Betonstop flamand : vers quel type de mise en œuvre se dirige-t-on ?

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Alors qu’en Wallonie, le SDT  n’est toujours pas adopté, le gouvernement flamand a mis les bouchées doubles depuis le début de cette législature pour adopter son propre plan d’aménagement du territoire contenant une mesure phare comparable à celle qui se trouve dans le SDT : le Betonstop. Ce plan d’aménagement étant adopté depuis l’été 2018, l’heure est maintenant à s’accorder sur sa mise en œuvre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce Betonstop leur donne beaucoup de fil à retordre.

La fin de l’artificialisation prévue pour 2040

Même s’il n’est pas encore définitivement adopté, le SDT et sa mesure phare Stop Béton devrait tôt ou tard entrer en vigueur. Soutenant cette mesure, IEW est assez impatient de voir les choses avancer, notamment pour pouvoir apprécier ce qu’il en est de la mise en œuvre concrète. Une fois n’est pas coutume, la Flandre a pris le même type de mesure dans le BRV (Beleidsplan Ruimte Vlaanderen), son plan d’aménagement du territoire que l’on pourrait comparer à notre SDT wallon. Ce plan a déjà été adopté, en juillet 2018. Le Betonstop flamand contenu dans ce BRV annonce la réduction de moitié de l’artificialisation des terres à partir de 2025, soit passer de 6ha de terres artificialisées supplémentaires par jour à 3 ha. Et, alors que le SDT annonce la fin complète de l’artificialisation en 2050, la Flandre a décidé d’appliquer cette mesure dès 2040. C’est que, bien plus encore que la Wallonie, la Flandre est gourmande en terres. Avec plus de 30% de terres artificialisées et 14 % de terres complètement imperméabilisées1, le territoire flamand se morcelle, les terres agricoles s’amenuisent, les écosystèmes tirent la langue, les finances publiques en prennent un coup, et le rêve d’une mobilité durable s’éloigne un peu plus chaque jour.

Comment le mettre en œuvre ?

Sans attendre l’adoption définitive du Beleidsplan Ruimte Vlaanderen, le gouvernement flamand a notamment adopté le 30 décembre 2017 un décret  visant à favoriser et faciliter la densification de certains projets. A titre d’exemple, ce décret offre des procédures et conditions de dérogations très souples concernant les PCA de plus 15 ans. Ou encore, les dispositions des vieux permis de lotir ne sont désormais plus contraignantes, notamment en termes de densité.

Il s’agit donc là de mesures législatives participant à la mise en œuvre du Betonstop dans le sens où elles permettent des projets plus denses, et réduisent par conséquent la pression sur les terres non artificialisées.

Mais nous savons que ce type de mesures ne suffira pas à enrayer à lui seul l’éparpillement de l’habitat. C’est pourquoi le gouvernement flamand travaille également sur un autre volet : le déclassement de certains terrains à bâtir. Le premier critère sur lequel les flamands ont avancé sont les zones inondables. Ainsi, depuis janvier 2018, plus de 180 terrains présentant des risques importants d’inondation ont été désignés par le gouvernement flamand, ce qui correspond à une superficie approximative de 11.000 ha. Désormais, ces zones pourront accueillir des fonctions comme l’agriculture, la sylviculture ou encore la conservation de la nature. Il s’agit donc bel et bien d’un « déclassement » comme on l’appelle dans le jargon des aménagistes. Cela signifie en d’autres termes que le statut de ces terrains passe d’urbanisable à non urbanisable. Les propriétaires voient ainsi la valeur de leur bien s’envoler en même temps que la possibilité de pouvoir un jour y implanter un projet immobilier. Et qui dit « moins-value » dit aussi « droit à indemnisation ».

Si pour les zones inondables, une base légale est déjà mature et permet de clarifier leur situation en ouvrant un droit à l’indemnisation des propriétaires, il n’en est pas de même pour un autre type de zone sur laquelle les conseillers des cabinets et les experts s’arrachent les cheveux en Flandre : les zones équivalentes à nos ZACC. Ces fameuses Zones d’Aménagement Communal Concerté qui, dans notre CoDT wallon, ne sont ni classées dans les zones urbanisables, ni dans les zones non urbanisables. Sur le terrain wallon, la pratique est pourtant claire : elles sont soit utilisées comme compensation lorsqu’un projet urbanise une zone non urbanisable et deviennent alors clairement une zone non urbanisable au choix (zone agricole, forestière, naturelle…), soit elles sont urbanisées purement et simplement… sans compensation ! Dans la pratique, la ZACC est donc bien considérée comme une zone urbanisable. Pour revenir à la Flandre, il semblerait que ce soit également le cas. Et c’est précisément pour cette raison qu’on peine à aboutir à un texte de loi. Car des ZACC flamandes mal situées et qui devraient être déclassées, il y a en a un certain nombre. Le Gouvernement flamand a estimé dans le cadre de ses travaux que 80% des ZACC devraient être déclassées. Or, la conjonction des deux points expliqués plus haut, à savoir le fait de devoir indemniser les propriétaires en cas de moins-value de leurs terrains, et le fait que la coutume considère par défaut la ZACC comme un terrain urbanisable,  signifie que cela va coûter cher, très cher, au gouvernement flamand de déclasser ces zones.  En outre, le régime d’indemnisations prévu dans les textes en préparation est beaucoup plus avantageux pour les propriétaires que le régime actuellement en vigueur. Aujourd’hui, un propriétaire qui voit son terrain déclassé reçoit une indemnisation correspondant à 80% du prix d’acquisition, indexé. L’avant-projet de décret sur la table prévoit quant à lui une indemnité représentant 100% de la valeur réelle du terrain. Avec un gouvernement très libéral à la manœuvre, c’était probablement le prix à payer pour faire passer le Betonstop en Flandre. Les spécialistes flamands estiment qu’il en coûtera près de 1.300.000.000 € à la Région flamande, juste pour déclasser les ZACC d’ici 2040! En y ajoutant les indemnisations pour les terrains urbanisables en zone inondables plus le solde des terrains urbanisables qui ne seront toujours pas urbanisés en 2040 mais qui ne pourront plus l’être à partir de cette date. La facture va être salée !

Une alternative à l’indemnisation

La Région flamande planche donc depuis plusieurs mois sur un système alternatif de mise en œuvre du Betonstop. Il s’agit d’un système d’échanges de quotas de développement. Inspiré par un système similaire en place dans plusieurs régions anglo-saxonnes, notamment à New-York, les droits, ou quotas, de développement peuvent s’échanger directement entre particuliers, ou par l’intermédiaire d’une sorte de banque de quotas. Tout d’abord, la Région identifie dans chaque commune les zones qui pourront être urbanisées car bien situées, et celles qui devront être déclassées. Les propriétaires des zones déclassées, plutôt que de recevoir une indemnité financière, recevront un droit de développement qu’ils pourront revendre contre de l’argent. A contrario, les propriétaires des terrains situés dans les zones à urbaniser, pourront, s’ils achètent des droits de développement, densifier davantage leur projet en ayant par exemple, la possibilité d’ajouter plusieurs étages par rapport à ce qui est autorisé par les différents plans et programmes sur la zone concernée. Ce système doit cependant encore être affiné. Il reste en effet beaucoup de questions sans réponses quant aux modalités pratiques de sa mise en œuvre, par exemple  au sujet de l’attribution ou de la valeur des quotas. Questions qui devront trouver réponse dans des arrêtés d’exécution que prendra, vu le timing, le prochain gouvernement flamand.

Un système similaire en Wallonie ?

Pour l’heure, nous n’avons absolument aucune idée de l’option que prendra le prochain Gouvernement wallon concernant la mise en œuvre du Stop Béton. Est-ce la Région qui va identifier les zones à urbaniser et celles à déclasser au sein de chaque commune ? Ou va-t-elle, après avoir fixé des objectifs de réduction des zones urbanisables au Plan de Secteur, laisser l’autonomie aux communes d’identifier les zones à déclasser2? La Wallonie pourra-t-elle se permettre financièrement d’appliquer le système d’indemnisation des moins-values comme le prévoit le CoDT ? Mais, plus fondamentalement, le prochain Gouvernement wallon va-t-il attendre l’adoption d’un système, peu importe lequel, de mise en œuvre du Stop béton pour prendre des mesures plus structurelles (fiscalité immobilière, péréquation cadastrale, primes évolutives en fonction de la localisation des biens…)  pour enrayer, dès aujourd’hui, l’éparpillement urbain ?

  1. Les terres artificialisées ne comprennent pas uniquement les surfaces bâties. Elles comprennent aussi notamment les parcs publics, les terrains de sport, les cours et jardins des habitations…. Les terres artificialisées ne sont donc pas nécessairement imperméabilisées.
  2. Système appliqué notamment en Suisse où aucune indemnité n’est prévue en cas de moins-value.

Audrey Mathieu

Aménagement du territoire & Urbanisme