Electrification à l’aveugle du parc automobile ?

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Electrifier au maximum le parc automobile est-elle vraiment la seule mesure que l’on puisse ou doive exiger de l’industrie automobile ?

Supprimer les voitures de petit gabarit : voilà la stratégie mise en place par l’industrie automobile pour continuer à engranger des bénéfices pour ses actionnaires. C’est ce qu’explique Mike Manley, PDG de Fiat-Chrysler dans cette interview accordée à des analystes financiers. « Dans un futur très proche, vous nous verrez nous concentrer sur un segment avec des marges plus grandes, et cela impliquera une sortie du segment des mini-voitures », déclare l’industriel, également président de l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles) . Le futur très proche est bien là.

Une politique qui sera probablement renforcée suite aux conséquences économiques liées au Coronavirus. La croissance du secteur est à ce prix1.

Les SUV (Sport Utility Véhicles) et les véhicules « moyen à haut de gamme » vont donc être privilégiés quand, dans un même temps, les législations européennes en matière de CO2 poussent, avec raison, l’industrie à produire des véhicules électriques.

Résultat ? Une production préférentielle de véhicules électriques de type SUV et/ou « haut de gamme »2.

  • Des véhicules très lourds : pour les mouvoir à des performances équivalentes à celles des anciens moteurs thermiques, des batteries volumineuses et lourdes seront nécessaires.
  • Des véhicules onéreux. L’industrie a continué à miser un maximum sur les modèles thermiques et n’a pas anticipé le passage à l’électrique pour lequel elle réclame des aides d’états. 
  • Des véhicules d’autant plus polluants qu’ils sont imposants : leur production (batteries comprises) générera d’importantes quantités de CO2 et la consommation de beaucoup de matières premières, certaines rares et produites dans des conditions sanitaires et sociales dramatiques. L’utilisation de ces véhicules entrainera, vu leur gabarit, une consommation excédentaire d’énergie justifiée – outre les rentrées pour l’industrie – par le paraître, la performance inutile et la satisfaction d’un ego lui-aussi surdimensioné.
  • Des véhicules dangereux, surtout pour les usagers actifs, les statistiques en témoignent3.

Ces véhicules seront inaccessibles à une partie de la population aux revenus plus faibles. Les mêmes qui sont et seront touchées par les mesures de renouvellement accéléré du parc automobile, réclamées par l’industrie et généralement supportées, notamment financièrement, par les autorités publiques4 qui travaillent dans des budgets pourtant mis en surpression. On peut légitimement se poser la question de savoir si aider, même indirectement, à la production de telles voitures est essentiel. C’est aussi probablement la partie de la population qui sera économiquement, mentalement et sanitairement la plus meurtrie par la pandémie en cours qui sera exclue de l’accès à des véhicules modestes et utiles.

Electrifier au maximum ce parc automobile est-elle vraiment la seule mesure que l’on puisse exiger de l’industrie automobile ?

La quasi totalité des professionnels de la mobilité s’accordent désormais pour dire que les SUV « ne servent à rien » 5 ? Ils sont juste plus chers. Est-ce qu’ils serviront davantage quand leur moteur sera électrique et qu’ils seront encore plus chers ?

Est-ce qu’une fois électriques, les voitures de société (défendues becs et ongles par la FEBIAC et toutes les fédérations patronales) seront moins problématiques, que ce soit du point de vue de la mobilité, des recettes de l’Etat6 ou de l’équité sociale ? Ces voitures haut de gamme, lourdes, larges, puissantes, rapides et dangereuses pour les usagers de la voie publique, dévoreuses d’espace, occupées plus de 95% du temps par le seul conducteur et réservées aux personnes disposant de moyens confortables seront-elles, une fois électriques, plus « justes » ou « essentielles »?

Non.

Une voiture électrique offre un gain environnemental d’autant plus important que son usage est intensif et que la taille de sa batterie est contenue et adaptée à un usage au quotidien, c’est-à-dire moins de 60 km par jour pour 80 % des Français ou 40 km7 pour un ménage belge8.

« La batterie de 75 kWh d’une Tesla Model 3 permettrait de couvrir 80 % des usages d’une flotte de cinq voitures si elle était répartie équitablement en cinq batteries de 15 kWh (…) dans des voitures électriques légères. (…) En étant allouée à un seul véhicule, cette batterie de 75 kWh ne couvre que 20 % des usages de cette flotte.9 ».

Donc, non, ce n’est pas la seule exigence que l’on doit avoir vis-à-vis de l’industrie automobile.

C’est en tous cas forts de cette conviction que depuis plus de 5 ans IEW et PEVR (Parents des enfants victimes de la route) développent le concept de Lisa Car et, plus récemment, de sa version électrique l’(e)Lisa Car.

Ensemble, ces associations avancent que, pour des raisons de santé publique, de lutte contre les changements climatiques, de sécurité des usagers et aussi d’équité sociale, une régulation plus importante du marché automobile est indispensable.

Et elles appellent les responsables politiques et administratifs, à tous les niveaux de pouvoir, à faire pleinement usage de leurs compétences et pouvoirs décisionnels pour orienter le marché automobile vers des véhicules plus légers, moins puissants, moins rapides, au profil plus fluide et – et cette dernière caractéristique ne prend de sens que lorsque les autres sont remplies – à motorisation électrique, conformément au concept d’(e)Lisa Car.

La crise du Coronavirus nous rappelle que la fragilité fait partie de ce monde et que la démesure constitue un risque sociétal. La voie du « toujours plus », empruntée par l’industrie automobile peut (et doit) être modifiée. En anticipant cette mutation nécessaire, les constructeurs automobiles pourront d’autant plus en maîtriser les conséquences. Nos propositions constituent une modeste contribution à la définition des lignes de force de cette mutation souhaitée.

Un appel en ce sens est lancé publiquement et peut être signé.

La version courte de cet Appel.

La version longue de cet Appel.

Nouveau ! Les mesures que peuvent prendre les autorités politiques, à tous les niveaux de pouvoir, pour soutenir cette évolution :

Climat, santé et sécurité : pour un phasing in de l’(e)Lisa Car

Il s’agit d’un document :

  • exposant les arguments en faveur d’une évolution souhaitable des caractéristiques du parc automobile pour répondre aux enjeux du climat, de la santé et de la sécurité routière.
  • motivant l’importance d’un phasing in vers des véhicules plus légers, moins puissants, moins rapides, aux formes plus fluides et à motorisation électrique.
  • listant les leviers politiques pour soutenir cette évolution, à tous les niveaux de pouvoir, avec une attention particulière pour le niveau régional, .

  1. Voir l’article de Pierre Courbe publié dans le même numéro de notre nIEWs, Le changement dans la continuité, voie sans issue
  2. Voir, pour approfondir cette question : Les vices cachés de l’industrie automobile
  3. L’essor des SUV augmente les risques d’accident mortel pour les piétons
  4. Voir, pour approfondir cette question : Le vieillissement du parc automobile est-il un problème ? & Voir, pour les « limites » des politiques des zones de basses émissions : Les zones de basses émissions sont-elles efficace ?
  5. Voir aussi : Les SUV à l’assaut du climat  ou Le SUV, symbole de l’impuissance du secteur automobile
  6. Voir par exemple : Voitures de société, l’impossible débat
  7. IFP Énergies nouvelles (2018), « Bilan transversal de l’impact de l’électrification par segment. Projet E4T », ADEME, rapport, avril.
  8. 40 km pour les ménages belges
  9. Nicolas Meilhan, (Conseiller scientifique auprès de France Stratégie, un organisme d’études et de prospective, d’évaluation des politiques publiques et de propositions, placé auprès du Premier ministre français), Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures, La note d’analyse n°78, juin 2019