Automobile et C02 : des vertus de la contrainte !

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L’agence européenne de l’environnement (AEE) vient de publier un rapport sur l’évolution des émissions de CO2 des voitures neuves en Europe. Le résultat global est plutôt satisfaisant : la moyenne ces émissions en Europe (EU27) en 2010 était de 140,3 g/km, en baisse de 5,4 g/km par rapport à l’année précédente (145,7 g/km). L’AEE nous livre, dans sa communication, de nombreux autres chiffres relatifs aux évolutions observées cette dernière décennie. Attachons-nous à les analyser à la lumière des tendances du secteur et des événements (crise financière, mesures de pilotage public) qui ont pu l’influencer.

Un rappel d’abord. Le règlement 443/2009 « établissant des normes de performance en matière d’émissions pour les voitures particulières neuves dans le cadre de l’approche intégrée de la Communauté visant à réduire les émissions de CO2 des véhicules légers » (ouf !) fixe des objectifs aux constructeurs automobiles. Pas aux Etats. Mais les politiques menées par lesdits Etats, de même que les conditions socio-économiques nationales, influent sur le marché automobile. La manière dont les constructeurs répondent au règlement 443/2009 s’en trouve donc affectée. Le travail de l’AEE (et la présente analyse) s’intéresse aux moyennes nationales, pas aux performances spécifiques des différents constructeurs (très fortement dépendantes de leurs propres politiques de produits).

Une mise en garde ensuite. Les émissions de CO2 sont établies selon le cycle de test dit NEDC (new european driving cycle), lequel sous-estime notoirement les émissions par rapport aux conditions réelles d’utilisation. Deux expériences menées à grande échelle, l’une aux Pays-Bas, l’autre en Allemagne, ont permis d’établir que la différence entre théorie et réalité est, en moyenne, de l’ordre de 20%.

En 2007, la Commission européenne décide de légiférer et d’imposer aux constructeurs automobiles des objectifs contraignants de réductions des émissions de CO2 des véhicules neufs. Fin 2007, la crise financière frappe durement le secteur automobile. Aux premières loges, le marché étasunien s’effondre véritablement en 2008 (moins 18 % par rapport à 2007), surtout sur la fin de l’année (décembre 2008 en recul de 35 % par rapport à décembre 2007) alors que les marchés japonais et européen résistent mieux (respectivement -5,2% et – 7,9%). Pour la petite histoire, le marché belge, lui, se développe : + 2,1%. Outre une réduction des unités vendues, on observe aussi une réorientation vers des véhicules plus modestes, moins chers, moins polluants. Alors que le poids des voitures neuves augmentait régulièrement depuis des décennies (ordre d’une quinzaine de kilos par an), il baisse de 6 kg en 2008 et de 36 kg en 2009. Alors que la cylindrée des véhicules était quasi stabilisée depuis plusieurs années, elle baisse de 26 cm³ en 2008 et de 83 cm³ en 2009… Alors que les émissions de CO2 ne baissaient que d’un petit 2 g/km par an en moyenne depuis l’année 2000, elles baissent de 5,1 g/km en 2008 et de 7,9 g/km en 2009. Tout ceci démontre, si besoin était qu’une réorientation du marché vers des véhicules plus légers, moins puissants, est la voie royale pour baisser, à moindre coût et rapidement, les émissions de CO2.

Comment, en-dehors de tout effet de crise, amener les citoyens à acheter des véhicules plus modestes ? Un regard sur les émissions moyennes des Etats européens suffit à répondre à la question. Les deux seuls pays européens qui se situent sous la barre fatidique des 130 g/km sont le Danemark (126,6) et le Portugal (127,3). Deux pays qui appliquent des taxes à l’achat plus élevées que la moyenne européenne et proportionnelles au prix catalogue de la voiture (Danemark) ou à la cylindrée et aux émissions de CO2 (Portugal). Comme le disait un de nos contacts dans une association portugaise : « ce n’est pas par vertu environnementale que mes concitoyens achètent des voitures peu polluantes : c’est par contrainte budgétaire… »

Dans les douze « nouveaux » Etats-membres de l’Union européenne, la moyenne des émissions des voitures neuves vendues en 2010 s’élève à 148,2 g CO2/km contre 139,9 g/km pour les 15 « anciens » Etats-membres. On peut y voir (avec toutes les prudences de mises dans le cadre d’une approche globale et donc réductrice) l’effet de facteurs socio-économiques. Si, dans les anciens Etats-membres, les pratiques de mobilité se modifient petit à petit et si la voiture y est de plus en plus vue comme un outil de mobilité parmi d’autres (dont il convient de rationaliser l’achat et l’usage), il n’en est pas toujours de même dans les nouveaux Etats-membres. Le taux de motorisation y est, en général, beaucoup plus modeste (en 2008, seuls Chypre, Malte et la Slovénie étaient au-dessus de la moyenne européenne de 470 voitures pour 1000 habitants). Dans les « ex-pays de l’est », en forte mutation économique, la voiture est souvent perçue comme symbole de réussite sociale – et se doit donc d’être aussi imposante que possible, au détriment des performances environnementales.

Il convient pour conclure de souligner que, si les tendances de ces trois dernières années se maintiennent, l’objectif communautaire d’une moyenne de 130 gCO2/km pour les voitures neuves vendues en 2015 sera aisément atteint. Ce qui démontre le caractère hautement nocif du lobby de l’industrie automobile. Sur base d’affirmations fausses soulignant l’impossibilité pour le secteur d’atteindre sans dommages graves des objectifs plus ambitieux, les constructeurs ont en effet affaibli fortement les objectifs européens par rapport aux ambitions de départ (les 130 g/km devaient initialement être atteints en 2012…).