Economie circulaire et COVID : de la prudence à l’indécence

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Dans le climat d’angoisse et d’urgence sanitaire actuel, certains secteurs n’hésitent pas à user, voire abuser, de la situation pour freiner des initiatives de transition vers une économie circulaire.

De nombreuses personnes et des pans entiers de notre économie subissent de plein fouet les conséquences sociales et économiques de la crise sanitaire actuelle. Il est évident que des mesures exceptionnelles doivent être prises pour éviter un bain de sang social. La Commission européenne a d’ailleurs déployé des moyens pour atténuer le choc et les Etats membres débloquent des budgets pour venir en aide aux acteurs économiques. Cependant, alors que l’urgence sanitaire est LA priorité, certains secteurs profitent de cette situation pour appeler à des reports de législation de façon déraisonnable. Si le secteur automobile a été un des premiers à minauder, d’autres lui emboîtent le pas avec par exemple des implications pour l’économie circulaire.

Le plastique à usage unique : seul rempart pour garantir l’hygiène ?

Récemment, l’association européenne des transformateurs de matières plastiques (EuPC) s’est fendue d’un courrier adressé à la Commission dans lequel, en ces temps où l’hygiène et la santé sont primordiales, elle présente les ustensiles en plastiques à usage unique comme un moyen indispensable pour préserver la santé des consommateurs. Et dès lors, l’industrie y voit une raison suffisante pour demander le report d’au minimum un an de la mise en œuvre de la Directive Single-Use-Plastic1. Elle plaide également pour une levée des interdictions de mise sur le marché de certains produits en plastiques à usage unique.

Assez pernicieuse, cette supplique fait croire que les objets plastiques à usage unique sont le meilleurs choix pour garantir l’hygiène, notamment dans le milieu médical et que dès lors, les objets visés par la directive font partie de l’arsenal nécessaire pour combattre ce virus. Or, il faut rappeler que parmi les ustensiles qui devront être interdits d’ici juillet 2021, les pailles et les coton-tiges en plastiques peuvent toujours être utilisés en tant que dispositif médical. Les autres objets bannis, couverts ou assiettes en plastiques par exemple, sont loin d’être essentiels pour garantir l’hygiène des malades comme des bien-portants. Quel que soit le matériau, un lavage efficace de nos ustensiles réutilisables reste la meilleure protection !

Pour les fabricants de ces objets en plastique, la Commission – et bon nombre de citoyens qui soutiennent les mesures de la Directive SUP – n’a tout bonnement pas compris comment il fallait s’y prendre : « The term single-use plastics is completely wrong and not justified. To reduce littering an anti-litter regulation will be needed to impact both consumers and force industry in circularity thinking and keep going in this direction.” Bref, faites de la prévention, éduquez le consommateur et laissez les producteurs s’occuper du recyclage et le problème des déchets plastiques n’en sera plus un… Voilà le credo de l’industrie du plastique.

Eco-design et réparabilité : plus de temps pour les mauvais élèves ?

Un autre exemple de secteur qui voit dans cette crise une opportunité de freiner la transition vers l’économie circulaire est la réaction d’Applia, association européenne des producteurs d’électro-ménagers. Dans une lettre adressée à la Commission, Applia fait appel à l’indulgence des autorités européennes en demandant le report d’échéances relatives à diverses dispositions qui s’appliquent à leurs appareils, comme le nouvel étiquetage énergétique ou encore la fourniture de données sur les substances préoccupantes dans les produits demandées par l’ECHA2. Soyons de bon compte, certaines demandes semblent légitimes car certaines unités de production tournent au ralenti et tous les départements subissent les contraintes imposées par cette crise sanitaire. De plus, les producteurs ne demandent pas une révision de la législation mais une extension des délais. Néanmoins, certaines demandes apparaissent exagérées, notamment le report de deux ans, c’est-à-dire renvoyer à 2026 au lieu de 2024, le passage au second niveau d’exigences en matière d’éco-conception avec une incidence sur l’amélioration de l’efficacité énergétique des appareils et leur réparabilité. Applia plaide aussi pour le report de deux ans l’objectif de collecte de 65 % des déchets d’équipements électriques et électroniques alors que d’après l’analyse d’impact réalisée par la Commission en 2008, 65 % des EEE mis sur le marché étaient déjà collectés séparément à l’époque. De plus, les producteurs auraient dû se préparer à l’atteinte de cet objectif depuis 2012. Finalement, ce type de démarche, par des requêtes de nivellement par le bas, sert davantage les industries qui se contentent du business as usal  et non celles qui innovent aussi dans un souci environnemental.

Que la Commission sauve qui peut et chacun pour soi

Il faut s’attendre à ce que chaque secteur entreprenne ce genre de demandes auprès de la Commission et des gouvernements nationaux. Et si on peut comprendre la panique des acteurs industriels de se voir plonger dans un marasme économique, il est regrettable qu’il n’y ait aucune vision prospective de ce que ces réglementations environnementales peuvent contribuer à éviter des crises et à rendre la société plus résiliente. Cette politique du chacun pour soi risque de mettre à mal les plans de relance post-COVID basés sur le Green deal, pour une économie durable et le bien-être de tous les citoyens.

  1. Directive 2019/904– Directive relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement, cette directive vise entre autre, l’interdiction d’une série d’ustensiles en plastique à usage unique (pailles- sauf si celles-ci relèvent d’un dispositif médical, couverts et assiettes, coton-tiges- sauf si celles-ci relèvent d’un dispositif médical, touillettes, tiges de ballons, récipients et gobelets en polystyrène expansé). La directive vise aussi la réduction de la consommation d’objets et ustensiles en plastiques comme les emballages, bouteilles, tasse, etc…
  2. Database SCIP : SCIP est une base de données pour l’information sur les substances préoccupantes établie par de la Directive Cadre sur les Déchets. Les industriels sont tenus de délivrer les informations pour le au 5 janvier 2021.

Gaëlle Warnant

Économie Circulaire