Bénéfices nucléaires : surchauffe ministérielle face aux chiffres des ONG

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Si l’on s’en tient aux propos tenus par le secrétaire d’Etat fédéral à l’Energie, Melchior Wathelet, dans le journal L’Echo de ce mardi, Inter-Environnement Wallonie, le Bond Beter Leefmilieu (alterego flamand d’IEW) et Greenpeace raconteraient des « bêtises » sur le nucléaire. Cette réaction courroucée fait suite à une Carte Blanche de nos organisations publiée la semaine dernière dans le même journal qui dénonçait les nouvelles largesses consenties à l’égard d’Electrabel et EDF par le plan Energie du gouvernement fédéral.

La mise en cause frontale des associations environnementales par Melchior Wathelet porte en grande partie sur l’appréciation divergente relative à l’évaluation de la marge bénéficiaire qu’Electrabel et EDF retireraient en cas de signature de l’accord proposé par le secrétaire d’Etat pour la prolongation de Tihange 1.
Clarifions dès lors les différents points évoqués par le secrétaire d’Etat Wathelet.

Tout d’abord, nous reconnaissons une omission dans nos calculs basés sur le coût de production d’un mégawatt heure « non indexé » et estimé par la CREG pour 2007 entre 17 et 21€/MWh. Il nous apparaissait en effet discutable d’admettre que les coûts de productions d’une centrale nucléaire suivent l’évolution de l’indice des prix à la consommation… Quand bien même : en indexant ce chiffre sur base d’une évolution de 20 % de l’indice des prix à la consommation entre 2007 et 2015 (selon les prévisions du Bureau du plan), les coûts de production se situeraient plutôt entre 20 et 25 €/MWh. Ce chiffre reste en tout état de cause largement en dessous de celui repris par M. Wathelet dans sa proposition à Electrabel et EDF (27,4 €/MWh). Nous attendons évidemment les nouvelles estimations qui seront rendues par la CREG mais, dans l’état actuel de nos connaissances, il apparaît que les deux entreprises devraient retirer une marge de 2 à 7€/MWh supplémentaire grâce à cette sur-évaluation des coûts de production par M.Wathelet

Pour ce qui concerne le calcul de la marge bénéficiaire offerte à Electrabel et EDF dans le cadre de la proposition d’accord, nous ne comprenons pas comment M. Wathelet prétend qu’elle ne s’élève qu’à 9 % et serions intéressés de disposer de ses calculs. La marge proposée par le secrétaire d’Etat à Electrabel et EDF est de 6, 4 €/MWh ce qui, selon ses propres chiffres, représente 23 % des coûts de production de la centrale (27,4€/MWh) et 18% des coûts totaux, en ce compris les coûts d’investissement (600 millions €).

Electrabel et EDF bénéficieront de 30 % de la différence entre le prix assurant la marge « équitable », soit 41,8€/MWh, et le prix de vente de l’électricité. Sur ce point, le plus grand flou plane car le prix auquel les producteurs vendent effectivement leur électricité est inconnu. Mais là encore, nous nous basons sur le prix estimé par le Gouvernement pour calculer les rentrées espérées. Le Gouvernement table sur un prix de 60,23€/MWh selon les estimations publiées par Jean Trzcinski dans L’Echo du 20 juillet, soit une marge supplémentaire potentielle de 30 % de 18,4€/MWh, soit 5,5€/MWh.

Au-delà d’une querelle de chiffre, il apparaît bel et bien que même si le manque de transparence qui entoure la production nucléaire et l’évolution incertaine du marché de l’électricité rendent impossible une estimation précise, l’offre faite à Electrabel et EDF est bien plus intéressante que celles faites dans des situations similaires à d’autres producteurs énergétiques. Après indexation des coûts de production, nous arrivons tout de même a une estimation de bénéfice total annuel de 107 à 144 millions d’euros, selon qu’on se situe dans le haut ou le bas de la fourchette de la CREG pour les coûts de production.

Mais le plus préoccupant pour nous, organisations environnementales, est que le Gouvernement s’apprêterait à renégocier la taxe nucléaire. En 2013, le Gouvernement ne récupérait que 475 millions sur les 1,7 à 2,3 milliards de rente nucléaire (NDLR : bénéfice annuel estimé par la CREG pour 2007 lié à l’amortissement accéléré des centrales). Notre crainte est que Electrabel et EDF bénéficient d’une nouvelle diminution de cette taxe nucléaire après 2015 arguant que l’accord négocié aujourd’hui par M.Wathelet serait suffisant pour récupérer la rente sur Tihange 1.

Nous appelons donc M. Wathelet à davantage de prudence dans ses jugements hâtifs, peut-être dus à la chaleur ambiante. Plutôt que de stigmatiser la « bêtise » supposée de l’analyse des ONG, il serait bien inspiré de puiser dans cette analyse et dans la crédibilité des associations environnementales, qui considèrent que le secteur nucléaire a assez bénéficié des largesses du contribuable belge, des arguments pour contrer les nouvelles revendications d’Electrabel et EDF.

Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie