Chacun à sa place et les vaches seront bien gardées…

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En démocratie, ce sont les élus qui fixent, en toute légitimité, des objectifs avec, en ligne de mire, l’intérêt général à court, moyen et long terme. Ils définissent ensuite le cadre légal qui permettra d’atteindre ces objectifs et donnent ainsi les règles du jeu que les différents acteurs devront respecter. Cet ordre des choses est sensé garantir l’arbitrage des intérêts et, in fine, le bien de la collectivité dans le cadre d’un projet politique plébiscité par les citoyens eux-mêmes. La définition d’un cadre clair, le plus en amont possible, est gage de transparence et d’équité dans la mesure où ces textes de référence balisent les décisions politiques au jour le jour. Un cadre clair… v½u d’environnementaliste ou v½u partagé ?

Ce modèle de gouvernance tend à s’effilocher quelque peu… Certains outils qui avaient été élaborés en concertation avec les forces vives et dessinaient un cadre de référence clair perdent des plumes. Ainsi en est-il du plan de secteur, par exemple, dont de larges zones sont aujourd’hui sans affectation précise. Bien sûr, cet outil – vieux de 20 à 30 ans selon les endroits – ne répond plus tout à fait à nos besoins présents ; mais les réformes récentes ont « désaffecté » certaines zones, sans pour autant édicter des règles claires et précises pour une nouvelle affectation, qui auraient donné une certaine prévisibilité aux différents acteurs (investisseurs privés ou publics, habitants, commune,…). Dans ces conditions, ce sont très souvent les acteurs privés qui, dans les faits, affectent le territoire en proposant des projets dans une optique de rentabilité à plus ou moins brève échéance. Certes, le public a son mot à dire : c’est le fonctionnaire délégué qui délivre les permis et décide, au cas par cas, s’il convient, ou non, d’autoriser l’affectation proposée … Sa marge de man½uvre est néanmoins réduite car il intervient en aval de la procédure. Il n’est en effet pas toujours aisé – ni souhaitable d’ailleurs – de refuser un permis alors qu’un promoteur a déjà investi dans l’achat d’un terrain, les honoraires d’architecte et, le cas échéant, la réalisation d’une étude d’incidences sur l’environnement… A l’heure où l’on souhaite particulièrement stimuler l’esprit d’entreprise en Wallonie, cette situation est d’ailleurs pour le moins paradoxale.

Prenons par exemple le cas des zones d’équipements communautaires et de service au public (dites zones bleues) et les zones militaires et SNCB (dites zones blanches). Ces zones peuvent actuellement recevoir tout type d’affectation : logement, activités économiques, village de vacance,… Si l’on comprend bien la volonté de faciliter la (ré)utilisation de ces zones urbanisables plutôt que l’urbanisation de la zone ouverte, force est de constater que, bien souvent, c’est le promoteur privé qui propose un projet. Or l’affectation de ces zones bleues et blanches est absolument stratégique. Les terrains de la SNCB, par exemple, présentent pour certains un grand potentiel du point de vue de l’accessibilité. Il serait dès lors dommage d’y autoriser un lotissement peu dense alors que l’on pourrait le valoriser en y implantant de l’habitat plus concentré, des bureaux, une école… ou encore, dans certains cas, le garder disponible dans l’optique de la « renaissance » du transport ferroviaire qui se dessine, sous l’impulsion notamment des crises climatique et énergétique. Mais on ne peut, et c’est logique, attendre d’un promoteur privé qu’il définisse son projet dans l’objectif de réduire la dépendance à l’automobile.

Un autre exemple marquant est celui des ZACC (zones d’aménagement communal concerté)[[Réserve foncière (anciennement zones d’extension d’habitat puis zones d’aménagement différé)]]. Pour urbaniser ces zones de réserve foncière, il faut élaborer un rapport urbanistique et environnemental, dit RUE. Le CWATUP ne précise actuellement pas qui est à l’initiative de ces rapports, ni par qui leur réalisation est financée, ni encore qui les réalise : il n’est pas nécessaire en effet de faire appel à un bureau agrée par la Région wallonne, contrairement à ce qui est requis pour les études d’incidences sur l’environnement. Or, là aussi, il s’avère que, dans la grande majorité des cas, ce sont des acteurs privés qui, en fonction de leurs opportunités foncières et de l’analyse du marché, choisissent la ZACC qui sera mise en ½uvre et proposent une affectation. Dans ces conditions, quelle est la garantie que la ZACC sélectionnée par le promoteur soit bien celle dont la mise en ½uvre est la plus opportune ? Si l’urbanisation à court terme de certaines ZACC situées en continuité du tissu urbain se justifie, d’autres, plus excentrées, devraient en effet être préservées. Quelle est la garantie encore, que l’affectation réponde à un besoin prioritaire dans la commune ? Le RUE, même s’il impose une analyse des besoins socio-économiques et de l’opportunité d’urbaniser la ZACC constitue une bien maigre balise, dans la mesure où il ne véhicule pas une vision d’ensemble du territoire communal.

L’affectation du territoire est pourtant un enjeu majeur vu les impacts sociaux, environnementaux -notamment en termes de paysage, de biodiversité, de mobilité/accessibilité,- et économiques qu’il sous-tend. Il s’agit bien là d’une prérogative publique par excellence.
L’acteur privé cherche d’abord – et c’est légitime – à rentabiliser son investissement. En caricaturant un peu, lorsque l’investisseur privé réalise un lotissement, il n’intègre des critères tels que l’accessibilité par les modes alternatifs à la voiture, l’utilisation parcimonieuse du sol, la valorisation du paysage, la préservation de la biodiversité… que si cela se traduit par une plus-value financière. Dans certains cas, les intérêts collectifs et ceux de l’investisseur convergent. Ainsi, en Brabant wallon où la pression foncière est forte, les promoteurs proposent des quartiers d’habitat plus denses, économisant de ce fait le territoire et, dans le cas d’habitats groupés, réduisant la consommation d’énergie future des ménages.

Les exemples de « convergence » ne constituant pas la règle, il est indispensable que les pouvoirs publics, en tant que garants de l’intérêt collectif, reprennent les rennes, retrouvent leur rôle de « maîtres de l’affectation du territoire ». Ils doivent pour ce faire se doter d’outils idoines et définir l’affectation et les caractéristiques des différentes zones en considérant, notamment, la demande de mobilité que générera chaque fonction. Le public définit ainsi un cadre, même souple, dans lequel intervient le privé, en toute sécurité. Voilà un v½u pour 2009 dont tous les acteurs pourront tirer un bénéfice : les citoyens, bien sûr mais aussi les investisseurs car nombreux sont ceux qui préfèrent un cadre contraignant mais clair et stable à une situation floue où tout est possible… dans un sens comme dans l’autre.

Canopea