistes. C’est un peu la fin d’une vie interquartiers où les rues s’irriguent les unes les autres et permettent de circuler loin ou près. Désormais plus isolés, les habitants risquent de recourir encore davantage aux véhicules privés, ce qui est un comble dans une commune où tout est par ailleurs mis en œuvre pour passer aux modes volontaires, dans l’immédiat ou dans un futur pas trop éloigné. En matière de transports publics, Herstal compte fermement avec l’arrivée du tram, mais le dossier global se trouve quelque peu ralenti. Là encore, Michel Murzeau ne désespère pas. A l’instar d’Urbagora, il estime que le temps permet de perfectionner les projets, avant de les lancer pour de bon.

La recette

Et maintenant, de quoi a-t-on envie ? D’un bon petit coup ! Je vous propose donc une « Herstal Force ». En bonus, la recette! Ce n’est pas la recette des horodateurs, mais ça devrait quand même vous plaire.

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Comment préparer soi-même la « Herstal Force »
La « Herstal Force », c’est un smoothie rouge et musclé qui se fabrique avec un blender. Prière de laisser la pulpe dans le jus, faute de quoi vous perdrez les trois-quarts de la Force. Invention maison, non déposée, reproductible à volonté.
Nettoyez et déposez dans le bol du blender :

 1 betterave rouge crue, pelée, coupée en pièces

 1 poignée de fraises (de la Noire de Vottem, si vous y arrivez) 1 poignée de framboises

 le jus d’une orange à jus + 2 oranges à jus pelées et divisées en quartier

 15 feuilles de menthe

 Swoosh swoosh swoosh, à votre santé !

En savoir plus

Herstal est devenue en 2009 la 66e ville de la région, sur vote unanime des parlementaires wallons. La Belgique compte 133 villes. En voici le tableau complet publié sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ville_de_Belgique#ancre_H

Le chantier du nouveau centre administratif peut être visionné en action : http://www.herstal.be/ma-ville/ma-ville-en-photos/nouvel-hotel-de-ville

Une série de photos « avant-après » des travaux de rénovation urbaine à la place Jean Jaurès : http://www.herstal.be/vivre-herstal/qualite-du-cadre-de-ville/renovation-urbaine/place-jean-jaures/place-jean-jaures/2-avant-apres-travaux2014.pdf

Pépin de Herstal est l’arrière-grand-père de Charlemagne.

Zone de rencontre, zone 30, partage de la voirie : quelques explications pour tout public.
http://mobilite.wallonie.be/files/Centre%20de%20doc/CeMath%C3%A8que/cematheque19_200611_19cmyk72dpi29030.pdf