Adapter nos sociétés aux crises environnementales… avec amour

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Comment nos sociétés vont-elles se positionner face à l’accueil des réfugiés climatiques ou pour une répartition exemplaire des ressources vitales comme l’eau et l’alimentation entre tous les habitants d’un même territoire, indépendamment de leurs capacités financières ou de leur réseau social ? Comment deviendrons-nous des sociétés résilientes où chaque individu sera reconnu comme membre de plein droit de la communauté ? Comment nous appuyer sur des valeurs de coopération, d’altruisme et de responsabilité pour y parvenir?

Ces 5 années ont été marquées par des changements sociétaux importants accélérant et radicalisant certaines de nos postures. Nous avons assisté à une montée en flèche du racisme et de la xénophobie tout autant qu’à une montée de l’altruisme et de la solidarité.

C’est en janvier 2015, qu’une partie de la rédaction de Charlie Hebdo était exécutée par des intégristes et dans les mois et les années qui suivent, plusieurs attentats marqueront durablement notre société par la peur de la brutalité et de la mise en danger de son intégrité physique. C’est aussi le début de la guerre en Syrie et de la lutte contre l’état islamique. Cette guerre amènera des milliers de réfugiés à tenter la traversée vers l’Europe sans autre aide que leurs propres moyens et, à l’arrivée, ils seront confrontés à un refus de l’accueil et une vie précaire tenant à la solidarité de quelques citoyens. C’est aussi en 2015 que la Conférence des Parties trouve un accord climatique ambitieux, bien qu’insuffisant. Donald Trump, tout juste élu Président en 2016 décidera de sortir les Etats-Unis de cet accord faisant un recul de ce qui était enfin une avancée environnementale.

Depuis 2016, les feux de forêts prennent de l’ampleur, atteignant aussi la France, tellement proche de nous, que la question des changements climatiques devient une réalité pour un nombre croissant d’occidentaux et pour une partie des belges. Les feux de forêt en Australie à l’automne 2019 feront monter encore d’un cran l’angoisse environnementale des citoyens.

En décembre 2018, la Coalition Climat, dont nous sommes membre, organise une marche pour le Climat et à notre ébahissement près de 75 000 personnes marchent pour le Climat, du jamais vu à Bruxelles ! Les jeunes reprennent le flambeau en 2019 avec Greta Thunberg qui entraînera les jeunes à faire la grève de l’école tant qu’ils n’obtiennent pas des mesures ambitieuses pour diminuer l’impact de l’homme sur les changements climatiques.

En octobre 2018, suite à une hausse du prix du carburant, le mouvement des Gilets Jaunes dénonce une société où le partage des ressources est inégalitaire et oblige une frange, de plus en plus grande, de la population à vivre dans la précarité économique et sociale.

En mars 2020, nous connaissons la pandémie du covid-19 qui est probablement liée aux questions environnementales : notre colonisation du sol repousse dans des aires toujours plus retreintes une faune qui n’était pas censée se rencontrer, facilitant la transmission de virus qui dans d’autres conditions ne serait jamais arrivés jusqu’à l’homme.

Les évènements de ces 5 dernières années, les attentats, les feux de forêts ou la pandémie apprennent de façon particulièrement brutale aux citoyens occidentaux que notre mort peut être prématurée et que les souffrances et la précarité que nous pensions être l’apanage d’autres territoires, d’autres populations ou d’une histoire passée est, aujourd’hui, une composante de notre vie, ici et maintenant. C’est probablement un des changements majeurs de ces dernières années. Chacun y faisant face avec ses ressources émotionnelles, symboliques et/ou intellectuelles. La situation des réfugiés ou celle des Gilets Jaunes sont des révélateurs de la difficulté de la société et de la classe politique en particulier à modifier le système pour le rendre plus égalitaire et plus résilient.

Tout mais pas l’indifférence !

Chacun de nous a besoin des autres, non seulement pour se sentir exister, mais aussi pour sentir que nous avons de la valeur, que nous sommes une personne « qui en vaut la peine », que nous sommes « quelqu’un de bien », c’est une composante essentielle de notre bien-être.

L’analyse transactionnelle a traduit ce besoin du regard des autres dans le concept des « signes de reconnaissance ». Il s’agit de tout signe d’attention qui peuvent être verbaux ou non verbaux (un sourire, un regard, une caresse sur l’épaule…) ; positifs ou négatifs (compliment ou critique), conditionnels ou inconditionnels (adressé à nos actes ou à notre personnalité).

Tableau des signes de reconnaissance

Signes de reconnaissanceConditionnelsInconditionnels
PositifsJe trouve que ton travail est intéressant, il apporte des éléments de compréhension que je ne percevais pas ;Quand tu arrives à l’heure à notre rendez-vous je me sens reconnu.e.Je t’aime ;Tu es belle/beau ;Si c’est pour toi, c’est toujours oui !
NégatifsJe ne suis pas content.e que tu n’aies pas rangé ta chambre comme convenu ;Je préfèrerais que tu me préviennes quand tu invites tes collègues à dîner le soir à la maison.Tu es méchant.e ;T’es con.ne ;Oh, lui/elle, c’est toujours compliqué, enfin on le/la connaît…

Le premier signe de reconnaissance offert et rendu en début de journée est habituellement une salutation accompagnée d’un sourire joyeux ou contraint, selon les circonstances et les personnes.

Mais, imaginez un instant croiser une personne que vous connaissez et qui ne vous offre ni un bonjour, ni même un regard. Le sentiment qui risque d’émerger, selon notre mode d’explication, pourrait être de la tristesse ou de la colère (les plus chanceux se diront que cette personne était sans doute bien préoccupée pour ne pas l’avoir remarquée) avec des intensités plus ou moins variables ; mais il est certain que nous ne resterions pas indifférents à ce comportement. Et s’il venait à se répéter, la colère pourrait nous amener à blâmer l’autre et la tristesse à chercher en nous les raisons de cette mise au ban.

Ne pas se regarder, ne pas se dire bonjour ou ne pas se parler, c’est refuser d’offrir des signes de reconnaissance vitaux à l’autre. Ne pas recevoir de signes de reconnaissance, de façon répétée et dans la durée, est délétère et peut conduire à la dépression et au suicide. Le résultat est similaire lorsqu’une personne ne reçoit que des signes de reconnaissance inconditionnels négatifs.

Ce besoin de recevoir des signes de reconnaissance est à ce point vital qu’en l’absence de signes positifs, nous préfèrerons recevoir des signes de reconnaissance négatifs ; nous irons alors chercher, selon nos préférences ou selon ce qui est disponible chez l’autre, de la tension, de la dispute, du débat, nous chercherons des remarques, voire même pour certains, des coups.

S’offrir des signes de reconnaissance positifs ou des signes de reconnaissance négatifs conditionnels (quand c’est nécessaire), permet de proposer des relations saines, sans faux semblants. Et s’ils s’accompagnent d’une réelle empathie et d’une compassion sincère, ils permettent d’offrir des relations aimantes qui, même si elles restent à sens unique, offrent aux autres de la vie.

Prendre ou donner ?

Marcel Mauss, célèbre anthropologue français du début du 20è siècle, dans son étude des documents relatifs aux sociétés primitives a mis à jour le système du don comme fondement du lien social.

Toujours actuel dans nos sociétés, le don est présent dans tous les liens interpersonnels qu’ils soient amicaux, amoureux, sociaux, professionnels, familiaux ; le don est partout. Dans toutes ces relations, nous commençons par donner quelque chose à l’autre : un sourire, un objet, un service, une attention, une information… peu importe. Ce don, quand il est accepté, ouvre une relation de réciprocité. Car ce don qui est reçu, entraîne une obligation de rendre et un circuit de relation de personne à personne s’établit où les dons de l’un et l’autre nourrissent le lien. Mauss parle de la boucle du don, composée de la triple obligation de donner-recevoir-et-rendre.

Ce n’est pas un cercle fermé car l’obligation de « rendre » n’est pas forcément tournée vers la personne qui a « donné ». Il suffit de penser à ce que nous avons reçu de nos (grands-)parents, nous le rendons à nos enfants, parfois à notre conjoint, nos amis, nos voisins…

Il est aussi des dons qui sont des cadeaux empoisonnés ou des tentatives de l’autre de nous lier à lui et où nous nous sentons entravés. Souvent, instinctivement, nous refusons ces dons, en faisant cela, nous refusons la relation telle que l’autre nous la propose, ce qui est sain !

Le don demande de faire le pari de la confiance. Confiance d’être reçu tout d’abord et confiance que ce premier pas en entraînera un vers nous de la part de l’autre.

Lorsque nous nous retrouvons dans des relations de méfiance ou de défiance (envers soi tout d’abord et envers les autres ensuite), le pari de la confiance devient complexe à réaliser, souvent démarre alors la  boucle inverse du don, qu’Alain Caillé1Cfr « Aller plus loin »[/efn-note] évoque dans ses travaux : prendre-refuser-et-garder, et que je me permets de nommer la boucle de l’accaparement.

Lorsque nous sommes en proie à la peur, à la colère ou à la haine, légitime ou non, nous voyons les autres comme des personnes dont nous devons nous protéger. Et comme nous avons besoin des autres pour nous sentir exister, nous allons alors entrer dans la boucle de l’accaparement : extorquer des signes de reconnaissance, refuser d’en donner, garder ses informations, ses connaissances, ses compétences, peu importe que les autres en aient besoin ou non, nous les garderons jalousement.

Autant la boucle du don entretient un lien pacifique et grandit tous ses participants de sentiments positifs face à l’existence, quelles que soient les circonstances ; autant la boucle de l’accaparement entretient tous ses participants (souvent des participants involontaires) dans la souffrance.

Accueillir l’interdépendance

Les valeurs de coopération, de solidarité, de responsabilité et d’altruisme relèvent toutes de la triple obligation de donner, recevoir et rendre. Les signes de reconnaissance offerts sincèrement sont le premier moteur de la boucle du don, le premier pari de confiance que nous offrons.

S’adapter aux crises environnementales et sociales à venir va nous demander de mobiliser toutes nos compétences à mettre en acte les valeurs d’altruisme, de coopération, de solidarité et de responsabilité. Pour y arriver nous devons nous offrir des relations saines et aimantes, entrer dans la boucle du don et faire le pari de la confiance, qui sera parfois raté mais si souvent réussi. La grande majorité des humains souhaitent la même chose : se sentir bien et souffrir le moins possible.

C’est un réel travail politique de fond, urgent à mettre en œuvre, qui pourrait modifier singulièrement les relations et les attentes des uns envers les autres. Sortir de la boucle de l’accaparement pour entrer dans celle du don, au niveau collectif, ce serait, entre autre, entrer dans des rencontres de coconstruction où il s’agit pour chacun de donner ce qu’il sait pour atteindre l’objectif (diminution des GES, accueil des réfugiés, répartition des ressources…) et non plus être dans des réunions de négociation où il s’agit de gagner ou perdre le moins possible.

Au niveau individuel, il s’agirait d’accueillir son besoin de reconnaissance comme une évidence saine et légitime, premier pas pour comprendre ce besoin tout aussi sain et légitime de la part des autres. Ensuite offrir aux autres les signes de reconnaissance dont on est capable, parce qu’ils en ont besoin et que vraiment, ça ne nous coûte rien de le faire.

Ensuite accueillir le lien d’interdépendance qui lie les humains entre eux et à la biosphère est le pas suivant pour rendre à la nature ce qu’elle nous offre.

Parler d’amour, de reconnaissance et de don peut faire figure de bisounours. Et pourtant, que recherchons-nous si  ce n’est de nous sentir bien ? Et pour quelles raisons les relations politiques, professionnelles ou économiques devraient être exemptes de rapports sains et si possible aimants ?

Pour aller plus loin :


Aidez-nous à protéger l’environnement,
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Véronique Hollander

Fédération, Education permanente