Biodiversité : enquête d’IEW auprès des communes wallonnes

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Nous sommes en 2020. Le secrétariat de la Convention Internationale sur la Diversité Biologique vient de recevoir les bilans nationaux de tous les pays partenaires et a dû conclure qu’en dix ans, aucun des  objectifs d’Aïchi pour la biodiversité n’a été réalisé. Résultat désastreux  : 0/20 ! Un accord mondial peut sembler loin de nos préoccupations locales et de nos moyens locaux, mais détrompons-nous. La gouvernance pour la nature s’ancre dans le territoire, se réalise sur le sol, dans l’eau et l’air qui nous entourent. Oui, nous avons une marge de manœuvre pour améliorer le score. Oui, des mesures peuvent être prises par les communes et soutenues par les CCATM, pour préserver et restaurer la biodiversité.

En 2010, la COP 10 pour la biodiversité se tenait au Japon, dans la ville de Nagoya, capitale de la préfecture d’Aïchi. Les objectifs d’Aïchi ont été ratifiés par les parties prenantes ; ils étaient ambitieux, volontaires et avaient une échéance : 2020. Tous les pays signataires s’engageaient  à décliner ces objectifs et les mettre en œuvre à l’échelle nationale.

Personne n’y est parvenu, et pourtant l’urgence est bien là. Il ne s’agit pas uniquement de sauver la forêt amazonienne – qui est un trésor – mais de sauver toutes les forêts, toutes les zones humides, toutes les tourbières, toutes les prairies permanentes, tous les habitats et les espèces encore en vie, et de leur permettre de se restaurer dans un bon état biologique. La clé se trouve dans l’aménagement du territoire, puisqu’il s’agit de fournir de l’espace à la nature en diminuant drastiquement l’espace que l’homme s’arroge.

A la rencontre des communes

Inter-Environnement Wallonie a lancé en septembre dernier une enquête auprès des échevin.e.s de l’Environnement et de leurs services afin de :

  • mieux appréhender les freins et les leviers des communes à des actions en faveur de la biodiversité.
  • mesurer leur adhésion à des recommandations que le mouvement environnemental pourrait soutenir.

127 communes différentes ont répondu, soit près d’une commune sur deux (48,4% des communes wallonnes). Le dépouillement de l’enquête a donné lieu à plusieurs réunions de mise en commun des résultats où se sont rencontrés échevin.e.s et membres de l’administration de différentes communes. La prochaine étape est une série d’interviews avec quelques élus.

Les lignes qui suivent vous livrent une partie des résultats de notre enquête.

De l’ambition et une bonne compréhension des enjeux

« Quelle action en faveur de la biodiversité dans votre commune seriez-vous fièr.e d’avoir accompli d’ici la fin de la législature ? » Cette question ouverte a montré une volonté d’ambition de la part des répondants.

Plus de 70% des participants à l’enquête souhaitent mener des actions de restauration (restauration des trames écologiques, de zones humides,…), ou de préservation de la biodiversité (création de réserves, limitation des pratiques de chasse,…) couplées à des actions de végétalisation en pleine terre, des plantations d’arbres et de haies.

Plus loin, nous leur demandions de nous dire si, pour eux, l’effondrement de la biodiversité affectera les différents postes proposés (voir tableau ci-dessous), sur une échelle comportant quatre niveaux : pas du tout, un petit peu, beaucoup ou tout à fait. La majorité des répondants nous disent, à plus de 80% : « oui, l’effondrement de la biodiversité affectera beaucoup à tout à fait la production agricole, la qualité de l’alimentation, la bonne santé des sols, etc. ».

L’estimation des principales espèces et habitats présents sur le territoire communal ou de l’état de la biodiversité communale montrait quelques faiblesses très explicables, et aisément améliorables.  En revanche, il est évident que les participants à l’enquête ont une bonne compréhension des impacts de l’effondrement de la biodiversité pour la vie des sociétés humaines.

Alors, s’il y a de l’ambition dans le chef des échevins et de leur administration, et une perception réelle de la gravité de l’enjeu, pourquoi les choses ne se font-elles pas ?

Plusieurs facteurs expliquent cette situation. L’enquête posait la question des freins et des leviers à l’action communale, tant par des questions ouvertes que fermées. Il en ressort deux constats, à mettre en exergue.

1. Manque de temps et d’argent

Sans surprise les communes citent, à près de 30%, le manque ou l’indisponibilité des finances pour réaliser des actions pour la biodiversité, suivi immédiatement du manque de personnel et de temps.

Cette façon de dire ne rend pas compte avec justesse de la réalité. Les rencontres avec les communes ont permis d’affiner l’information. Lorsqu’elles racontent les missions qu’on leur demande de remplir, c’est l’image de Shiva qui me vient en tête, cette statue dans la mythologie hindoue qui est représentée avec huit bras. Le personnel du service environnement, outre qu’il n’a pas pour mission officielle ni même officieuse de préserver et restaurer la nature, se sent souvent d’abord comme un chasseur de primes, à force de rédiger des dossiers de demande de financement. Ensuite, c’est généralement à ce service que sont dévolues la gestion et la réduction des déchets, la gestion différenciée des espaces verts (= sans pesticides), etc. Tout cela, avec un seul équivalent temps plein dans de très nombreuses communes.

2. Faible priorité politique au sein du Collège

L’échevin.e de l’Environnement fait partie d’un collège où chaque autre échevin.e a ses prérogatives et ses priorités. Au moment de la rédaction du Plan stratégique transversal (PST), la négociation peut avoir raison de dossiers qui paraissaient incontournables. Selon la répartition des compétences entre les échevin.e.s, la tâche sera plus ou moins ardue en fonction des autres portefeuilles associés à l’Environnement, comme, par exemple, l’Aménagement du territoire.

L’enquête demandait aux répondants d’estimer la priorité que représentent la préservation et la restauration de la biodiversité pour leur Collège communal. Tant du côté de l’administration que des élu.e.s, les réponses montrent que la priorité est faible à peu importante.

La préservation et la restauration de la biodiversité n’étant pas au centre du projet de la commune, l’échevin.e de l’Environnement se sent souvent comme la cinquième roue du Collège. Malheureusement, le manque de coopération entre les échevins impacte la nature.

La nature est non seulement sous-financée en termes de personnel dédié à des missions précises, en termes de subsides au fonctionnement, mais elle souffre aussi du manque de priorité et de coopération au sein du Collège.

Tout cela est déjà bien connu, aucun de ces constats n’est en soi un scoop, alors, si, pour une fois, nous les écoutions ?

Une bonne partie des actions ambitieuses pour la nature passe par un aménagement du territoire et une politique de mobilité qui limitent au strict nécessaire, non seulement l’emprise de l’homme sur le sol mais aussi sa tendance à fragmenter les habitats des espèces, et donc à les fragiliser au point que certaines sont éteintes.

Il ressort du dialogue avec les élu.e.s et les administrations que la gouvernance communale pour la nature est parfois reléguée aux bords de route, aux talus de champs, aux abords des propriétés privées, aux cimetières, et à l’aménagement paysager des espaces publics… C’est déjà un début. Chaque commune a besoin de déployer une stratégie pour la préservation et la restauration de la biodiversité en rendant du sol à la nature, et il faut bien commencer quelque part.

La nature a besoin de vous

Les avis de certaines CCATM prennent systématiquement en compte l’impact des projets sur la nature. Dans plusieurs communes, l’avis du PCDN (Plan communal de développement de la Nature) est sollicité à chaque examen de dossier en CCATM. Deux très bonnes pratiques qui sont loin d’être généralisées… Nous pouvons aller plus loin !

En soutenant la Déclaration de Politique Régionale

  1. En matière de Nature
    La Région souhaite augmenter de 1000 hectares les réserves naturelles et souhaite planter 4000 km de haies et/ou un million d’arbres.
    => Et si vous proposiez, par un avis d’initiative, que votre Collège désigne des terrains communaux candidats à la réserve ou à la plantation? Veillez à choisir des terrains qui gagneraient à bénéficier de cette protection et de ces plantations.
  2. En matière d’aménagement du territoire
    Le Gouvernement souhaite freiner l’étalement urbain.
    => Et si vous proposiez, par un avis d’initiative, de réfléchir avec votre échevin.e à un plan de sortie de l’artificialisation du territoire, en privilégiant la rénovation et la réutilisation ? En favorisant la non-urbanisation de friches riches en biodiversité ?
  3. En matière de mobilité
    En proposant à votre commune de tester, durant la prochaine semaine de la mobilité, l’implantation d’une zone à faible danger.

Soyons gourmands, ajoutons un N à CCATM !

Les commissions consultatives de l’aménagement du territoire sont devenues des CCATM après avoir longtemps été des CCAT tout court. Pourquoi ne pas devenir des CCNATM, des commissions consultatives pour la nature, l’aménagement du territoire et la mobilité ? Formaliser de cette façon la place de la nature dans les commissions consultatives communales permet de montrer la priorité politique donnée à la biodiversité. Non pas en annexant la Nature comme une lettre en fin de wagon, mais en lui donnant une place plus centrale : CC…N…ATM !

Invitez l’échevin.e de l’Environnement et ses services à une réunion de votre commission

Discutez de ses ambitions et priorités, de la façon dont elles entrent en résonance ou en conflit avec les positionnements de la CCATM, afin de réconcilier vos objectifs.

La nature a besoin de nous, comme nous avons besoin d’elle, vous êtes, en tant que membre de la CCATM, un maillon indispensable à la préservation et à la restauration de la biodiversité.

En fonction de l’évolution de la pandémie de COVID-19, la prochaine COP pour la biodiversité devrait se dérouler en octobre 2021 à Kunming en Chine. Soit avec plus d’une année de retard. Cela nous donne moins de 10 ans (échéance à 2030) pour stopper massivement l’érosion de la biodiversité. Si nous ne le faisons pas, il est temps de se rendre compte que ce sont les sociétés humaines que nous mettons en péril.

Véronique Hollander

Fédération, Education permanente