Dérogations : la dérive ?

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Deux dossiers récents sont venus mettre en lumière les dérives auxquelles on peut assister en matière de dérogation au plan de secteur.

Le premier concerne la construction de sept habitations en zone forestière, dans un petit bois situé à proximité de Namur . Ce bois fait partie d’une de ces ‘coulées vertes’ que la Ville entendait protéger à proximité de son centre ; c’est la présence d’un domaine militaire à cet endroit qui a longtemps préservé ces lieux de toute urbanisation. Le petit bois visé abritait, pendant la guerre, des poudrières que les Allemands ont fait partiellement sauter avant de quitter Namur ; il y reste des constructions souterraines. Aujourd’hui un promoteur (Thomas et Piron) projette de construire, à la place de ces constructions (si l’on peut dire car il semble que certains emplacements n’aient même jamais été construits), un petit quartier de villas contemporaines. Pour ce faire le promoteur introduit un dossier de transformation d’immeubles ( !) et sollicite la dérogation sur pied de l’article 111 du CWATUP qui autorise la transformation, l’agrandissement et la reconstruction de bâtiments existant avant l’entrée en vigueur du plan de secteur.

Cette possibilité de dérogation prévue par notre CWATUP correspond à une nécessité : certaines habitations isolées ayant été mises en zone agricole par exemple lors de l’élaboration des plans de secteur, il fallait bien prévoir une dérogation pour conserver les droits élémentaires du propriétaire en cas d’incendie, ou lui permettre de rénover son bâtiment.

D’un tout autre esprit est évidemment le dossier en question ici. Au-delà de toutes les considérations juridiques qu’il appelle, il propose une conception aberrante de l’article 111, qui nous mènerait à ce qu’on puisse transformer le moindre bunker de nos campagnes en villa confortable. Même si l’architecture proposée n’est pas sans intérêt, IEW n’accepte évidemment pas la perspective d’une implantation qui créerait un tel précédent !

Autre cas, le circuit de Mettet (demande de l’asbl Royal Union Motor de l’Entre-Sambre et Meuse) n’est pas mal non plus. La demande vise à installer en zone agricole un circuit de sports moteurs sur quatorze hectares ( !), via la dérogation prévue pour les ‘permis publics’ à l’article 127 §3 du CWATUP. Eh oui ! Ces dérogations, jadis réservées aux actes et travaux et/ou aux demandeurs faisant partie d’une liste arrêtée par le Gouvernement, étendent désormais leur bénéfice notamment aux construction et équipement de services publisc ou communautaires, et c’est bien ce que le circuit prétend être, arguant du fait qu’il sera accessible au public via les services d’une asbl.

Ce dossier pose au moins deux questions. D’une part la surface est totalement incompatible avec ce que nous disent la doctrine et la jurisprudence de la notion de dérogation, à savoir que celle-ci suppose le respect de l’économie de la règle – c’est à dire du plan de secteur ; et quatorze hectares, c’est un peu beaucoup pour soutenir que l’économie du plan est respectée ! D’autre part, il faut rappeler que le terme de construction et équipement de services publics et communautaires est réservé, selon la jurisprudence, aux infrastructures à caractère non commercial et qui répondent à un besoin de la collectivité. Est-ce bien un besoin collectif que d’aller faire de la moto sur un circuit ? Et dans la foulée, va-t-on voir les salles de sports et infrastructures de toutes les asbl fleurir désormais dans nos champs ou nos forêts ?

Peut-être échapperons-nous à cela. En effet, un élément régulateur pourrait faire sa (ré)apparition bientôt dans le CWATUP : un projet de décret, élaboré en réponse à un recours introduit par IEW auprès de la Cour d’Arbitrage, prévoit de conférer un caractère exceptionnel aux dérogations prévues en matière de ‘permis publics’. Re-conférer plutôt, car ces dérogations n’avaient perdu leur caractère exceptionnel que récemment, via le décret du 27 octobre 2005. Limiter les dérogations aux ‘cas exceptionnels’ serait déjà un (petit) verrou face aux appétits qui menacent l’espace ouvert en Wallonie…

Canopea