Crise des prix de l’énergie : il est urgent d’investir dans les modes de déplacements alternatifs à la voiture!

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Il est essentiel d’aider les ménages à surmonter la crise des prix de l’énergie. Mais cet effort budgétaire ne doit pas pousser les pouvoirs publics à diminuer leurs ambitions en matière de mobilité durable. Les différents niveaux de pouvoir doivent continuer à investir (et même augmenter leurs interventions) dans le développement des modes actifs et des transports en commun en raison même de la crise des prix de l’énergie. Les modes de déplacements alternatifs à la voiture font partie des solutions pour une partie non-négligeable de la population qui réduit de facto l’utilisation d’une voiture personnelle.

Le développement des réseaux de transports publics, des cheminements piétons et cyclables sécurisés constituent des mesures sociales : elles donnent à toute personne la possibilité de réduire ses coûts de mobilité et d’ainsi augmenter son pouvoir d’achat sur les autres postes essentiels que sont le logement, le chauffage ou l’alimentation.

Investir dans l’efficacité des transports en commun et le développement des modes actifs est un gage d’avenir pour notre société secouée par une crise environnementale sans précédent et par de fréquentes crises « pétrolières » qui impactent la mobilité des ménages à revenus faibles et moyens.

Des carburants trop chers : vraiment ?

L’augmentation des prix semble être conjoncturelle. L’arrêt de la guerre en Ukraine provoquera sans doute une réduction des prix des combustibles fossiles et un retour à la « normale ». Cette normalité, souhaitable d’un point de vue social, interroge toutefois d’un point de vue environnemental. En effet, si on devait prendre en compte toutes les externalités négatives liées aux énergies fossiles (c’est-à-dire les coûts liés aux changements climatiques et aux problèmes de santé qu’elles provoquent), leurs prix devraient être beaucoup plus élevés qu’ils ne le sont en période « normale ». Il est important de rappeler que notre société vit à crédit en utilisant massivement des énergies fossiles à un prix sous-évalué. La facture se chiffrera pour l’humanité en centaines de milliards dans les décennies à venir. Le récent rapport du GIEC nous rappelle une fois de plus à quel point l’urgence climatique devrait sous-tendre toutes nos décisions, même en temps de crise.

Réduction des accises sur les carburants : bof bof

Les pouvoirs publics ne pouvaient pas rester insensibles face à la réduction soudaine du pouvoir d’achat de la population. Il y avait une urgence qu’il fallait considérer immédiatement, particulièrement en aidant les ménages à bas revenus. Le choix du gouvernement fédéral s’est porté sur une réduction des accises de 17,5 cents. Un plein de 60 litres coûtera donc 10 euros de moins (environ 1000 kilomètres avec une petite voiture). Lorsque le prix du carburant repassera sous la barre des 1,7 € par litre, un système de cliquet entrera en vigueur et les accises retrouveront leur taux habituel. La réduction des droits d’accises est une mesure très coûteuse (96 millions d’euros par mois pour la collectivité) dont l’impact est finalement assez faible. Elle allège le prix du carburant de 17,5 cents, alors qu’aujourd’hui les prix peuvent augmenter ou diminuer de 20 cents en un jour.

Avec cette réduction des droits d’accises, le gouvernement fédéral passe à côté de l’essentiel. La mesure a un impact critiquable d’un point de vue social puisque le budget est réparti sur l’ensemble de la population sans cibler spécifiquement les bas et moyens revenus et continue à alimenter notre dépendance aux combustibles fossiles. Une telle réduction aide certes tous les propriétaires de voiture mais elle aide proportionnellement plus encore les propriétaires de voitures puissantes et gourmandes en carburants, qui ont pourtant souvent plus de moyens financiers que d’autres pour faire face à une augmentation du coût de l’énergie.

Une réponse plus pertinente à l’augmentation de la pauvreté liée au transport aurait été de donner des chèques mobilité aux revenus faibles et moyens (y compris les familles sans voiture !) pour une somme équivalente à la réduction des accises.

Une autre mesure passe plus inaperçue mais mérite d’être soulignée : le Gouvernement a octroyé une aide de 13 millions à la SNCB. L’objectif est d’aider l’entreprise publique à surmonter la hausse des prix de l’électricité. Le risque était de voir le prix des billets de train augmenter de 4,5% ce qui aurait été un très mauvais signal en cette période où le train offre une solution de repli à moindre coût.

On continue comme si de rien n’était ?

La crise du coût de l’énergie est l’occasion de s’interroger individuellement et collectivement sur nos habitudes de déplacements. On le voit autour de nous : réfléchir à la réduction de ses déplacements est devenu une réaction courante encore inaudible pour beaucoup il y a peu. Le coût d’utilisation de la voiture devient soudainement un frein psychologique à son usage alors qu’objectivement, elle aurait déjà pu l’être précédemment. On estime le coût mensuel de la possession d’une voiture à minimum 400 euros quand on compte l’achat du véhicule, les taxes, l’assurance, les entretiens, les réparations/remplacements, les huiles et carburants mais on peut facilement atteindre une somme de 800 euros par mois suivant les modèles ou l’utilisation qui en est faite.

Une augmentation de 1 euro du prix du litre de carburant revient à augmenter le coût mensuel d’une voiture d’environ 80 euros pour un usage moyen (14.770 km annuels en Wallonie1) et un véhicule moyen (7 litres pour 100 km). Un cap impossible à franchir pour les ménages déjà sur la corde raide mais pas surmontable pour les autres (au contraire des augmentations des coûts du chauffage et de l’électricité qui seront plus importantes). L’usage d’un véhicule privé représente depuis toujours une somme mensuelle très importante qui a tendance à être occultée, oubliée par leur propriétaire. Le carburant n’est finalement que la partie la plus visible du prix d’une voiture et impacte surtout les gros rouleurs.

Chaque ménage confronté à cette crise du prix de l’énergie va donc être amené à prendre des décisions : conserver l’usage habituel de sa/ses voitures en bénéficiant de la réduction des accises ou, au contraire, en réduire l’utilisation. N’oublions pas qu’une partie de la population a déjà fait le choix de se passer d’une voiture car elle en a la possibilité et la volonté (gain financier, écologie) : pratique du vélo au quotidien, transports en commun disponibles en suffisance, voitures partagées… les villes étant clairement avantagées à ce niveau.

Comment réduire l’utilisation de sa voiture personnelle ?

  • Se déplacer moins souvent : choix de vie différents, rationaliser ses déplacements.
  • Pratiquer le covoiturage afin de partager les coûts de déplacement.
  • Se déplacer autrement (ce qu’on appelle le report modal) : marche, vélo, micromobilité pour les courtes distances, transports en commun pour toutes les distances.
  • Utiliser des voitures partagées quand il n’est pas possible de faire autrement.

Il est probable qu’une partie de la population décide de se reporter vers les transports en commun qui, en plus d’être plus écologiques, sont moins chers lorsque l’on reste à l’intérieur des frontières belges. Le constat est le même pour la combinaison vélo-train qui a un potentiel de développement important puisque 61% des Wallons habitent à moins de 3,5 km d’une gare2.

Ces nouveaux usagers se heurteront à un service qui n’est pas toujours à la hauteur en termes de fréquence, d’amplitude horaire, de ponctualité, de correspondance… Il est de la responsabilité des pouvoirs publics d’apporter une solution de mobilité collective pouvant répondre à cette nouvelle demande.

Investir massivement dans la mobilité durable

Afin de trouver une solution durable pour tous et de mieux résister à une future crise des prix de l’énergie, il est urgent de réduire notre consommation d’énergies fossiles d’une manière socialement responsable. Cela n’est possible que par des changements structurels dans notre politique de mobilité. Pour de nombreuses personnes, posséder une voiture aujourd’hui n’est pas un choix mais une nécessité. Nos transports publics sont insuffisants en termes d’offre, de qualité, d’accessibilité et de fiabilité. Dans le même temps, nous dépensons beaucoup d’argent public pour soutenir le système des voitures de société (et leurs cartes essences) ce qui est totalement contreproductif.

C’est aux gouvernements fédéral et régionaux d’investir massivement dans des alternatives à l’utilisation de la voiture individuelle. Faire passer nos transports publics au niveau supérieur, faire du budget mobilité un véritable levier de changement et accélérer le passage à des transports (publics) alimentés par des énergies renouvelables. Grâce à un soutien financier ciblé, il est capital de faire en sorte que chacun puisse effectuer sa transition individuelle vers une mobilité plus durable (transports en commun, vélo, marche, voitures électriques) et ne soit plus à la merci de la fluctuation des prix du carburant.

L’Etat fédéral et la Wallonie ont pris une série d’engagements allant dans ce sens (accords de gouvernements, stratégie régionale de mobilité, plans de relance européen et wallon…) mais les évolutions sont encore trop lentes.

Mesures déjà en place qui doivent être conservées et renforcées (liste non exhaustive) :

  • Développement de lignes de bus express en complément des lignes de chemin de fer (qui constituent le réseau structurant de transports en commun).
  • Redéploiement par région des services de bus TEC dans un objectif d’amélioration des dessertes locales et de rabattement des usagers vers le réseau structurant.
  • Meilleure combinaison vélo-train : parkings vélo dans les gares, vélos partagés à la sortie des gares, augmentation du nombre de places dévolues au vélo dans les trains, etc.
  • Amélioration des cheminements vélo et piétons vers les gares, les arrêts de bus express, les principaux pôles d’activités et les centres de villages.
  • Mise en œuvre du plan Wallonie Cyclable 2030.
  • Prise en compte prioritaire de la marche dans tous les projets d’aménagement des espaces publics.

Mesures qui doivent encore être mises en place (liste non exhaustive) :

  • Deux trains par heure et par sens sur toutes les lignes ferroviaires.
  • RER Wallon vers Bruxelles.
  • Augmenter l’amplitude horaire des trains (idéalement des trains de 5h00 jusqu’à 1h00).
  • Amélioration des correspondances entre les trains et les autres services de mobilité.
  • Création de mobipôles sur tout le territoire wallon (minimum 1 mobipôle par Commune) : un mobipôle est un endroit où convergent différentes offres et infrastructures de mobilité afin de créer une interconnexion forte entre tous les différents modes de déplacement.
  • Développement des services de bus à la demande en zones rurales peu desservies par des lignes régulières.
  • Meilleure intégration tarifaire entre les différentes sociétés de transports.
  • Développement de corridors cyclistes.

Toutes ses mesures sont plus que jamais nécessaires pour réduire notre dépendance aux importations d’énergies fossiles et pour atteindre nos objectifs climatiques ! Les choix budgétaires liés à la crise des prix de l’énergie ne doivent pas mettre en danger leur mise en œuvre. Au contraire, la multiplication des crises devraient nous pousser à accélérer la transition vers une mobilité durable !

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  1. Kilomètres parcourus par les véhicules belges en 2017, SPF Mobilité et Transports
  2. IWEPS. Mesures de l’accessibilité géographique du territoire wallon selon différents moyens de transport : première application aux gares ferroviaires, 2020.

Denis Jacob

Mobilité