ELLE (et nous)

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Elle a 28 ans et le désenchantement de ceux dont le présent hypothèque l’avenir. Désenchantée mais pas résignée ; elle avoue « Je n’aurais jamais cru en arriver là… » mais enchaîne en constatant « En fin de compte, je vis mieux maintenant qu’avant !».

Avant, c’est lorsqu’elle avait un travail. Secrétaire à 1.200 euros mensuels. « Dont plus de la moitié passait dans le loyer. »
Aujourd’hui, elle émarge au club des demandeurs d’emploi et témoigne dans le cadre d’une série de reportages que France-Inter réalise sur le thème « Comment vivent-ils la crise ? ». (Au sortir d’un flash infos égrenant le chapelet des licenciements et ressassant le scandale des parachutes dorés, l’interrogation se teinte de surréalisme, hésitant entre acuité et ironie.)

Elle, la crise, elle la vit étrangement bien. Il faut dire que quand on n’a plus rien, on n’est pas miné par la crainte de le perdre…
Chômeuse en fin de droits avec quelques centaines d’Euros par mois pour survivre, cela fait quelque temps déjà qu’elle a rangé appartement et pouvoir d’achat dans le tiroir des souvenirs. Elle évolue désormais dans une société parallèle où la débrouille et la solidarité ont remplacé la consommation et l’argent. Elle habite un squat et raconte :« Tous les meubles, on les a récupérés sur les poubelles. On partage le maximum de choses, lave-linge, etc. Quand on besoin d’une voiture, un voisin nous prête la sienne et on le dédommage par l’un ou l’autre service. Certains vont récupérer des denrées alimentaires dont les grands magasins se débarrassent. Moi, personnellement, je ne le fais pas mais je profite de ce qu’ils ramènent… » Au final, même si elle « n’aurait jamais cru en arriver là », elle reconnaît qu’elle « vit mieux maintenant qu’avant ».

La voix est claire, déterminée, sans amertume ni affliction. Elle capte l’intérêt, éveille l’attention et met la réflexion en branle. Il y a dans ce témoignage une force et une dignité qui imposent de dépasser le stade la colère.

Bien sûr, il atteste de la brutalité et de la radicalité avec laquelle « notre » système économique génère de la précarité et expulse dans ses marges celles et ceux dont il ne peut (plus) tirer profit. Parce qu’elle méprise l’humain, qu’elle violente les destins, cette casse sociale est aussi intolérable qu’inexcusable. Mais par-delà un indispensable sentiment de révolte, on peut voir dans ce récit la preuve par l’exemple que nous sommes capables de vivre hors du modèle de consommation que l’on nous impose, que « Moins de biens, plus de lien » est autre chose qu’un slogan utopiste.

Alors, pas question de tomber dans l’angélisme, de considérer benoîtement qu’ « A quelque chose malheur est bon » et de prôner un think pink plus cul-cul que baba et plus con que cool. La vigilance et la colère restent de mise pour dénoncer et combattre une économie qui considère le sort de sa main d’½uvre comme une variable d’ajustement.
Mais a travers son témoignage, « elle » nous démontre qu’il y a une vie et une forme d’être bien possibles derrière le modèle que l’on nous impose. « Elle » atteste explicitement que « moins » peut-être synonyme de « mieux » et que l’appel à un changement de paradigme, la remise en cause de la croissance et de la consommation à tout crin ne signifient nullement un retour en arrière, une régression soci(ét)ale.

Si je-tu-il-nous-vous-ils pouvaient en prendre conscience autrement que sous la contrainte des événements, l’avenir de la Planète et de ses locataires s’éclaircirait grandement…