Charleroi, je t’aime plus que…

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Pays de Charleroi

C’est toi que je préfèère

Le plus beau sur la teeerre…

Pays de Charleroi ! Es-tu vraiment le plus beau sur la terre ?

Certes, le voyageur international, celui qui parcourant le monde a vu le Taj Mahal, le Mont Kenya émergeant des savanes ou encore le Kremlin se mirant dans la Moskova,… certes ce voyageur, roulant sur le R3 entre l’E42 et Mont-sur-Marchienne, serait un peu surpris de voir ainsi décrit ce qu’il a sous les yeux. Terrils noirs et silencieux comme des volcans éteints, quelques tours à molette, survivantes d’un passé révolu, et les grands bâtiments de Thy-Marcinelle-Monceau émergeant du paysage : c’est bien le pays noir, pays des mines aujourd’hui délaissées, enfant vieilli de l’industrialisation. Mais ce qui frappe ce voyageur ce n’est pas vraiment cela : cette image on l’attend, on s’y attend peut-être un peu trop d’ailleurs. Non. Ce qui le touche, ce voyageur, le surprend et le consterne d’abord dans cette vaste agglomération aux contours diffus, c’est l’ampleur de la « désarticulation » de ce territoire, résultant d’interventions successives, accidentelles et parfois violentes, strates dues au hasard des choses et qui ont laissé cela : cette rue de maisons accolées qui semblent s’épauler pour survivre, perdues au bord d’un terrain vague d’où surgissent quelques ateliers, au-delà desquels un ensemble commercial clignote de tous ses néons, le tout à l’ombre d’un bâtiment d’usine. Et parmi tout cela, éparpillés eux aussi, quelques lotissements de villas, les tours d’une cité, de ci de là des champs et des prairies, des jardins aperçus entre deux maisons…

Tant d’incohérence donne l’envie de restaurer, de recoudre, ravauder, réparer ce territoire fait de bric et de broc, où l’on vit plus ou moins bien – certaines rues ne sont certes pas sans charme et bon nombre d’habitants sont sans doute attachés à leur quartier –, où trop de coins sentent l’abandon, l’à-quoi-bon, voire la désespérance.

Recoudre, ravauder, réparer : voilà qui est passé de mode. Votre Punaise, Messieurs-Dames, doit dater d’une autre époque. Aujourd’hui on ne reprise plus, ni les chaussettes ni les villes : on jette, et on rachète du neuf.
Foin donc de cette ville mitée par ses terrils, de ce tissu bâti aux trop nombreux accrocs, de ces mailles lâchées à partir desquelles fileront d’autres mailles, foin de cette image de pays noir qui vous colle à la peau comme la poussière de schlamm ! Si le Gouvernement wallon a décidé d’en mettre un grand coup pour Charleroi, ce n’est pas dans l’agglomération qu’il entend investir. C’est tellement mieux un peu plus au nord, en terrain vierge et neuf, vers ce Brabant wallon qui charrie le développement économique comme le Pactole jadis roulait des paillettes d’or dans ses flots ! Il y a là déjà des choses prestigieuses : un aéroport, grands oiseaux blancs au bord des pistes, hall d’aérogare carrelé de lisse, et puis des entreprises nouvelles, bâtiments high-tech se mirant dans les eaux d’un étang, toutes choses belles et propres, et capables d’attirer l’investisseur. Continuons donc, s’est dit le Gouvernement wallon, qui révise aujourd’hui le plan de secteur pour organiser la suite. La suite, c’est un gros paquet d’hectares d’activités économiques supplémentaires, ce sont de vastes parkings de dissuasion, c’est une nouvelle gare, connectée à une nouvelle dorsale wallonne, car l’ancienne passe par des c½urs urbains peut-être plus très présentables. Alors on rêve d’autre chose, une ligne qui irait de Rhisnes à Gosselies et puis plus loin peut-être, en terrain neuf, vierge, tout ça très propre, peuplé de tertiaire où on ne se salit pas les mains, de hautes technologies qui sont l’avenir de demain, occupant des gens très qualifiés qu’on voit à la télé manipuler des pipettes et des tubes en verre et des appareils compliqués. Le futur quoi !

Bonne année Charleroi ! le Gouvernement wallon a donc un beau cadeau à faire mais il ne sera pas pour toi. Les entreprises high tech’ risquent de ne pas trop t’aimer. Tu t’es usée dans les premiers temps de l’industrialisation, tu as beaucoup vieilli ; tu n’as plus toujours un moral de gagnante. Tu t’es laissée aller tu sais ! Pas pour rien que les décideurs aujourd’hui te préfèrent une cité neuve, qu’on rebâtit là-bas à tes confins, vers lesquels ils rêvent de faire basculer, à coups de nouvelle gare et de grands parkings, ton centre de gravité : Charleroi Brussel South, car là on est tout près de Bruxelles l’internationale, quand on a fait mille bornes en avion on n’est pas à cinquante-cinq kilomètres près (parfois si, notez bien, et certains étrangers ont eu une drôle de surprise en demandant à Gosselies où se trouvait la célèbre Grand’Place, mais ne nous égarons pas), et en anglais SVP car ça en jette un max.

Je ne suis qu’une Punaise mais moi c’est toi que j’aime, Charleroi, plus que n’importe quel Brussel-South-je-ne-sais-quoi. Tu n’es peut-être pas la championne du high-tech’ ni de l’architecture dernier cri, mais la vie, la vraie, c’est en toi qu’elle est bien plus qu’en n’importe quel zoning, aérogare ou gare du futur, et je ne peux parcourir le R3 sans que monte l’envie de me saisir d’un appareil photo, et de parcourir, et capter l’image de tes rues, de tes terrains vagues, de tes usines, de tes jardins. Car tes strates superposées évoquent puissamment la vie, parfois vaincue mais jamais tout à fait, et qui toujours reconstruit par-dessus les décombres de la défaite passée. Tes chancres nous rappellent qu’on n’est pas gagnant tous les jours et tant mieux car pour gagner à tous les coups il faut être capable de poser le pied sur la tête d’autrui, dans sa figure, d’écraser au besoin.Et tes enfants Charleroi, fils d’ouvriers sortis de la dèche en se serrant les coudes, enfants de quartiers où on se fréquente, où on se dispute peut-être mais où on ne s’indiffère pas, tes enfants ne sont pas tellement doués pour ça, gagner à tous les coups.

Alors pour 2009, je te souhaite, Charleroi, des dirigeants wallons qui te considèrent assez pour réinvestir ton c½ur. Je te souhaite qu’ils aient assez de patience pour repriser, pour recoudre tes accrocs et redonner fierté à tous ceux qui t’habitent. Je te souhaite qu’ils aient assez de modestie pour faire cela peu à peu, attentifs à ne pas bouleverser les liens sociaux de tes quartiers, respectueux de ton histoire et du passé qui t’a marquée plutôt que soucieux de l’effacer au plus vite, comme s’ils étaient gênés de ce que tu es devenue. Des gens qui préfèreront, à l’imagerie mentale, la réalité toujours imparfaite mais combien plus riche de sens, et qui grâce à cela t’aimeront.

Bonne année, Charleroi !

Canopea