Arcelor Mittal/Ougrée : quand polluer rapporte gros

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La fermeture par Arcelor-Mittal de sa « phase à chaud » liégeoise constitue un réel cataclysme social et témoigne avec acuité du cynisme de certains acteurs économiques exclusivement motivés par l’optimisation de leur profits. Dans son souci louable de préserver l’emploi, la Région wallonne a souhaité répondre le plus positivement possible aux exigences posées par le groupe Mittal en tablant sur la loyauté de ses dirigeants. On sait aujourd’hui ce qu’il en est. Lors de la décision par la Région de financer les quotas d’émission de CO2
pour relancer la haut-fourneau d’Ougrée, la Fédération avait (malheureusement…) pointé le risque de cette stratégie du tapis-rouge.

Texte publié le 25 mars 2010

Le Gouvernement de la Région wallonne vient d’annoncer sa généreuse contribution au financement des quotas de CO2 d’Arcelor Mittal pour relancer le haut-fourneau d’Ougrée (HFB). Bonne nouvelle pour l’emploi dans le bassin liégeois diront certains, mise en ½uvre logique d’un accord politique entériné avant la crise économique s’empresse-t-on de justifier au Gouvernement wallon… Mais avec 12 millions de tonnes de CO2 offertes à Arcelor Mittal, c’est l’ensemble du système des ETS (Système d’échange de quotas d’émissions) qui est sérieusement remis en question.

C’est entre 40 et 60 millions d’euros que la Région wallonne mettra sur la table pour financer 12 millions de tonnes de CO2 sous forme de quotas pour redémarrer le haut-fourneau d’Ougrée. Une contribution du Fédéral doit être encore négociée mais il semble acquis que d’ici 2012, Arcelor Mittal pourra profiter d’un système dont le but premier de maîtrise des émissions de GES et d’efficacité environnementale est détourné au profit d’un inquiétant principe « pollueur-payé » mais aussi « pollué-payeur »…

Pour rappel, le système d’échange de quotas d’émissions (ETS) est un dispositif destiné à amener certains secteurs industriels à réduire leurs émissions et à investir dans des technologies efficientes sur le plan énergétique et environnemental. Des quotas CO2 leur étant alloués au départ, les industries récupèreront les sommes et efforts investis pour réduire leurs émissions par la cession de leurs quotas excédentaires sur un marché européen. Si par contre, leurs émissions dépassent le seuil fixé, elles devront acheter des quotas supplémentaires, au risque de devoir payer une amende aux autorités. Chaque état membre reste libre d’allouer les quotas aux installations soumises à ce système selon un Plan national d’allocations des quotas (PNAQ) qui est évalué par la Commission européenne. La première phase d’allocation (2005-2007) avait montré ses faiblesses puisque la largesse des états membres vis-à-vis de certains secteurs n’avait pas eu l’effet incitatif espéré. Les quotas ont été attribués de façon plus que généreuse à certaines industries, entrainant ainsi une chute du prix de la tonne de CO2.

Pour la seconde période (2008-2012), la Commission s’est montrée plus scrupuleuse afin de d’atteindre de réelles réductions d’émissions. La Belgique, après avoir été contrainte de revoir son PNAQ à la baisse, peut ainsi allouer 58.5 millions de tonnes de CO2.

Dans le cadre du « partage des charges » entre les Régions, le Plan Wallon d’allocation n’a pas été bouclé sans mal. En cause le « cas Arcelor Mittal » ou comment soutenir le plan de relance de phase à chaud – hauts fourneaux HFB d’Ougrée et HF6 de Seraing – qui implique à lui seul l’émission de 4 millions de tonnes de CO2 par an. La Région wallonne et le Fédéral fournissant 2.6 millions, l’entreprise devait acquérir le solde. Cependant, la règle d’allocation entre secteurs n’autorisait pas cette affectation à Arcelor. Malgré un transfert de quotas entre les Régions et le recours à la réserve destinées aux nouveaux entrants (1.8 millions de tonnes), le Gouvernement wallon se voit forcé d’acheter des droits sur le marché du carbone, tout en justifiant que les efforts de réduction opérés par d’autres secteurs pourront dégager des quotas qui seraient revendus par la suite.

Mais cette démonstration mathématique présente des failles qui laissent perplexe. Premièrement, parce que pour alimenter la réserve pour les nouveaux entrants (1.8 millions) et allouer à Arcelor les quotas nécessaires à la relance de la phase à chaud, c’est finalement un total de 2.9 millions de tonnes par an qui « gonflent » ainsi le plan d’allocation de la Région wallonne. Un tour de passe-passe qui affaiblit l’efficacité environnementale du système, qui crée une distorsion de concurrence entre secteurs soumis aux ETS et ceux qui ne le sont pas. Ensuite, on est en droit d’être sceptique quant aux réductions espérées des secteurs non ETS (1.7 millions de tonnes estimées). Car si globalement, le ralentissement de certaines activités industrielles de secteurs déjà soumis aux ETS et la substitution du charbon par le gaz naturel permettront à la Région d’atteindre ses objectifs de réduction de 7.5% (période 2008-2012), les secteurs des transports, tertiaire et résidentiel continuent d’émettre de plus en plus[[voir : Etat de l’Environnement wallon]].

En outre, la Région et le Fédéral sont réellement « pris en otage » par leur engagement vis-à-vis d’Arcelor à fournir les quotas nécessaires à la reprise des activités sidérurgiques dans le bassin liégeois. Dans le contexte actuel, ce ne sont plus les 20 millions de tonnes initialement calculées pour les 5 années (2008- 2012) mais 12 millions de tonnes supplémentaires que les gouvernements devront financer,. C’est donc la collectivité qui prend en charge les coûts d’une activité économique d’entreprises qui profitent d’un système qui est loin d’atteindre son objectif incitatif de départ. En effet, dans un récent rapport dénonçant les entreprises qui profitent du système européen ETS (Rapport Sandbag : The Carbon Rich list- Feb. 2010), on constate qu’Arcelor-Mittal vient en tête du top 10 des compagnies qui ont bénéficié du plus grand nombre de quotas excédentaires, leur permettant ainsi de dégager d’énormes profits (« windfall profits ») générés par leur vente ou de disposer d’une réserve « stratégique » qui les dispenseraient d’efforts contraignants pour la prochaine période d’allocation. Ce rapport démontre à nouveau que la logique de marché appliquée aux mesures environnementales renforce le poids et l’influence de certains secteurs sur le politique.

Pour la période post-2012, il faut plaider pour un système plus ambitieux et surtout plus transparent tant il apparait que les transactions opérées sur le marché du carbone sont relativement opaques. L’UE doit soutenir des efforts de réduction élevés (30 à 40 % d’ici 2020). Elle devra également tenir compte de ces surplus de quotas en augmentant la part de quotas mis aux enchères et en s’assurant que les profits dégagés des quotas alloués précédemment soient réellement investis dans des technologies et efforts contribuant à la dé-carbonisation. Il faudra enfin un contrôle plus strict du mécanisme de la part de la Commission par un droit de regard et un accès aux informations relatives aux activités et transactions des entreprises.

Le cas « Arcelor-Mittal » dévoile une Région wallonne otage de certaines firmes, très polluantes, qui brandissent le spectre du chômage et de l’abandon de bassins industriels pour s’assurer leur plantureux bénéfices. Il s’agit ni plus ni moins d’un chantage au détriment d’une politique volontariste et cohérente qui permettrait de réaliser de réels effets en termes de réduction de GES. La transition vers une économie pauvre en carbone, allègrement supplantée par le mirage de « l’Eldorado sidérurgique wallon », est ainsi encore bien loin !

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