« Bonnes fêtes », qu’ils disent…

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Ma mère voici le temps venu, d’aller prier pour mon salut, les fêtes sont revenues. Bougnat tu peux garder ton vin, ce soir je boirai mon chagrin, les fêtes sont revenues…[[Librement inspiré du « Mathilde » de Jacques Brel (1964)]] J’ai beau savoir que je ne pourrai pas y échapper, avoir une année pour m’y préparer, rien n’y fait : je redoute toujours autant les fêtes de fin d’année. La dernière semaine du calendrier constitue mon chemin de croix et la Saint-Sylvestre est mon Golgotha.

De manière générale, je déteste ces événements récurrents et organisés où il est de règle de s’amuser; ma bonne humeur ne se commande pas et ma capacité à festoyer, danser, délirer, « me lâcher » ne peut être que spontanée. Les anniversaires, soirées et autres festivités avec bonne humeur et enthousiasme de rigueur relèvent dès lors pour moi de l’exercice imposé et non du plaisir partagé. Déclinant ce concept de joyeuseté obligée à la puissance 10 tout en y ajoutant une incitation à la débauche consommatoire, Noël et Nouvel An s’imposent de ce point de vue comme le summum du pire. C’est d’autant plus vrai que j’échoue à trouver dans ces rendez-vous motif(s) à réjouissance; ils auraient même plutôt tendance à me déprimer tant ils cristalisent quelques-unes des dérives contre lesquelles je m’insurge et lutte modestement à longueur d’année.

Prenons Noël. Pour peu que l’on ne croit pas/plus à la naissance du Divin enfant, il n’y a là aucune raison de sonner hautbois, faire résonner musettes et se goinfrer de dinde aux marrons. Vous m’objecterez « idem pour Pâques, l’Ascension, la Pentecôte, le 15 août et la Toussaint« , ce qui n’est pas faux… mais pas exact non plus. Car ces fêtes religieuses ne donnent pas lieu aux débordements enregistrés à Noël avec une frénésie d’achats aussi irrationnelle qu’irraisonnable et une tradition culinaire bien peu conforme aux fondements de l’alimentation durable, ce ne sont pas les millions de gallinacés passant à la casserole pour l’occasion qui me contrediront.

Figure incontournable du menu des 24 et 25 décembre, la « poule d’Inde » – ainsi baptisée par les colons espagnols qui la découvrirent au début du 17ème siècle sur une terre qu’ils croyaient être l’Inde alors qu’il s’agissait en réalité du Mexique – connaît en effet le plus souvent, avant d’arriver sur les tables familiales, le triste destin de la volaille industrielle. En France, par exemple, seuls 4% de la production y échappent grâce au statut ô combien privilégié de labellisé (bio, élevée en plein air ou « Label Rouge »). Et la distinction va bien au-delà de l’étiquette, jugez plutôt.

Pour l’élevage standard, ni limitation de l’espace d’exploitation, ni norme de densité: les volailles sont entassées dans des hangars kilométriques dont elles ne sortent que pour être conduites à l’abattoir. Cette situation de surpopulation et de confinement pose des problèmes d’accès à l’alimentation mais, surtout, génère une agressivité dont on limite les dommages par la coupe des becs, bien évidemment réalisée à vif. La promiscuité engendre également des problèmes d’hygiène pris en charge par l’administration d’antibiotiques… Il convient encore de savoir que dans cette forme d’élevage, l’abattage s’opère à 91 jours pour les femelles et 105 jours pour les mâles, sans limite de consommation à dater de cet instant.

A l’opposé, des règles relativement strictes garantissent le « bien-être » des dindes labellisées. La surface maximale de l’élevage est fixée à 1.600 m2, avec une densité ne pouvant excéder 2.500 bêtes par bâtiment et 10 au m2 jusqu’à l’âge de 7 semaines puis ensuite 6/m² avec accès à un parcours extérieur. Les volailles, femelles comme mâles, doivent avoir atteint au minimum 140 jours avant d’être abattues, l’opération étant à réaliser dans un établissement situé à moins de 2 heures ou 200 kilomètres de l’élevage. Enfin, la date limite de consommation est de 15 jours après l’abattage[Source: Institut technique de l’aviculture – [www.itavi.asso.fr ]].

Si nous ne pouvons échapper à la tradition, autant veiller à ce qu’elle respecte au maximum les animaux que nous sacrifions sur l’autel de nos agapes, non?

Mais revenons-en aux motivations des réjouissances de Noël. Celles et ceux qui célèbrent la naissance du P’tit Jésus, fils de Dieu, de Marie, de Joseph et du Saint-Esprit selon des modalités et un partage de responsabilités qu’il ne nous appartient pas de débattre ici, ceux-là savent pourquoi ils font la fête: « c’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur »[[Evangile selon Saint-Luc]], une nativité d’autant plus excitante que ledit Sauveur-Christ-Seigneur, eh bien, « c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés »[[Evangile selon Saint-Mathieu]]. Les fans et amis de JC ont donc de bonnes raisons de participer à l’évènement. Pour les autres par contre, c’est nettement moins évident…

Je n’y vois d’autre explication qu’un deal avec ce Père Noël qui, à l’instar de son cousin et associé Saint-Nicolas quelques semaines plus tôt, passe dans la nuit ramoner les cheminée et déposer dans le petit soulier des enfants sages tous les beaux cadeaux qu’ils voient en rêve et qu’ils lui ont commandé. Son contrat initial ne prévoit pas une extension du service aux adultes mais il semble qu’il aie pris quelques libertés avec la règle pour en faire in fine les principaux bénéficiaires de sa distribution et responsables de sa déchéance. Car le pauvre homme semble bel et bien avoir perdu le sens et l’honneur de sa fonction si on en, juge aux multiples témoignages recueillis au gré des reportages qui lui sont consacrés. « Ce qui marche vraiment bien, ce sont les téléviseurs à écran plat. » – « Les GSM restent une valeur sûre. » – « Les appareils photos numériques ont la côte. » – « La star, cette année, c’est l’I-Pad. » – « L’ordinateur portable et le GSM restent des valeurs sûres. » – etc.: le droit d’accès à la hotte se chiffre aujourd’hui en centaines d’euros.

Façonné par une enfance au cours de laquelle un livre ou un 45 tours s’apparentaient à autant de trésors valant à Saint-Nicolas une gratitude infinie et une adolescence où les Noël jouaient l’alternance entre mouchoirs et ballotin de pralines agrémentés d’une « pièce » prenant illico-presto le chemin du compte d’épargne, il m’est très difficle de comprendre ces choix de dépenses à la fois excessives et inutiles. Au fil d’un processus conjuguant réaction à la frugalité d’antan et influence du marketing ambiant, j’ai dépassé le stade mouchoirs-pralines mais il ne me viendrait jamais à l’idée de déposer sous le sapin un écran plat ou un ordinateur portable tant ces acquisitions relèvent de l’exceptionnel et ne peuvent se justifier que par la nécessité – une notion restant d’ailleurs à discuter et préciser popur ce qui concerne les objets évoqués ici. Il me semble en outre évident que les sentiments motivant mes offrandes méritent de s’exprimer autrement qu’à travers des gadgets high-tech impersonnels…

Quoi qu’il en soit, ce succès des cadeaux de haute technologie, lourd de conséquences sociales, éthiques et environnementales marque le triomphe d’un modèle économique suicidaire et ne m’incite pas du tout du tout du tout à faire la fête.

Et que dire du Nouvel An? Là, ce n’est plus la dinde qui paie nos envies d’autres choses mais le canard et l’oie. C’est qu’une Saint-Sylvestre sans foie gras, c’est un peu comme un baptême étudiant sans brimade: inconcevable.

Histoire de se mettre en appétit, rappelons le principe de production de ce fleuron de la gastronomie française.

Les oies et canards destinés à la production de foie gras sont d’abord nourris d’herbe afin de durcir leur ½sophage. On leur applique ensuite un régime à base d’amidon qui permet d’amèner le foie à la moitié de sa taille finale. Ce stade atteint, la « finition d’engraissement » commence. Plusieurs fois par jour, on enfonce la nourriture, essentiellement du maïs, dans la gorge de l’animal à l’aide d’un tube. Le gosier très élastique de ces espèces leur permet de stocker de grandes quantités dans l’½sophage en attendant qu’elles soient digérées dans l’estomac. La période de gave se déroule sur douze jours au terme desquels le foie atteind jusqu’à dix fois sa taille normale. Les animaux sont alors bons pour l’abattoir[[Source: Wikipédia]].

Les volatiles soumis au gavage souffrent de divers maux dus à la compression des organes jouxtant le foie ainsi que de problèmes de régulation thermique, de halètement, de fatigue et de dysenterie. D’autres pathologies comme des maladies dues à l’engorgement du foie ou à la déminéralisation des os peuvent également se développer sans compter les blessures dues au passage de l’embuc.

Alors que la Directive européenne du 20 juillet 1998 relative à la protection des animaux dans les élevages dispose qu’« aucun animal n’est alimenté ou abreuvé de telle sorte qu’il en résulte des souffrances ou des dommages inutiles », un rapport du Comité scientifique de la Commission Européenne de la santé et du bien-être des animaux en date du 16 décembre 1998 constate que le taux de mortalité en cours de gavage serait multiplié par dix ou vingt, que le « niveau de stéatose (obtenu) pourrait être considéré pathologique », que la « quantité importante d’aliments intubés rapidement au cours du procédé de gavage provoquerait une distension de l’½sophage, une augmentation de la production thermique et du halètement, et l’excrétion de matières fécales semi-liquides » et conclut que « le gavage, comme il est pratiqué aujourd’hui, est préjudiciable au bien-être des oiseaux ». Au regard de ces éléments, plusieurs pays[[L’Allemagne, certaines provinces d’Autriche, le Danemark, la Finlande, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, le Royaume-Uni ainsi que la Suisse. Hors Europe, c’est également le cas de l’Argentine, la Californie et Israël.]] ont interdit le gavage sur leur territoire… mais continuent à importer des produits issus d’animaux gavés ailleurs!

On peut certes jouer les iconoclastes et célébrer l’An neuf sans foie gras mais encore faut-il déterminer ce que l’on fête et, cette année plus encore que d’autres, l’exercice m’apparaît malaisé voire impossible.

Entre crises financière, économique, sociale et environnementale, tout le monde s’accorde en effet à cataloguer 2011 annus horribilis. Et à en croire ce même « tout le monde », 2012 ne s’annonce pas meilleure et risque même d’être pire. Vous identifiez quelque chose à fêter là-dedans, vous?

En ce qui me concerne, la situation m’apparaît d’autant plus difficile que je ne peux même pas me raccrocher aux v½ux partagés par beaucoup. Je ne souhaite en effet ni que les marchés soient rassurés, ni que la croissance soit dopée…

Mais n’en déplaise aux Candides positivistes prompts à dégaîner leurs accusations de « cynisme », ce rejet du trip « Bonnes fêtes », « Merry Christmas » et « Happy New Year » avec options beaux cadeaux, grande bouffe, douze coups de minuit, meilleurs v½ux et folle ambiance ne traduit aucun pessimisme, ni négativisme. Il incite et invite tout au contraire à garder les yeux ouverts sur le monde, refuser la résignation et le repli sur soi, faire en sorte que ce qui constitue encore et toujours un statut de privilégié ne nous endorme pas mais nous aide au contraire à comprendre et combattre l’injustice qui nous entoure, préférer l’inconfort de la révolte au bonheur égoïste et le mieux-être pour tous au bien-être pour soi. En n’oubliant pas de faire la fête quand l’envie en vient !

Allez, à l’année prochaine. Et d’ici là, n’oubliez pas “Celui qui voit un problème et ne fait rien fait partie du problème.” (Gandhi)