Europe – Révision en demi-teintes de la fiscalité énergétique

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Priée de revoir sa copie, la Commission européenne revient à la charge avec une nouvelle proposition de taxe carbone. Celle-ci a été présentée ce mercredi 13 avril.
Cette nouvelle proposition va incontestablement dans la bonne direction mais n’est néanmoins pas dénuée de failles, à même de nuire à l’efficacité même de la taxe.

En 2003, l’Union européenne adoptait une taxe (définition d’un taux de taxation minimal) sur les produits énergétiques et l’électricité. Celle-ci, calculée sur les niveaux de volume, faisait fi de toute considération environnementale. En 2010, la Commission avait fait état de sa volonté de revoir cette Directive, jugée par ailleurs insuffisante par la mouvance environnementale, en modulant la taxe en fonction du contenu énergétique et des émissions de CO2 des différentes sources d’énergie. Objectif : intensifier le recours aux sources d’énergies plus « propres ».
La révision, qui imposait un taux minimal de taxation sur les émissions de CO2 des carburants utilisés par les ménages, le secteur du transport, les petites entreprises et le secteur agricole, aurait dû aboutir l’an dernier. Suite à l’hostilité de certains États membres dont l’Allemagne (soucieuse de préserver les intérêts de ses industries en général et l’industrie automobile en particuliers), la Commission avait été priée de revoir sa copie. La nouvelle proposition vient précisément d’être communiquée par la Commission.

Contenu de la copie révisée

La nouvelle mouture du projet de révision de la Directive relative à la fiscalité énergétique invite les États-membres à faire utilisation optimale de la fiscalité pour, à terme, à soutenir la croissance durable. Pour y arriver, la Commission propose de diviser le taux minimum de taxation (de l’énergie) en deux parties. La première serait basée sur les émissions de CO2 des produits énergétiques et serait fixée à 20 euros la tonne de CO2. La seconde porterait sur le contenu énergétique (le contenu énergétique d’un produit correspond à la quantité totale de matières énergétiques qui ont été mises en ½uvre dans la succession des processus de fabrication depuis la matière première jusqu’au produit considéré), dont le taux d’imposition minimal serait fixée à 9,6 euros par GJ pour les carburants et à 0,15 euro par GJ pour les combustibles de chauffage. Tous les combustibles utilisés dans les domaines du transport et du chauffage seront concernés par cette mesure.
Les aspects sociaux sont également considérés, avec la possibilité dans le chef des États membres d’exempter du montant de la taxe l’énergie utilisée par les ménages pour se chauffer, indépendamment de la source d’énergie.
Les craintes du secteur des entreprises ont été également entendues : la Commission prévoit en effet une longue période transitoire (jusque 2023 !!) au terme de laquelle la modulation de l’harmonisation de la taxation en fonction du contenu énergétique sera complètement effective.
D’après l’analyse d’impacts de la Commission, cette nouvelle proposition fiscale sera propice à l’environnement, la société et l’économie. Il devrait ainsi s’en suivre la création d’un million d’emplois supplémentaires à l’horizon 2030 et une réduction des émissions de CO2 de l’ordre de 4 %. Enfin, ces nouvelles dispositions fiscales devraient être à même de générer quelque 40 milliards d’euros, lesquels pourraient être réalloués à la réductoin de l’impôts sur le travail et/ou à contribuer à la consolidation fiscale (les ONG environnementales, de leur côté, plaident également pour qu’une partie de recettes soit réaffectée à des mesures de compensations visant à aider les acteurs économiques, ménages défavorisés en premier chef, à opérer notamment des investissements économiseurs d’énergie).

Des bon points

La révision de la Directive 2003/96/EC – pour autant qu’elle aboutisse (n’oublions pas que celle-ci nécessite l’approbation de l’ensemble des États-membres) – aura le mérite de faire évoluer positivement les choses :

  • Elle devrait encourager les sources d’énergie renouvelables et les sources d’énergie moins émettrices de CO2. Aujourd’hui, les sources d’énergie les plus polluantes figurent paradoxalement parmi les moins taxées. La nouvelle proposition devrait mettre un terme à ces incohérences.
  • Le nouveau texte devrait aider à avoir une approche plus cohérente en matière de taxation de l’énergie à l’échelon européen, évitant par la même occasion les distorsions de concurrence d’un État à l’autre.
  • La directive révisée devrait compléter le système européen des permis d’émission (système ETS), en imposant une taxe CO2 aux secteurs qui n’y sont pas soumis (transport, ménages, agriculture, petites entreprises) mais qui sont pourtant responsables de la moitié des émissions de CO2 européennes. Il était donc important que ceux-ci soient eux aussi soumis à un signal-prix CO2.
    Néanmoins, on peut regretter que le système ETS ne soit pas parallèlement profondément réformé, de manière à engranger de réels résultats en termes de réductions d’émissions de CO2.
  • Enfin, cette initiative aidera l’Europe à atteindre ses objectifs en matière d’énergie et de changement climatique, tel que le requéraient les conclusions du Conseil européen de mars 2008. Cela fera également écho aux résultats de la Conférence sur le changement climatique qui s’est tenue à Cancun (Mexique) en décembre dernier.

Mais des faiblesses aussi

Si l’on peut se féliciter que le dossier épineux de la taxe carbone européenne puisse (enfin) trouver une issue favorable (ne crions toutefois pas victoire trop vite, toute décision fiscale nécessitant l’unanimité), on peut par ailleurs regretter la faiblesse de la nouvelle proposition de révision de la Commission européenne. En effet, le taux proposé (20 euros la tonne de CO2), trop faible, ne pourra véritablement infléchir les comportements des acteurs économiques. Les ONG environnementales, pour leur part, plaident pour un taux minimal de 55 euros la tonne de CO2, taux qui sera amené à augmenter d’année en année. C’est le taux qui, d’après différentes études, devrait permettre à l’Europe d’atteindre les objectifs de 30 % de réduction d’émissions de CO2 à l’horizon 2020. Cet objectif parait toutefois encore trop faible pour la mouvance associative environnementale qui plaide pour un objectif de 40 % à cet horizon-là et de 95 % en 2050.

L’efficacité de la mesure sera également amenuisée par le fait que le nouveau texte laisse la possibilité aux États-membres d’exempter de la taxe l’énergie de chauffage consommée par les ménages, et ce, soi-disant pour motifs sociaux. Pourtant, on le sait désormais trop bien : la raréfaction des ressources énergétiques est bel et bien amorcée et entraînera dans son passage un renchérissement des prix énergétiques. Or, favoriser les mesures d’exemption ne constitue pas un bon signal pour les consommateurs (ménages et entreprises). Alors, autant anticiper cette réalité dès aujourd’hui et les aider à s’y préparer, avec un signal-prix sur l’énergie adéquat (préalablement annoncé) mais aussi par des aides au développement d’alternatives à bas carbone (financées par exemple par les recettes issues de la taxe carbone), prioritairement ciblées sur les ménages défavorisés.

Par ailleurs, les entreprises soumises au marché européen de droits d’émission – qui à ce jour n’a pas encore montré une efficacité réelle – devraient elles aussi se voir exemptées de la taxe, ce qui est largement discutable. Quand on connait les plantureux bénéfices que certaines entreprises, parmi lesquelles ArcelorMittal, ont pu se faire sur le dos des ETS, il y a de quoi se poser des questions. Pour palier à cette non-efficience, les ONG d’environnement plaident notamment pour une mise aux enchères (prévue pour 2012) maximale des permis d’émission.
De leur côté, le Bureau Européen de l’Environnement (BEE) et le Green Budget Europe (GBE) ont accueilli favorablement la nouvelle proposition de la Commission. Sous leurs réjouissances, les deux ONG pointent malgré tout des faiblesses dans la nouvelle mouture :

  • La Commission prévoit que les agrocarburants répondant aux critères de durabilité pourront intégralement être exemptés de la composante CO2 de la taxe. Pourtant, l’impact CO2 des agrocarbrants n’est pas si négligeable et peut même, pour certains d’entre eux, dépasser celui des carburants fossiles. Les exempter de la taxe ne parait donc pas légitime. En outre, il sera, dans ce contexte, plus difficile de promouvoir les agrocarburants qui ont un réel impact à la baisse.
  • Malgré les insistances des ONG environnementales, le secteur aérien échappe toujours à toute forme de taxation, le kérosène n’étant par exemple toujours pas taxé.
  • Les taux minimaux définis par la Commission devront incontestablement subir de substantielles hausses, si l’on souhaite réellement réduire les émissions de CO2 sur le moyen et long terme.

Et après ?
La proposition devrait maintenant atterir dans les mains du Parlement et du Conseil européens.
Au niveau de la Commission, l’optimisme semble de mise, avec une entrée en vigueur du nouveau système de taxation prévue en 2013. Celle-ci devrait se faire en douceur puisque l’Europe prévoit une période de transition de 12 ans durant laquelle l’introduction des nouvelles dispositions fiscales se fera graduellement, du moins là où c’est jugé approprié.
Le printemps devrait également voir émerger la «Feuille de route pour une économie sobre en carbone 2050» (axée sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’économie européenne) et les propositions pour décarboniser le secteur du transport, parmi lesquelles devrait figurer une forme de taxation
La « Feuille de route 2050», portant sur des mesures visant à décarboniser les secteurs du transport et de l’électricité, est également attendue, mais plus tard dans l’année. Tant la Feuille de route pour une économie sobre en carbone 2050 que la Feuille de route 2050 adhèrent à l’objectif du Conseil européen d’octobre 2009, à savoir de réduire d’ici 2050 les émissions européenne de gaz à effet de serre de 80 à 95% (par rapport aux niveaux de 1990).