Une politique de la chasse sclérosée…

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La surdensité de grand gibier que connait la Région wallonne n’est pas neuve : les indicateurs sont à la hausse depuis plus de deux décennies. Selon le tableau de bord de l’environnement wallon, la population de cervidés a doublé et celle de sangliers a triplé, le tout en moins de 20 ans. Une croissance appréciée par certains acteurs, singulièrement ceux du monde de la chasse, et qui leur est d’ailleurs partiellement imputable : ils ont en effet progressivement développé des pratiques qu’on peut facilement assimiler à de l’élevage extensif en forêt et garantes de prestigieux tableaux de chasse. Le déséquilibre « forêt – faune sauvage » qui en résulte est aujourd’hui tel que l’on peut se demander comment on en est arrivé là, sans qu’aucune mesure significative pour les contrôler ne soit encore sur la table. Une réforme en profondeur de la loi sur la chasse ne peut plus attendre. A fortiori après l’important travail réalisé sous la précédente législature en matière de code forestier.

La dégradation des arbres par écorcement, frotture ou abroutissement engendre des pertes importantes avec pour conséquence une production moindre de bois de qualité. Pour l’ensemble des forêts wallonnes, 7,3 % des peuplements résineux présentent des dégâts de ce type sur plus de 25% des arbres. La régénération naturelle est également mise à mal : plus de 9 % des peuplements feuillus ou résineux en régénération sont abîmés sur plus de 25% de la régénération naturelle. Des chiffres qui ne tiennent pas compte de l’absence totale de régénération qui ne peut évidemment, quant à elle, être évaluée. Cette situation est devenue réellement catastrophique dans certains massifs qui présentent de surcroît les sols les plus pauvres. (voir illustration du Tableau de Bord de l’Environnement). Ces dégâts liés à la surdensité de gibiers affectent enfin les choix de sylviculture puisque l’option sylvicole de la régénération naturelle de forêts variées est impossible sur certains territoires à moins de devoir recourir à de coûteuses protections (clôtures).

Un cercle vicieux entretenu par les chasseurs

La croissance des populations de grand gibier a des origines essentiellement anthropiques. Sous l’effet du réchauffement climatique, les forêts « produisent » davantage : les glandées et fainées abondantes favorisent le maintien des populations en hiver et, pour le sanglier, renforce sa prolificité. Les importantes tempêtes des années ’90 ont largement ouvert les forêts augmentant ainsi l’offre de nourriture. Mais ce facteur, naturel lui, aurait pu être régulé par une chasse « équilibrée », stabilisatrice, voire réductrice des populations. Mais c’est là qu’interviennent les facteurs anthropiques…

Les densités de gibier ont commencé à augmenter en forêt quand le gibier des plaines terminait de disparaitre sous les coups de buttoir d’une agriculture en pleine intensification et d’une artificialisation des milieux. Et la plaine désertée par le petit gibier fut rapidement délaissée par les chasseurs au profit des massifs forestiers. Cette transhumance a augmenté la pression sur les territoires de chasse forestier, les prix de location et… les densités pour financer ces coûteux baux de chasse.

La forêt n’est pas la seule à pâtir de cette surdensité. Régulièrement, des groupes de sangliers quittent leurs zones de nourrissage pour gouter aux plaisirs d’une alimentation plus naturelle, dans les pâtures ou les champs de maïs, voire les parcs et jardins aux abords des villes! Liège, Namur ont été les premières cibles… Des incursions très médiatisées qui constituent l’arlésienne des questions parlementaires.

La faune sauvage, une fois passée la lisière forestière, devient… gibier sous la responsabilité des chasseurs, responsables des dégâts occasionnés. Et le législateur a prévu des dispositions spécifiques pour assurer le dédommagement des agriculteurs. Lesquels dédommagements sont le plus souvent l’objet d’arrangements à l’amiable ou, si ce n’est pas le cas, d’une expertise. « Désagréments  » qui expliquent la mise en place et l’entretien par les chasseurs de clôtures électrifiées voire de clôtures continues en treillis métalliques en bordure des massifs forestiers.

Pour retenir les sangliers en forêt ou plutôt, soyons franc, pour les retenir sur son territoire de chasse plutôt que sur celui de son voisin, le nourrissage dit « dissuasif » est de mise. Un nourrissage qui prend souvent la forme d’un élevage en forêt vu les quantités et les moyens utilisés : 200 kg de maïs /jour sur quelques centaines d’ha est pratique courante … en période de chasse, cette quantité sera quintuplée. En agriculture, le recours à de telles quantités impliquerait un permis d’environnement ! Le Royal Saint-Hubert Club, fédérant une partie des chasseurs de Wallonie justifie aujourd’hui ce nourrissage par le bien être animal… qui autorise dans les faits la continuelle inflation des tableaux de chasse, dignes de certains… abattoirs.

Force est donc de constater que l’augmentation des densités n’a pas été de pair avec l’évolution de la disponibilité de nourriture en forêt (la capacité d’accueil) liée, elle, aux pratiques sylvicoles. Mais que ce déséquilibre « forêt – faune sauvage » est en quelque sorte « imposé » par les chasseurs aux autres acteurs de la forêt, et ce, sans réelle possibilité de recours pour les propriétaires et gestionnaires de forêts.

On l’aura également compris, ce déséquilibre « forêt – gibier » affecte de manière inquiétante l’écosystème forestier dans son ensemble du fait d’un appauvrissement de la biodiversité non seulement des essences forestières, mais également des strates arbustives et herbacées.

Comme le révélait récemment les conclusions d’une étude commandée par le Ministre de la ruralité, l’impact des changements climatiques risque d’affaiblir plus encore cet écosystème. La biodiversité joue en effet un rôle primordial pour assurer la capacité de résistance de nos forêts aux changements climatiques et perpétuer les services écologiques liés à cet écosystème. Laquelle biodiversité implique un mélange des essences et des âges au sein des peuplements. Ce que la présence de telles densités de grand gibier rend largement impossible.

Une réforme en profondeur basée sur une véritable concertation

Suite à de larges auditions parlementaires, la Commission de l’Environnement du parlement wallon a déposé un rapport sur la chasse en … 2003. Dans celui-ci, elle suggère de développer la concertation avec tous les acteurs des milieux ruraux (propriétaires, agriculteurs, gestionnaires forestiers, environnementalistes, …) et d’adopter un projet global doté d’objectifs chiffrés visant à améliorer ou à rééquilibrer la faune sauvage et ses habitats. La Commission suggère donc logiquement d’ouvrir les Conseils cynégétiques aux autres acteurs et demande une évaluation systématique de leur action et de leur mode de fonctionnement.
Aujourd’hui l’administration fixe annuellement des plans de tirs pour la seule espèce cerf en concertation avec les Conseils cynégétiques regroupant les chasseurs d’un massif forestier. Ces plans de tirs déterminent le nombre minimum et maximum d’individus pouvant être chassés sur le territoire concerné. Cet outil a priori intéressant ne règle malheureusement pas la question comme en attestent les chiffres de croissance des populations de cerfs. Un constat qu’il convient de nuancer puisque quelques Conseils cynégétiques se sont élargis aux différents acteurs concernés afin de tendre à l’équilibre « forêt – faune sauvage ». Mais ce seul outil, largement perfectible, ne concerne que le cerf. Rien donc pour limiter l’inflation des populations de sangliers.

Le message du Parlement est clair : il faut réformer la législation dont la vision est aujourd’hui verticale et territoriale. La faune sauvage qui acquiert le statut de gibier par le biais de la loi sur la chasse devient automatiquement le jouet des seuls chasseurs… Exit les autres parties prenantes !
Une telle situation est inconcevable au vu des dégâts économiques et environnementaux engendrés par les surdensités observées. Et que l’on ne vienne pas dire que la concertation n’est pas possible : la volonté de réussir un projet ambitieux en terme de conservation de la nature (Natura 2000) a permis d’organiser une gestion concertée entre propriétaires publics et privés, agriculteurs et environnementalistes, sur près de 13 % du territoire wallon. 13 % du territoire pour lesquels l’une des menaces résiduelles est aujourd’hui… la pression du gibier !

Depuis le travail du Parlement, plus rien ne bouge véritablement même si une concertation de tous les acteurs a bien eu lieu sous l’égide du Ministre. Une concertation cadenassée par les positions inflexibles de ceux qui représentent aujourd’hui les chasseurs. En d’autres lieux, dans le cadre de la gestion durable des forêts (PEFC), la concertation a abouti sur des positions intéressantes et diamétralement opposées : une priorité absolue à une réduction drastique de populations là où elles sont excessives, la limitation du nourrissage en forêt, l’implication de toutes les parties prenantes dans la définition des plans de tir,…

Si le politique a justement misé sur la capacité des acteurs à développer des solutions intelligentes pour dépasser cette problématique, il faut un moment trancher et redéfinir les règles. L’explosion des densités de grands animaux est un phénomène répandu à travers toute l’Europe. Mais, en termes d’ébauche de solutions, la Wallonie est à la traine quand on regarde ce qui se passe au Luxembourg, en France, en Allemagne ou en Autriche. La résolution du Parlement luxembourgeois a, par exemple, abouti rapidement à un projet de loi révisant en profondeur la Loi sur la chasse, interdisant le nourrissage, instaurant des droits de dédommagements aux propriétaires des bois, donnant au ministre la possibilité de faire organiser une chasse administrative, ouvrant largement les décisions de gestion de la faune sauvage aux autres acteurs de la ruralité… En Région wallonne, la révision récente du code forestier a amené les principes d’une gestion durable et concertée de la forêt. La loi sur la chasse, ne prenant toujours pas en compte sa dimension transversale, exclut la majorité de ces mêmes acteurs de la gestion de la faune sauvage qui bénéficie du titre de gibier et dont les surdensités constituent aujourd’hui la menace principale sur les fonctions économiques et environnementale de la forêt. Il est plus que temps d’en finir avec un tel anachronisme !

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Extrait de nIEWs (n°70 du 25/02 au 11/03),

la Lettre d’information de la Fédération.

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Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité