Assez sombres et rétro : les tendances énergétiques du WEO 2013

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Avec la chute des feuilles, c’est désormais une tradition, l’Agence internationale de l’Energie (AIE) sort son World Energy Outlook. Considéré comme analyse prophétique par certains, jugé trop conservateur par d’autres, le WEO n’en reste pas moins un exercice de prospective intéressant à l’horizon 2035, et ce, sur base de constats actuels, révélateurs et parfois interpellants. Sans être exhaustif, quelques grandes tendances de cette édition 2013

Des changements… sans révolution

A l’horizon 2035, pas de grande révolution mais une redistribution des cartes dans le paysage énergétique mondial. De grands pays importateurs deviennent exportateurs alors que d’autres gros producteurs actuels (Moyen-Orient) voient leur demande en énergie fortement augmenter, les rendant plus dépendants pour satisfaire leur appétit. Sans surprise, le « centre de gravité » de la demande énergétique se déplace vers les pays émergents (Chine, Inde, Moyen-Orient en tête). L’Inde deviendra le plus gros importateur de charbon d’ici 2020, la Chine le plus gros importateur de pétrole.

Les Etats-Unis qui s’enorgueillissent à la perspective de devenir auto-suffisants vers 2035 ne peuvent toutefois être considérés comme un Eldorado. Si les énergies fossiles non conventionnelles (huiles et gaz de schistes) offrent un rebond dans la production américaine, le pic pétrolier devrait y être atteint vers 2025 pour amorcer un déclin inéluctable. De plus, les gisements non conventionnels exploités par fracturation hydraulique connaissent un déclin beaucoup plus rapide, obligeant à toujours plus de forages (et d’investissements !) pour maintenir un certain volume de production.

Finalement, les pays de l’OPEP[[Organisation des pays producteurs de pétrole]] et particulièrement les pays du Moyen-Orient qui, après avoir été quelque peu éclipsés par les USA, le Brésil ou le Canada, reviendront au devant de la production en contrôlant plus de 80% des réserves probables et prouvées à plus long terme.

Cette édition fait en outre un focus sur le Brésil. Acteur incontournable de la scène énergétique, le Brésil deviendrait en 2035 le 6ème producteur de pétrole grâce à l’exploitation de gisements offshores mais aussi un gros producteur de gaz. Si le Brésil mise sur l’exportation d’énergies fossiles, son secteur énergétique devrait être un des moins carbonés grâce au développement des énergies renouvelables qui couvriront 43% de son approvisionnement énergétique…Tout n’est pas « vert » pour autant. De gros projets d’hydro-électricité (dans des environnements sensibles) et une augmentation de la part des agro-carburants posent de sérieuses questions en terme de durabilité.

Les énergies fossiles : des basiques mais à quel prix ?

Sans surprise, pétrole, gaz et charbon dominent toujours le paysage énergétique mondial. De 82% aujourd’hui, les énergies fossiles compteraient pour 75% du mix énergétique mondial en 2035. Mais l’AIE met en garde, ce maintien des énergies fossiles aura un prix. Pour aller toujours plus loin, plus profond et utiliser des technologies plus extrêmes, les prix doivent rester élevés. L’AIE prévoit un baril à 128$ (en $ 2012).

Par ailleurs, l’AIE annonce la couleur : l’exploitation des énergies fossiles non conventionnelles et de gisements extrêmes « ne signifie pas que le monde va connaître une nouvelle ère d’abondance de pétrole » ! Si d’autres pays espèrent calquer l’expérience US en matière de développement des fossiles non conventionnelles, l’AIE met en garde « good geology alone is not sufficient to replicate the US experience ». Hors USA, les conditions législatives, juridiques et économiques rendent l’exploitation des huiles et gaz de schistes beaucoup moins attractive (à supposer qu’on y trouve un attrait, c’est selon…). C’est un leurre de penser que l’Europe gagnerait à développer les non conventionnelles.

Si le charbon apparaît toujours comme une option bon marché, le cadre dans lequel évoluera cette ressource fossile déterminera son attractivité. Niveau de performance des centrales, réduction de la pollution de l’air, politiques climatiques… l’avenir du charbon dépendra des ambitions environnementales des états. Si le déclin du charbon se poursuivra dans les pays de l’OCDE, la demande mondiale pour ce combustible devrait augmenter de 17% d’ici 2035 (dans le scénario médian), principalement soutenue par la Chine, l’Inde et l’Asie du Sud-Est.

Des fossiles incontournables ? Non ! Mais c’est ce que veulent les Etats ! En 2012, les énergies fossiles ont en effet été subsidiées à hauteur de 544 milliards de dollars, cinq fois plus que le renouvelable (101 millions $ de subsides).

Les renouvelables tracent leur voie

Les énergies renouvelables progressent lentement mais sûrement pour couvrir près de la moitié de la croissance de la production électrique d’ici 2035. La Chine se taille la part du lion, la croissance des renouvelables dans ce pays dépassant la croissance en UE, US et Japon réunis. L’AIE estime qu’en 2035 30% du mix électrique sera renouvelable. Bien que le soutien aux renouvelables soit fort décrié et qu’une réforme s’avère nécessaire pour les filières matures et compétitives, l’AIE souligne l’importance d’intégrer les externalités positives des renouvelables dans les mécanismes de financement.

« Compétitivité », le mot branché

Contexte économique oblige, le WEO 2013 se penche sur les facteurs de compétitivité liés à l’énergie. Avec un prix du pétrole durablement élevé et des différences régionales significatives dans les prix du gaz et de l’électricité, l’AIE avertit que certains marchés et certains secteurs (transports, pétrochimie) seront plus vulnérables car moins compétitifs. Pour réduire cette vulnérabilité, l’AIE préconise certains remèdes :

 Une progression vers des marchés de l’énergie efficients et interconnectés et la création d’un marché du gaz mondial ;

 L’exploitation du potentiel d’efficacité énergétique. Alors que l’édition 2012 faisait un focus sur les économies d’énergie, l’AIE rappelle combien l’efficacité énergétique est une ressource sous-estimée. Si des mesures supplémentaires ne sont pas mises en œuvre dès aujourd’hui, deux tiers de ce potentiel d’économies d’énergie risquent de rester inexploités à l’horizon 2035. Et l’AIE va plus loin. La suppression des freins à l’investissement dans l’efficacité énergétique doit passer par la fin des subsides aux énergies fossiles[[« Action is needed to break down the various barriers to investment in energy efficiency. This includes pahsing out fossil-fuel subsidies, wicj we estimate rose to $544 billion worldwide in 2012]] ;

 Un changement de perception en arrêtant de considérer la contrainte climatique comme un frein à la compétitivité. De nombreuses mesures pragmatiques permettent à la fois de réduire la facture énergétique, éviter le gaspillage et contribuer à la diminution des émissions de GES (« improving efficiency, limiting the construction and use of the least-efficient coal-fired power plants, minimising methane emissions in upstream oil and gas, and reforming fossil-fuel subsidies – that could halt the increase in emissions by 2020 without harming economic growth »)

Sombres perspectives pour le climat

Avec une demande en énergie qui pourrait croître d’un tiers d’ici 2035 dans le scénario médian, un approvisionnement énergétique mondial encore largement dominé par les énergies fossiles et la perspective d’une croissance des émissions liées à l’énergie de 20%, l’AIE annonce la couleur : une trajectoire qui mène la planète à subir une élévation de 3,6°C.

Alors que le sommet des Nations Unies sur le changement climatique (« COP 19 ») se tient à Varsovie, on s’attend à de nouvelles déceptions, voire à un recul en matière lutte contre le changement climatique à l’échelle planétaire. Dans un ton différent que la société civile ou les rescapés philippins, la conservatrice AIE ne dit pourtant pas autre chose : un engagement international, global et contraignant en matière de réduction des émissions de gaz permettrait sans nul doute d’encourager les secteurs intensifs en énergie à déployer des technologies, produits et services bas carbone sans craindre pour leur sacro-sainte compétitivité.

Gaëlle Warnant

Économie Circulaire