Sommet européen sur le diesel : s’affranchir du diktat des constructeurs d’automobile

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Ce 06 novembre 2018 se tenait à Bruxelles le premier sommet européen sur le diesel, organisé conjointement par la fédération européenne Transport and Environment (T&E), la plateforme Eurocities et l’alliance pour la santé (EPHA). Outre les diverses interventions et les échanges avec la salle, les trois organismes y présentaient également une déclaration commune.

Les organisateurs avaient opté pour un agenda fort dynamique : pas de longs exposés ex-cathedra, mais des échanges de vues structurés en deux panels (le premier dédié à l’héritage du dieselgate, le second aux voies de solutions) et laissant une large place aux interactions avec la salle. Les différents documents relatifs à ce sommet sont consultables sur les sites des organisateurs. Nous ne relayons ici que quelques déclarations et informations qui nous semblent illustratives des échanges. Ceci avec une subjectivité pleinement assumée.

William Todts (directeur de T&E) :

  • T&E a fait réaliser des tests sur un véhicule diesel « Euro 6d » (c’est-à-dire un véhicule homologué selon les nouvelles procédures européennes : nouveau cycle de tests et mesures supplémentaires sur route). Ce véhicule respectait les normes d’émissions en suivant le cycle standardisé en conditions réelles (RDE), mais ses émissions d’oxydes d’azote étaient multipliées par un facteur 9 (neuf !) quand on s’éloignait de ces conditions.
  • Il est nécessaire de mettre en place un contrôle européen indépendant et proactif. Un tel organisme devrait enquêter lorsque sont révélés des résultats de tests indépendants qui diffèrent fortement des émissions officielles (tels ceux menés pour T&E). Cet organisme devrait également posséder un pouvoir de coercition.

Connie Hedegaard (ex commissaire européenne en charge du climat)

  • Il est paradoxal de constater que VW investit des milliards dans le développement de véhicules électriques et que ces montants sont issus de la vente de gros véhicules SUV à moteur thermique…

Jürgen Resch (directeur de la Deutsche Umwelthilfe (DUH), ONG d’environnement allemande)

  • En Allemagne, le Gouvernement a adressé un courrier aux personnes possédant un véhicule diesel « ancien » ne respectant pas les normes d’émissions d’oxydes d’azote en leur suggérant d’acheter des véhicules neufs (censés être moins polluants … on a vu ce qu’il en était avec le test de T&E, mais aussi, sur une échelle bien plus large, avec les résultats de la TRUE initiative) et en leur fournissant les références (sites web, téléphone, …) des 3 constructeurs allemands. De quoi booster les ventes de ceux-ci. En récompense des « services » rendus à la santé humaine (services qui se chiffrent en milliers de morts par an à l’échelle européenne) ?
  • Un sondage réalisé en Allemagne a montré que, en chiffres ronds, 10% des personnes considéraient que l’action du gouvernement suite au dieselgate était suffisante et 80% qu’elle était insuffisante (10% d’indécis), ce qui constitue le jugement le plus sévère porté sur une action du gouvernement au cours des 3 dernières années.

Elzbieta Bienkowska (Commissaire européenne en charge du marché intérieur)

  • A qualifié de « immoraux » les agissements des constructeurs révélés par le dieselgate.
  • A insisté sur l’importance du « retrofit », c’est-à-dire de la mise en conformité des voitures présentes sur les routes européennes et ne respectant pas les normes d’émissions (leur nombre est estimé par T&E à 42 millions environ).
  • A souligné que les mesures de bannissement du diesel en ville (« dieselban ») punissent le consommateur en bout de chaîne mais que ce qu’il convient de faire est d’agir en amont, sur le respect des normes par les constructeurs.

Kathleen Van Brempt (députée européenne ayant présidé la Commission d’enquête sur le dieselgate)

  • Certes, le rapport de la Commission d’enquête du parlement européen est satisfaisant, mais les eurodéputés ne sont pas exempts de contradictions et éprouvent des difficultés à concrétiser leurs déclarations. Si dans ledit rapport ils appelaient à sortir de la motorisation thermique, ils n’ont pas soutenu cette mesure lors du vote sur la proposition de révision du règlement relatif aux émissions de CO2 des voitures et camionnettes neuves (Madame Van Brempt avait proposé un amendement en ce sens qui n’a pas été retenu…).
  • Il convient d’être conscient qu’un retrofit « software » (c’est-à-dire un ajustement de la programmation des dispositifs de dépollution présents dans une voiture) ne suffit généralement pas pour atteindre la conformité avec les normes ; pour cela, un retrofit « hardware » (modification des systèmes de dépollution) est très souvent nécessaire.
  • Les mesures de bannissement du diesel sont utiles au moins à titre symbolique et induisent de ce fait une réorientation du marché.

Yohana Hristova (Adjointe au Maire en charge de l’écologie, ville de Sofia)

  • Il n’est pas tant question de « jouer l’essence contre le diesel » que de questionner la place de la voiture en ville eu égard aux problèmes de santé qu’elle y induit.

Filipe Araújo (Maire adjoint en charge de l’environnement et de l’innovation, ville de Porto)

  • Si nous sommes dans une union (l’Union européenne), c’est aussi (et peut-être avant tout) pour résoudre ensemble les problèmes de santé et d’environnement.

Greg Archer (directeur « Clean Vehicles », T&E)

  • Le dieselgate n’est pas seulement un problème économique ou industriel, mais aussi politique – auquel il convient donc d’apporter des réponses politiques.
  • Il faut être conscient que les premières victimes du dieselgate sont les personnes les plus fragiles (bébés, enfants, personnes âgées, personnes souffrant de maladies respiratoires).

Tout ceci, bien sûr, rejoint les analyses déjà publiées par IEW. Derrière le scandale dieselgate se cache un monstrueux scandale sanitaire. Pour y porter remède, une action politique forte est nécessaire à tous les niveaux de pouvoir, à commencer par l’Union européenne. Cela nécessite que les législateurs européens s’affranchissent du diktat des constructeurs d’automobile. Ce qui constituerait une véritable « révolution morale » qu’il faut continuer à appeler de nos vœux avec détermination – mais avec un espoir mesuré…