Et si l’urbanisme faisait la politique…

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Aménagement du territoire et géographie électorale : les liens sont passionnants bien qu’ils restent fort peu étayés. Les récentes élections nous en ont, une fois de plus, convaincus.

Dimanche 25 mai, les urnes ont livré leur verdict. A tous les échelons représentatifs, les Belges avaient la possibilité de redistribuer les cartes politiques. Ils ne s’en sont pas privés. Au niveau fédéral, en dépit du fait que le régionalisme flamand continue à marquer des points, le Gouvernement actuel ne sort pas particulièrement affaibli de l’exercice. Socialistes, libéraux et chrétiens-démocrates conservent globalement leurs billes. Il en va tout autrement au niveau régional. A Bruxelles, et peut-être encore davantage en Wallonie, le rapport de force est sensiblement modifié. Le MR se renforce, au détriment des trois partis de la majorité sortante variablement affaiblis.
Si la politique se caractérise par un « temps court » – celui d’élections successives (2014, 2010, 2009…) en Belgique –, elle s’organise aussi dans un « temps long ».
Le « temps court », c’est le temps de la volatilité, de l’accident de campagne, de la petite phrase qui fait mouche. En d’autre mots, c’est celui qui fait et défait les alliances électorales à la faveur du gain ou de la perte de quelques pourcents, c’est celui qui voit jouer au yoyo le score d’un parti d’un scrutin à un autre, ou c’est encore celui qui dote, le temps d’un scrutin, un OVNI politique d’un score considérable alors qu’il n’existait pas quelques mois auparavant.

Le « temps long », par contre, c’est celui qui donne au débat politique une certaine inertie, qui fait qu’une opinion publique balance durablement plutôt à gauche qu’à droite, qu’un échiquier politique privilégie plutôt les thèmes du social et de l’environnement aux thèmes de la sécurité et de la défense, tous partis confondus. Au niveau territorial, ce « temps long » est assez perceptible. Mode d’urbanisation et sociologie politique, sans aller mécaniquement de pair, entretiennent des liens étroits. Si les équations « grands ensembles = vote progressiste » et « périurbain pavillonnaire = vote plus conservateur » ont leurs contre-exemples à travers le monde, il est un fait tangible qu’il existe une géographie électorale particulière à chaque territoire dans laquelle la question de l’aménagement joue un rôle premier.

Dans le chef de Léopold II, offrir des abonnements de transport bon marché aux ouvriers et couvrir les campagnes d’un réseau de tramways vicinaux extrêmement dense n’a pas que correspondu à l’amour du souverain pour ses sujets. Dans sa grande magnanimité, le roi belge pensait aussi évidemment à limiter la concentration ouvrière, propice dans son esprit au développement du socialisme. Conserver un habitat éparpillé de village à village avait donc dans cette optique un sens. On ancrait ainsi durablement en Belgique un habitat rural en profond décalage avec un travail de plus en plus urbain, avec des résultats politiques nets sur le « temps long ».

De nombreuses communes de Belgique, de France ou d’ailleurs continuent à voir ainsi le mode d’urbanisation. La réticence à implanter sur son territoire des logements sociaux n’exprime pas qu’un manque d’humanité. Le pari politique est aussi bien présent, qui fait préférer l’acquittement d’amendes annuelles à l’arrivée dans sa commune de groupes sociaux plus défavorisés et donc plus à gauche… Pareillement, le souhait d’abattre des tours et des barres pour développer à la place du pavillonnaire en bonne et due forme exprime souvent la volonté claire de renforcer sur sa commune un électorat petit bourgeois plus adéquat au vote conservateur.

Les élections du 25 mai ont en ce sens à nouveau été riches en enseignements. Sans commencer une analyse fine du territoire et des votes dans les différentes typologies de lieux urbanisés en Wallonie – ce qui vaudrait le coup –, un bref survol du territoire au regard du parti arrivé en tête est très informatif. Le sillon Sambre-et-Meuse côté vallée industrielle se maintient nettement socialiste. Par contre, ses coteaux verdurés et ses coins de campagnes alentours pseudo préservés s’ancrent eux dans le camp libéral. Sans associer mécaniquement périurbain et vote libéral, on observe tout de même une consolidation forte du Mouvement Réformateur, à la faveur du renforcement du caractère périurbain d’un Brabant Wallon élargi vers le Nord-Namur et le Nord-Hainaut, avec la multiplication des lotissements et des navettes domicile travail quotidiennes vers les grandes villes proches comme Bruxelles, Namur ou Liège. Enfin, le CDH semble préserver un leadership là où le sort de la ruralité n’apparaît pas totalement lié à celui de grands pôles métropolitains proches, en Luxembourg par exemple.

Quoi qu’il en soit, pour aller au-delà de dégrossissages analytiques superficiels ou d’intuitions politiques, il ne serait sûrement pas inintéressant pour les différents partis politiques de maitriser avec davantage d’acuité l’impact électoral des modes d’urbanisation.