Du bitume pour les Pandas

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A l’heure où des milliers de jeunes se mobilisent chaque semaine pour dénoncer l’absence de politique climatique ambitieuse, certains estiment que construire des routes demeure opportun… C’est le cas des défenseurs d’un tronçon routier destiné à faciliter l’accès en voiture au parc animalier Pairi Daiza, tronçon d’emblée baptisé « la route Pairi Daiza ». Arguments qui plaident plutôt pour le climat…

Dans le cadre de l’enquête publique qui s’est clôturée la seconde quinzaine de février 2019, la Fédération n’a pas manqué de dénoncer l’inopportunité du projet de tronçon routier au regard de son impact environnemental. Voici les principaux arguments avancés.

1. Faits et chiffres

La principale justification de la création de cette route vise à permettre l’accès au parc Pairi Daiza.

Le parc animalier Pairi Daiza (ci-après le Parc) connait un succès grandissant et est en train de mettre en œuvre un ambitieux plan de développement visant à accroître le nombre de visiteurs annuels, le faisant passer d’environ 2 à 3 millions.

Les visiteurs se rendant au Parc le font essentiellement en voiture, malgré la proximité du point d’arrêt SNCB Cambron-Casteau (sur la ligne L90 Ath-Jurbise) jouissant d’une desserte horaire (1 train L /heure/sens) et situé à 15 minutes à pied environ de l’entrée du Parc. Pour les visiteurs en provenance de Bruxelles, la desserte ferroviaire est correcte le WE avec 2 départs par heure à partir de Bruxelles-Midi et à destination de Cambron-Casteau (soit via Ath soit via Jurbise avec dans les 2 cas une correspondance de 9 minutes dans ces gares intermédiaires). Par contre, les visiteurs en provenance de la dorsale wallonne (Namur et Liège) ne bénéficient pas d’une bonne desserte actuellement avec 1 départ par heure et une correspondance de 34 minutes en gare de Mons, ce qui est dissuasif. Ceci devrait pouvoir être amélioré.

En 2014, les pouvoirs régionaux ont financé la construction d’une route reliant la N56 au Parc pour éviter que le trafic issu du sud ne traverse le village de Cambron-Casteau.

Un projet similaire a, dans un premier temps, été envisagé pour éviter que le trafic issu du nord ne traverse le village de Gages : il s’agissait d’assurer une liaison entre le Parc et la N523. Dans un second temps, la région, le Parc et les communes concernées ont proposé d’étendre de 8 km environ ce projet de 3 km pour rejoindre la N7 à hauteur de Ghislenghien (voire rejoindre l’autoroute A8).

D’autres villages (Gibecq et Silly) sont également traversés par du trafic généré par le Parc. Des routes régionales – dont certaines méritent une remise en état – permettent cependant d’éviter ces villages sans détour conséquent.

Sur base de 220 jours d’ouverture annuels et d’un taux d’occupation moyen de 3 personnes par voiture, la fréquentation actuelle du parc génère un flux d’environ 3.000 voitures par jour. Les jours de très forte affluence (weekend ensoleillé durant les vacances d’été), la fréquentation peut exceptionnellement être 3 fois supérieure à la moyenne.

Une analyse commandée par le Ministre Prévot à Orange Belgique (suivi des abonnés téléphoniques se rendant au Parc pour identifier leurs parcours) a révélé qu’environ 50% du trafic routier généré par le Parc vient du sud et 50% du nord.

L’ambition du Parc d’accroître de 1 million le nombre de visiteurs annuels se traduirait donc par un accroissement moyen de trafic de 1.500 voitures par jour : 750 côté nord et 750 côté sud.

2. Observations générales pour justifier l’inopportunité du projet de route

  • L’inadéquation de tels projets routiers avec le défi climatique

La dynamique des changements climatiques s’accélère, comme le révèlent les évolutions de nombreux indicateurs : température de surface du globe, température de la troposphère, température et niveau des mers, étendue des glaciers, nombre et intensité des événements climatiques extrêmes (ouragans, inondations, sécheresses) etc.

Le Gouvernement wallon l’affirme dans sa Déclaration de politique régionale : « Le défi climatique impose une réponse forte au niveau tant planétaire que local […] A tous niveaux, chaque décideur se doit d’orienter la moindre de ses actions en faveur de la Planète. »[1]

La Wallonie s’inscrit dans une dynamique positive de décroissance des émissions de GES : tous gaz et tous secteurs confondus, elles ont baissé de 36,6% entre 1990 et 2014. Un secteur, cependant, se démarque particulièrement par rapport à cette tendance générale : les émissions des transports ont augmenté de 25,2% sur cette période pour s’établir à 8,665 MtCO2 en 2014[2].

Pour relever le défi climatique en matière de transports, il conviendrait, selon les calculs d’IEW menés à l’échelle de la Wallonie, de baisser de 6,8% chaque année les émissions de CO2 induites par le transport d’ici à 2050 (figure 1). IEW a étudié l’influence de différents scénarios d’évolution des pratiques de mobilité. Le scénario compatible avec l’impératif climatique (c’est-à-dire permettant une réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 90% entre 1990 et 2050[3]) implique, à l’échéance 2030 (soit dans treize ans), de diminuer le volume de transports de 30% par rapport à 2015 et de réduire le nombre de kilomètres roulés en voitures de plus de 60% (tout en améliorant leur taux de remplissage). Ceci en tenant compte de l’apport positif des évolutions technologiques des véhicules.

Figure 1 : évolution récente et désirable des émissions du transport en Wallonie. Scénario BAU du BFP = perspectives à politique inchangée établies par le Bureau fédéral du Plan

Le défi est gigantesque. Si nous voulons collectivement le relever, c’est une sortie d’urgence du système automobile qu’il convient de réaliser. Dès lors, investir dans l’accroissement du réseau routier implique ipso facto de renoncer à répondre à l’enjeu climatique. Tant du fait de l’accroissement objectif de la capacité routière que du fait de l’impossibilité de mener en parallèle, dans un contexte d’austérité budgétaire, des politiques de mobilité durable. C’était le sens du message adressé par Inter-Environnement Wallonie le 21 septembre 2017 au Gouvernement wallon[4].

  • Mettre un terme à l’artificialisation du territoire

Les terrains artificialisés représentent plus de 10,4% du territoire wallon et sont en progression constante : + 39,3% depuis trente ans, soit 16,5 km²/an. Cette artificialisation s’opère au détriment des terres agricoles avec, pour celles-ci, une perte de 547 km² entre 1985 et 2015 : – 5,9% en trente ans. Depuis 1985, l’artificialisation du territoire résulte essentiellement de l’expansion du résidentiel, dont la superficie est passée de 723 km² à 1060 km², soit une augmentation de 46,6%. Cette expansion ne s’explique qu’en partie par une augmentation du nombre de ménages (+ 20,6%)[5].

Afin d’atteindre l’objectif européen « 2050 Low-Carbon Economy »[6] de ne plus augmenter les surfaces artificialisées en 2050 (« No Net Land Take »), il est urgent, pour faire face aux changements climatiques, pour préserver notre biodiversité et restaurer la qualité de l’environnement, de mettre un frein à l’artificialisation de notre sol ainsi qu’à la fragmentation de notre territoire, notamment par les infrastructures de type routier et autoroutier. Par ailleurs, les budgets dévolus à la mobilité par route seraient bien nécessaires pour mettre en œuvre les indispensables politiques de maîtrise de la demande de transport et de transfert vers les modes moins polluants (transports en commun et modes actifs), tout en assurant l’entretien correct du réseau existant.

Les liaisons autoroutières et routières, outre leur aspect coûteux indéniable, renforcent le rôle de premier plan qui a toujours été dévolu à la voiture et à l’accessibilité routière, avec des effets sanitaires et climatiques négatifs.

3. Observations spécifiques de la Fédération quant au tracé pressenti

  • Absence d’une étude exhaustive en matière de mobilité

Force est de constater que ce projet de tracé est prématuré parce que la preuve de son caractère nécessaire n’a pas été faite, ni surtout la preuve de son caractère prioritaire par rapport à d’autres besoins relatifs au réseau routier régional[7]. En effet, l’étude Orange présente un caractère limité en ce qu’elle ne s’est focalisée que sur les flux de véhicules mais à aucun moment n’a examiné l’éventualité de construire une nouvelle route. Une analyse globale de la mobilité dans la région (au-delà des chiffres d’Orange) permettrait d’objectiver les besoins en investissements publics sans s’intéresser uniquement à ceux souhaités par le Parc.

  • Les villages impactés le resteront très vraisemblablement

En effet, les touristes se rendant au Parc continueront à traverser les villages en raison de l’utilisation des GPS. La traversée des villages de Gibecq et Silly pourrait être découragée par :

  • des mesures d’aménagements visant à un apaisement du trafic (mesures qui seraient profitables à la population locale) ;
  • une signalisation claire orientant le trafic sur les voiries régionales contournant ces villages ;
  • l’intégration de ces parcours d’évitement dans les programmes de guidage GPS.
  • Des impacts préjudiciables du projet

L’examen des pièces du dossier démontre que ce projet routier impactera de manière plus que significative les terres agricoles et sylvicoles et ce, de manière préjudiciable. IEW renvoie à ce propos à sa considération générale quant à la nécessité de mettre un terme à l’artificialisation du territoire.

La construction de cette route aura également un impact avéré et négatif en matière d’environnement que ce soit à travers les émissions de gaz à effet de serre, l’atteinte à la biodiversité, l’augmentation du trafic, les nuisances sonores, la détérioration de la qualité de l’air. De surcroît, ces différents impacts sont totalement minimisés par le demandeur à la lecture de la notice des incidences sur l’environnement comme ce sera démontré dans le point suivant.

  • Une notice d’évaluation des incidences sur l’environnement totalement lacunaire

A titre d’exemple, la notice d’évaluation est très lacunaire que ce soit quant à l’impact du projet en termes de nuisances sonores générées par le trafic une fois la route réalisée ou encore quant à l’absence de quantification des émissions de CO2 générées par le trafic. La notice contient également des erreurs manifestes d’appréciation lorsqu’elle considère que les travaux n’auront pas d’incidences majeures sur la faune et la flore alors que le projet traversera notamment des zones forestières et d’espaces verts qui sont des endroits propices au développement de la faune et de la flore. La notice considère également que le projet n’engendrera pas de véhicules supplémentaires alors que la création et l’augmentation de capacité routière entraîne de facto une augmentation de l’usage des modes routiers par un effet, largement documenté par la littérature sous le concept d’« effet d’appel ».

En conséquence, au vu desdites lacunes, l’autorité ne dispose pas d’éléments suffisamment probants pour statuer en pleine connaissance de cause.

  • Les deniers publics au service du développement d’une entreprise privée

Le financement public d’une route de plus de 10km afin de satisfaire une entreprise isolée, quelle que soit sa notoriété publique, pose réellement question en termes de bonne gouvernance et de bonne gestion de deniers publics. La collectivité n’a pas à financer une route que l’on peut qualifier de somptuaire – étant donné le réseau routier existant – et ce, dans le but de permettre le développement d‘une entreprise privée.

Il existe d’ailleurs un biais potentiel dans le soutien au projet routier par le parc lui-même sachant que celui-ci trouve un intérêt économique à soutenir l’accessibilité routière, bénéficiant d’une rentrée financière de 7€ par place de parking, parking qui serait lui-même passablement élargi. A l’inverse, l’accessibilité ferroviaire ne permet pas au parc d’accroitre ses ressources financières.

Notons, pour être complet, que le Parc offre une ristourne de 25% aux particuliers prenant le train, dans le cadre du billet B-Excursions. Ceci permet un prix d’entrée moins élevé et l’économie du parking aux utilisateurs du train, comparativement aux visiteurs venant en voiture.

4. Analyse et recommandations

Au vu de ce qui précède, Inter-Environnement Wallonie considère que le projet de route d’accès au Parc est tout à la fois prématuré et dépassé :

  • prématuré parce que la preuve de son caractère nécessaire n’a pas été faite, ni surtout la preuve de son caractère prioritaire par rapport à d’autres besoins relatifs au réseau routier régional[8] et par rapport à des alternatives à développer pour soulager de façon plus efficace les villages traversés (voir point 3.2) ;
  • dépassé parce que l’accroissement du réseau routier (dont de nombreuses études ont démontré qu’il participe à l’augmentation du trafic[9]) n’est pas compatible avec les politiques climatiques, ni avec les orientations du Gouvernement wallon en matière de mobilité, définie dans la vision FAST 2030 adoptée par le Gouvernement, qui prévoit de passer de 83% à 60% de part modale globale de la voiture dans l’ensemble des déplacements en Wallonie à l’horizon 2030.

Les charges de trafic générées par le Parc (3.000 véhicules/jour en moyenne actuelle, 4.500 à terme, avec une répartition 50% nord – 50% sud) sont très raisonnables pour des voiries régionales.

Une analyse globale de la mobilité dans la région (au-delà des chiffres de l’étude Orange) permettrait d’objectiver les besoins en investissements publics sans s’intéresser uniquement à ceux souhaités par le Parc.

La traversée des villages de Gibecq et Silly pourrait être découragée par :

  • des mesures d’aménagement visant à un apaisement du trafic (mesures qui seraient profitables à la population locale) ;
  • une signalisation claire orientant le trafic sur les voiries régionales contournant ces villages ;
  • l’intégration de ces parcours d’évitement dans les programmes de guidage GPS.

Complémentairement, une réflexion visant à valoriser le patrimoine ferroviaire en exploitant au mieux l’infrastructure devrait être mise en place ; les voies d’action potentielles suivantes devraient être étudiées/développées :

  • augmentation de la fréquence sur la L90 durant les WE (1 train à la demi-heure aux heures de pointe du Parc) ;
  • amélioration du cheminement piéton entre le point d’arrêt de Cambron-Casteau et le Parc (continuité du cheminement, signalétique claire, sécurisation, accessibilité) ;
  • rehaussement des quais du point d’arrêt de Cambron-Casteau pour en améliorer l’accessibilité aux familles (poussettes, jeunes enfants, personnes âgées) et affectation à cette liaison d’un matériel roulant adapté (selon les possibilités) ;
  • développement d’une offre spécifique durant les congés scolaires (périodes durant lesquelles des sillons et du matériel roulant se libèrent), par exemple trains directs Bruxelles-Lille passant par la L90 (arrêt à Cambron-Casteau) en début et en fin de journée ;
  • collaboration avec la SNCB afin d’éviter les ruptures de charge entre les trains arrivant à Mons et les trains allant de Mons à Cambron-Casteau via la L92 Mons-Ath. Le déplacement de l’arrêt de Cambron-Casteau pour diminuer la longueur du cheminement piéton vers le Parc est également une piste de solution qui mériterait d’être discutée avec le Parc (emplacement des portes d’entrée du Parc) et étudié avec les entreprises publiques ferroviaires.

Enfin, un investissement fort dans la mobilité douce est nécessaire : développement des voies lentes sécurisées au sein des communes d’Ath, Brugelette et Silly et vers le Parc ; un développement du RAVEL, notamment entre Mons et Ath, et l’intégration dans des itinéraires cyclables régionaux.

5. En guise de conclusion

Inter-Environnement Wallonie considère ce projet de route totalement inopportun, au vu des impacts néfastes majeurs tant au niveau local que global. Le projet de route est en totale inadéquation par rapport aux politiques de transition indispensables pour répondre au défi climatique. C’est une modification en profondeur du système de mobilité actuelle qui est requise d’urgence et non une prolongation des politiques d’accroissement des capacités du réseau routier qui ont prévalu au cours des dernières décennies.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme la lacunaire notice d’évaluation des incidences, la concrétisation du projet induira de nombreuses incidences locales dommageables au niveau environnemental (notamment sur les activités agricoles et sylvicoles, les émissions de gaz à effet de serre que ce soit lors la création du projet que lors de l’utilisation du tracé,…). Les bénéfices potentiels escomptés ne justifient nullement de générer ces incidences bien réelles. D’autant que lesdits bénéfices ne peuvent s’inscrire que dans l’hypothèse d’une prolongation des tendances passées (notamment en termes de volumes de trafic), hypothèse incompatible avec le maintien du réchauffement planétaire sous la barre des 2°C.

[1] Gouvernement wallon. 2017. Déclaration de politique régionale, p. 24

[2] SPW – AwAC, 2016

[3] Pour parvenir, entre 2060 et 2075, à un fonctionnement des sociétés humaines dans lequel les émissions nettes de gaz à effet seront nulles.

[4] https://www.canopea.be/enterrer-chb-pour-qu-emerge-une-mobilite-durable-en-wallonie/

[5] SPW, Rapport sur l’état de l’environnement Wallon, 2017

[6] https ://ec.europa.eu/clima/policies/strategies/2050_en

[7] SPW DGO1. Notes stratégiques. Namur, juin 2015

[8] SPW DGO1. Notes stratégiques. Namur, juin 2015

[9] Voir notamment SETRA. 2012. L’induction de trafic – Revue bibliographique. Paris, 2012.

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