Affaire Falkenberg

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Société
  • Temps de lecture :7 min de lecture

Faut-il être un gros pollueur véreux qui s’en met plein les fouilles pour attirer l’attention de Dame Justice ?

Après des années d’attente, la justice vient de rendre son jugement dans cette affaire – ô combien lucrative pour tous ceux qui y ont trempé, les frères Falkenberg en tête – de trafic et d’abandon de quantités folles de déchets dans la nature(1).

Il faut dire que la corruption active de l’administration et du Ministère public – et là, à son plus haut niveau, quand on songe à l’ex-premier avocat général de Liège, Franz-Joseph Schmitz, – a considérablement freiné, voire carrément obstrué, le cours normal de la Justice et la réhabilitation des sites pollués. Car les sites, ne l’oublions pas, sont toujours en l’état où les ont laissés les frères Falkenberg au milieu des années ‘90.

Le jugement fait 138 pages. Mais il faut arriver à la page 100 pour lire l’examen par le tribunal des préventions liées à l’environnement.

Avant cela, le tribunal se consacre à l’examen de toutes les autres préventions, c’est-à-dire à tous les faux en écriture, faux dans les comptes annuels des sociétés dont les frères F étaient gestionnaires et administrateurs (la SPRL STPI -pour société de traitement des produits industriels- et la SA Falkenberg), détournements de fonds au préjudice de ces mêmes sociétés, gestion de fonds occultes, non respect de la loi sur la comptabilité des sociétés, fausses déclarations à l’impôt des sociétés, faux en écriture publique et, bien sûr, les faits de corruption active.

Au final, le tribunal condamne les frères F. (dont l’un est décédé pendant le procès) : oui, il y a eu des fraudes de grande ampleur, des abandons de déchets parfois dangereux et de la corruption, et oui, les infractions se sont déroulées sur une longue période. Mais, le tribunal prononce le sursis partiel des peines. Il a égard à l’ancienneté des faits, à l’absence d’antécédents dans le chef des prévenus et… à l’importance des sanctions civiles.

Et quelles sont précisément ces « importantes » sanctions civiles ? A qui seront-elles payées ? Il s’agit de quelques 3.500.000¤ que les frères F. devront payer au liquidateur de la société qui les a pourtant employés – et à des hauts niveaux de responsabilité encore bien ! Ceci ne manque pas d’interpeller sur la responsabilité, sinon pénale(2), au moins civile de la STPI, lors même que l’on est bien persuadé que les agissements fautifs des Falkenberg n’entraient pas, loin s’en faut, dans le cadre de l’objet social de la STPI.

Quant aux infractions environnementales, le tribunal considère comme établies les préventions du chef de non respect des législations sur les déchets et sur la protection des eaux de surface : oui, il y a eu des déchargement de milliers de tonnes de déchets sur les sites de la carrière Rieudotte (Ben-Ahin), à Engis, sur les sablières Flög (Raeren) et Brennhaag (Hergenrath) et sur un terrain de la gare de Bertrix (St-Hubert-Bertrix) ; oui, il y eu des déversements d’eaux polluées dans la Meuse.

Outre la peine d’emprisonnement évoquée ci-dessus, le tribunal réserve pourtant à statuer sur la demande de la Région wallonne d’obtenir la remise en état des sites pollués : il ordonne la réalisation aux frais des condamnés d’une étude préalable qui permette de réintégrer le site « dans la mesure où ils ont eux-même commis une infraction ». Ce faisant, il n’ordonne ni fixe une sûreté ou un délai de réalisation de ladite étude, ce dont on ne peut que s’affliger !

Et si l’on est heureux de lire que les dépôts illégaux de déchets sont des infractions continues – ce qui signifie que le Procureur du Roi peut en poursuivre les auteurs tant que les déchets n’auront pas été évacués – l’on enrage de voir que les dépôts illégaux de déchets commis par d’autres, comme notamment le transporteur Sonneville sur la décharge publique du « Chena » à Flémalle (3) ou la commune de Raeren elle-même sur le site de la sablière de Flög(4), ne font l’objet d’aucune poursuite… Est-ce à dire qu’il faut être un gros pollueur véreux qui s’en met plein les fouilles pour attirer l’attention de Dame Justice ?

A épingler encore, le préambule du tribunal : « au cours des périodes infractionnelles visées, différentes normes se sont succédées ». Il est vrai que dans ce dossier les périodes infractionnelles tournent autour de la dizaine d’années. Il n’empêche que le constat du tribunal devrait raisonner dans la tête du Législateur et plaider pour plus de sécurité juridique et, donc, plus de stabilité des normes.

En conclusion, ce jugement montre, si besoin en est, qu’il est, encore aujourd’hui, toujours plus aisé dans notre système judiciaire de réparer le préjudice économique que le préjudice écologique. Les législations fédérales et wallonnes méritent d’être améliorées en vue de conforter les actions en justice de la Région et d’associations en vue d’obtenir la réparation des dommages causés à l’environnement. Pourtant, les initiatives législatives ne manquent pas que ce soit dans le domaine de la poursuite des infractions environnementales(5), de la mise en place d’une responsabilité en vue de prévenir et de réparer les dommages environnementaux(6) ou encore d’asseoir les actions en justice des associations(7) qui, de ce point de vue, sont à peine plus mal loties que les pouvoirs publics(8). Reste à les concrétiser…

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter les nombreux articles que la revue « Incidences » a consacré à l’affaire Falkenberg et, dernièrement, le n° 283 du 22 janvier 2007. En pièce jointe, l’extrait du jugement concernant l’environnement.

Notes

(1)Jugement du tribunal correctionnel de Huy du 22 décembre 2006.

(2)Loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des personnes morales et la condition d’un lien « intrinsèque » entre la réalisation de l’objet social et l’infraction. Voir not. B. Gervasoni, « la loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des personnes morales : incidences en droit de l’environnement », Aménagement-Environnement, 2001/3, pp. 204 et s.

(3)Cité par le tribunal.

(4)selon le rapport de l’ASBL Terra Ostbelgien, cité par le tribunal.

(5)Projet de décret du Gouvernement wallon, adopté en 1ère lecture.

(6)Projet de décret du Gouvernement wallon, adopté en 1ère lecture.

(7)Plusieurs propositions de loi ont été déposées, par Mme Nyssens, par Mme Storms.

(8)Voir not.. P. LEFRANC, « De toegang tot de rechter van de burgerlijke partij in het milieustrafrecht”, in L’accès à la justice en matière d’environnement en droit belge, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 147 et s.