Faites de la place à l’agriculture urbaine et périurbaine !

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« Quand on s’éloigne du centre et que l’on trouve des interstices (…) ou des parcelles de terre plus grandes, il est bien entendu important que cette terre soit préservée. En urbain et même périurbain, où il y a peu de place et beaucoup de gens, on doit produire avec peu de ressources et recycler. Cela contraint à de l’innovation qui peut être inspirante dans les campagnes. »

Cette réponse du ministre Borsus à la question écrite du député François Bellot (Parlement de Wallonie, session 2020-21, question écrite n°541) met le doigt sur un des enjeux de l’agriculture prise au sens large du terme : l’espace nécessaire pour cultiver, élever, stocker.

Oui, mille fois oui, « il est important que cette terre soit préservée ». Mais au-delà de la conviction encourageante du ministre, c’est d’aides concrètes que les maraîchers, les éleveurs et les candidats repreneurs ont besoin, et en particulier en milieu urbain et périurbain, pour que les interstices en question ne soient pas happés par l’immobilier. Dans le fond, c’est le même problème partout en Wallonie : on veut préserver l’agriculture, mais en même temps, au gré des permis d’urbanisme et d’urbanisation, on la prive petit à petit de son premier outil de travail, le sol.

Préserver des surfaces

Toute l’imagination du monde et toutes les technologies ne remplaceront pas le lieu où effectuer le travail agricole. Surtout si l’objectif est encourager une agriculture extensive, qui correspond mieux à la demande de produits bio et locaux, plutôt qu’une agriculture intensive de type industriel. La fonction agricole, pour l’ensemble de la région, occupe approximativement une surface de 8 500 Km², ou 850 000 ha, avec une surface agricole utile (SAU) de 730 000 ha. Le lien avec l’aménagement du territoire est extrêmement fort. L’espace rural se raréfie au profit de voiries et d’immeubles destinés à la résidence. La nécessité de stopper l’éparpillement de l’urbanisation, de stopper l’artificialisation, doit notamment servir à laisser de la place à une agriculture qui en a besoin, et qui paye cette place de plus en plus cher.

Pour venir en aide aux petites exploitations dans l’acquisition de terrains et pour aider à la reprises de fermes, la coopérative Terre en Vue a été mise sur pied en 2012. Le financement des terres se fait grâce aux parts des coopérateurs. Une fondation lui a été adjointe, ce qui augmente sa capacité à acquérir et sauvegarder des terres, en acceptant les legs et les dons. Terre-en-vue collabore avec son pendant néerlandophone De Landgenoten, actif en Flandre. C’est peu de dire que ces deux organisations sont occupées à plein temps.

Retrouver la qualité des sols

Le Rapport sur l’état de l’environnement wallon tire la sonnette d’alarme quant à la qualité des sols encore disponibles pour l’agriculture, où qu’ils soient situés. Nivelés, azotés à outrance, aspergés de pesticides, ils sont vidés de leurs micro-organismes et perdent du coup toute structure. Conséquence, les coulées de boues, tant redoutées parce qu’elles mettent à mal les habitations et les voiries, font des couches arables leurs premières victimes en les emmenant à des centaines de mètres des terrains de culture dont elles sont issues. C’est plus facile de maudire le monde agricole, que de se demander ce qu’on fabrique, à habiter si près des champs, alors qu’on n’y travaille pas.

La perte de qualité et de structure des sols n’est pas irréparable, mais il semble très coûteux de faire valoir un usage agricole, qui plus est protecteur de la biodiversité, alors que le sol se vend si bien pour construire toujours plus de logements, comme le montrent les chiffres de l’IWEPS.

Restaurer des micro-reliefs, des haies et des mosaïques d’occupation du sol, cela peut se faire aussi dans les jardins et les potagers, dans les parcs urbains, pour donner l’exemple et inspirer, tout en contribuant à la prévention collective. Il serait grand temps de remplacer dans les dardins et les parcs, les pelouses cultivées comme des monocultures, qui ne sont ni sobres ni favorables à la biodiversité. Alors pourquoi les retrouve-t-on partout sur internet pour illustrer la notion de nature ou de durabilité ? Parce que ce sont les stars du greenwashing !

Actualité et avenir des domaines périurbains

Une recherche de la CPDT, « Prévenir la mutation des domaines agricoles périurbains » est menée en ce moment par Sébastien Hendrickx, Serge Schmitz et Lauriano Pepe du Lepur (ULiège). Une première esquisse de leur travail est disponible dans La Lettre de la CPDT n°56 de juin 2021. Bonne nouvelle, le foncier utilisé à des fins agricoles dans les communes d’agglomération urbaine s’élève à plus de cinquante mille hectares. Et tous ces terrains ne sont pas en zone urbanisable, loin de là.

Selon l’estimation des chercheurs, 10 % de ces 50 000 ha sont en zone urbanisable, et 5 % en ZACC. Le reste, 85 %, est en zone non urbanisable au plan de secteur, en majorité en zone agricole. Cependant, 10%, ce n’est pas rien, cela veut dire que près de 6000 ha sont urbanisables par biais de permis. Des permis qui peuvent être déposés dans l’heure ou dans l’année qui vient, puis vont suivre une bonne petite procédure d’autorisation, pour faire surgir de nouvelles constructions, comme vous en voyez tous les jours en chantier dans votre voisinage. Les propriétaires de terrains situés en zone urbanisable, à quelques rares exceptions près, considèrent que leur situation constitue un « droit à bâtir » et un dû.

On admire de loin feu Douglas Tompkins, celui qui a « sauvé » la Patagonie de l’urbanisation (sans se soucier trop de ses habitants ni des méthodes qu’il a pu inspirer à d’autres), mais quand une personne ne veut pas bâtir sur son terrain wallon, on le lui reproche plus ou moins violemment. Dans plusieurs communes, cette « inoccupation » fait l’objet d’une taxe, comme par exemple à Tournai. Combien faudra-t-il encore d’épisodes d’inondations graves pour que l’on se rende compte que ces terrains non bâtis sont en fait des alliés et non des ennemis ? N’aurait-on pas pu s’en rendre compte dans les circonstances d’une météo plus « calme » ?

Considérons pour l’instant que ces 55 000 hectares sont toujours non artificialisés. Quelle que soit la zone du plan de secteur qui colore ces milliers d’hectares, la recherche de la CPDT souligne leur importance sociale et environnementale : « Ces gisements fonciers sont des espaces de respiration qui participent au métabolisme de la ville et offrent de nombreux services environnementaux, paysagers et économiques. » Parmi les services que le grand public redécouvre depuis une dizaine d’années,

  • la contribution à reconstruire une sécurité alimentaire,
  • la diminution des km de transports de matières premières, de denrées et de bétail
  • la valorisation des productions locales.

Cultiver du patrimoine et des délices

Comme l’agriculture rurale, l’agriculture périurbaine / urbaine fournit de l’emploi et de la valeur ajoutée. Elle a transmis des savoir-faire, créé des variétés locales et des lignées originales en élevage. Ensuite elle s’est assise dessus, un peu gênée, pendant 60 ans. La voilà qui se réveille, elle n’a plus peur d’être ou ne pas être moderne, elle sait qu’elle trouvera son public, elle sait qu’elle peut être un antidote au greenwashing, même si ça demande beaucoup de courage et d’énergie de cultiver des délices. L’interview de Maral Voskertchian, éco-conseillère, initiatrice d’un potager dans le jardin de sa colocation bruxelloise et chargée de mission à La ferme du Parc Maximilien en témoigne. Concernant les délices, le site Biodimestica, qui se consacre au patrimoine fruitier et légumier de Belgique et des Hautes de France, aime à rappeler que le Hainaut est le berceau mondial des poires actuellement commercialisées sur Terre. Qui va tenter de redévelopper l’inimitable fraise « Noire de Vottem » ?

Couthuin sur la carte de Ferraris (XVIIIe siècle). La flèche et le point rouges indiquent l’endroit convoité pour un lotissement

Malgré l’avis du Parc Naturel de la Burdinale, qui reconnaît le verger comme patrimoine historique local, le collège communal a donné un avis préalable favorable lors de la première demande de permis et a introduit le dossier auprès de la fonctionnaire déléguée.

Elimination par abandon

A côté de la menace de l’urbanisation directe, qui construit sur les surfaces agricoles, l’agriculture, qu’elle soit bio ou pas encore, subit de plein fouet les conséquences de l’urbanisation qui se développe à proximité ou à côté d’elle. L’urbanisation, sans qu’elle ait à occuper le terrain à proprement parler, peut conduire à l’abandon de l’exploitation de ce même terrain, en raison de son enclavement ou d’une cohabitation difficile avec des riverains qui veulent juste la vue sur la campagne, sans le bruit ni les odeurs, sans la boue sur les routes, sans les lumières des machines qui travaillent de nuit, sans les hangars d’entreposage ni la lenteur des tracteurs pris dans la circulation routière.

Il est plus que probable que ces mêmes riverains s’énerveront s’ils apprennent qu’une prairie à front de voirie a été divisée en trois parcelles pour construire trois maisons, ou qu’un gîte à la ferme est au programme pour assurer la viabilité de l’exploitation agricole… « Quoi ? Augmenter la mobilité dans un quartier où elle est déjà difficile ? »

Ben voyons donc, la voiture qui gène est toujours celle des autres, n’est-ce pas ?

Diversification et dénaturation

La recherche de la CPDT entend aussi mettre en lumière les stratégies de diversification. La plupart ont pour objectif la survie de l’exploitation agricole en tant que telle, par exemple par l’aménagement d’une surface de vente dans une des granges de façon à écouler la production. Il en existe d’autres face auxquelles la prudence s’impose, parce qu’elles risquent de priver l’agriculture de surfaces, tout en gardant une apparence verte. La tentation est par exemple grande de convertir des terres en prairies à chevaux, pour répondre à la demande et augmenter les rentrées.

Ces mutations, même lorsqu’elles ne concernent que quelques parcelles, contribuent au morcellement et à l’enclavement des terrains encore cultivés, ce qui rend leur exploitation de plus en plus compliquée. Il y a une véritable dénaturation à l’œuvre. Le soutien financier aux agriculteurs devrait aider à éviter ces dérives.

Benchmarking

Une partie de la recherche de la CPDT porte sur les pratiques à l’étranger. Ce « benchmarking » permettra ultérieurement au politique de choisir les mesures à mettre en place pour améliorer notre situation régionale.

Le Lepur relève ainsi le principe des PEAN en France, ou « Périmètres de Protection des Espaces Agricoles Naturels et Périurbains », qui considère comme souhaitable l’intégration de la complexité urbaine et de la complexité agricole dans un même espace. A la clé, le nécessaire endiguement de l’étalement urbain, dont il serait bon que la Wallonie s’inspire. Dans la boîte à outils du PEAN : un droit de préemption spécifique pour acquérir les terrains et parvenir ainsi à maintenir leur usage en tant que terrains cultivés, prairies ou bois. Les communes sont à la manœuvre, de concert avec d’autres niveaux de pouvoir et d’autres institutions. Une illustration parmi d’autres de cette bonne pratique que nos GAL pourraient envisager d’imiter : le PEAN de la presqu’île guérandaise, Le Périmètre de protection des Espaces Agricoles et Naturels (PEAN) – Cap Atlantique (cap-atlantique.fr)

Autre pays, autre manière de faire : au Canada, la Ville de Montréal incorpore la participation citoyenne dans l’élaboration de sa Stratégie d’agriculture urbaine 2021 – 2026 qui a pour but de renforcer le rôle de Montréal comme chef de file en agriculture urbaine, rendre davantage accessible cette pratique et assurer son développement de façon harmonieuse et durable. Aurélie Cauchie nous en parle ici.

Pas de hors-sol, svp

Revenons à la question écrite sur « L’intérêt de l’agriculture urbaine », un sujet qui passionne le ministre Willy Borsus, ainsi qu’il avait déjà pu l’exprimer en 2018, lors de la Foire de Libramont qui l’avait choisi comme thème. « Produire avec peu de ressources et recycler contraint à de l’innovation qui peut être inspirante dans les campagnes ». L’enjeu qui se profile dans la réponse du ministre est la possibilité d’une collaboration fructueuse, quel que soit le milieu géographique où les exploitations se trouvent : « L’idée n’est pas de concurrencer, mais de compléter ce qui se fait à la campagne ». Des contraintes rencontrées par les exploitations urbaines et périurbaines naissent des solutions qui peuvent servir au milieu agricole dans son ensemble. « L’agriculture urbaine ne peut se résumer à de l’indoor farming. Je préfère parler de l’agriculture urbaine et périurbaine. Le périurbain est propice à la culture [de] pleine terre tout comme à la campagne. »

Soupir de soulagement en constatant que la serre ultra technologique et le hors-sol ne sont pas brandis comme des trouvailles capables de résoudre l’équation de la souveraineté alimentaire. La Belgique restant l’un des pays d’Europe avec la plus haute densité de bétail, il est réjouissant de constater que le ministre ne voit aucun inconvénient à ce que l’élevage de plein air puisse se perpétuer à proximité immédiate des quartiers urbanisés. Dommage qu’il n’inclue pas dans le raisonnement la suppression des produits phytos sur les terrains cultivés, l’occasion était belle, pourtant.

Puisque le député François Bellot l’interroge sur les types de projets soutenus par la Wallonie, et que Willy Borsus répond en énumérant dans le détail les projets concernés, c’est sa liste qui sert de base à l’encadré ci-dessous. Quelques unes de ces entreprises se visitent. Pourquoi ne pas proposer à votre CCATM d’aller découvrir leurs activités de plus près ?

  • Le Centre de Recherche en Agriculture urbaine de l’Université de Liège Gembloux Agro-Bio Tech via la spin off Green Surf, est particulièrement actif dans le domaine de l’agriculture urbaine.
    1. Système BacUp. Avec plus de 150 bacs potagers installés sur les toits et au pied de divers bâtiments à Bruxelles, à Gembloux et à Mons. https://www.gembloux.ulg.ac.be/agriculture-urbaine/greensurf/
    2. Plateforme «  WASABI ». Cet outil pédagogique a pour vocation de familiariser ses usagers avec de nouvelles formes d’agriculture urbaines et périurbaines. https://www.green-surf.com/references/wasabi-plateforme-de-recherche-et-de-demonstration/
    3. SMART AQUAPONICS. Fruit d’une coopération France-Wallonie-Flandre. A ce jour, deux projets en aquaponie ont été cofinancés, l’un sur la valorisation innovante des effluents de pisciculture par la méthode aquaponique. (Gembloux Agro-Bio Tech – ULiège – Professeur Haïssam Jijakli), et l’autre, « AquaLoci », développement d’un pilote d’aquaculture intégrée associé à un circuit court de distribution.https://www.smart-aquaponics.com/
    4. GROOF (Greenhouses to reduce CO2 on roofs), ou des serres sur les toits pour réduire le CO2.  https://www.facebook.com/GROOFproject/photos/a.469845736832758/611664525984211.
      NB : Camille Heben – qui avait participé au Décodage de Leuze-en-Hainaut en 2020, peut être contactée chez Green Surf, si vous souhaitez de plus amples informations sur les projets menés : c.herben@green-surf.com
  • L’UCLouvain encadre des recherches sur le sujet (avec e.a. Olivier de Schutter, Julie Hermesse, Eric Lambin).
  • La Région wallonne cofinance plusieurs projets de recherche d’envergure internationale. Le ministre Borsus n’en a cependant pas donné plus de détails.
  • Des couveuses d’entreprises comme CREaFarm mettent à disposition de candidats des terrains communaux.Bien implantée en Flandre, l’incubateur lance des appels à projet à Liège (Rocourt) et à Tournai, entre autres.
  • Le projet « Verdir » de l’ULiège à Herstal, cofinancé par le FEDER et la Wallonie, au sein du plan « Green life », pour la réhabilitation d’une friche industrielle en bord de Meuse, consiste à aménager entre autres des aires de culture destinées à alimenter un circuit court de distribution, mais aussi une pépinière de containers « Smart Box » pour l’extraction de molécules destinées aux biotechnologies.(Le commentaire d’un citoyen, plutôt sceptique sur la pertinence du projet)
  • Le ministre évoque des projets professionnels hors-sol : « ceux portés par un producteur wallon spécialisé en plantes aromatiques en pots, un producteur de tomates sous 7 ha de serres et un couple d’agriculteurs utilisant la chaleur résiduelle de leur unité de cogénération pour produire des tomates sous 1 ha de serres. »
  • Après ce tour d’horizon des initiatives sommes toute dépendantes de la technologie et de l’investissement entrepreneurial,, Willy Borsus cite des projets avec une finalité sociale :
    1. les Ceintures Alimentaires, qui ont vu le jour à Liège, Charleroi, Ath, Verviers, Tournai, et dernièrement à Namur. « Favoriser ces ceintures alimentaires fait partie des objectifs de la Wallonie via la DPR. »
    2. L’ASBL « Nos Oignons » organise dans le Brabant wallon des ateliers collectifs hebdomadaires de jardinage en entreprise agricole, sous la forme d’un échange de services.
    3. L’appel à projets « Verdissement des places publiques » lancé en 2017 par la Wallonie, a permis à 32 communes d’installer des potagers communautaires et de planter des vergers.(Il est regrettable que le MAINTIEN des vergers ne soit pas au programme. Peut-être sera-ce incorporé dans la prochaine édition ?)
    4. En clôture de liste, la coopérative citée au début de cet article : «  Terre en vue met à disposition des terrains agricoles pour les candidats maraîchers. »

Je suis sur ton balcon

Le ministre poursuit en accueillant d’un très bon oeil les initiatives individuelles à petite échelle : « Il y a beaucoup de mouvements de citoyens qui cultivent sur leur balcon, en intérieur d’îlots. Tous ces mouvements et d’autres font redécouvrir la production agricole et plus particulièrement la production horticole. » J’ai pu récemment le vérifier, lorsque ma voisine m’a demandé de l’aider à identifier une grosse plante verte sur sa terrasse. C’était une bette à carde, que j’avais semée au printemps, en arrosant ses bacs. « – Woah, elle a super bien donné. Tu peux la manger. Prends d’abord les feuilles extérieures et elle continuera à produire ». Elle a eu du mal à me croire. Une bette, aussi belle et aussi bonne qu’au magasin, sur son toit-terrasse en pleine ville ? Et à laquelle elle n’avait prodigué aucun soin particulier ? L’étonnement face à la facilité fait voler bien des obstacles ; je ne serais pas étonnée qu’elle se mette à vouloir faire pousser d’autres légumes. Si ma voisine s’y met, tout le monde s’y met.

L’histoire du micro-potager clandestin et involontaire n’est pas là pour l’anecdote. Elle est là pour souligner par contraste l’âpreté des conditions pour que le travail agricole débouche sur des produits utilisables. Tel un restaurant qui emploie une seule personne, une exploitation ne se quitte pas à la mi-journée pour revenir deux jours plus tard. Ce n’est pas un laptop qu’on prend avec soi, ni une bande de collègues sympas qui savent se débrouiller sans vous. La dureté du travail et le fait d’être tributaire de la météo ont découragé beaucoup d’enthousiastes. L’élevage, les cultures et le maraîchage professionnels, quelles que soient leurs dimensions et leur emplacement, sont suspendus aux fluctuations du marché. C’est pourquoi le récent vote de l’Europe sur la Politique Agricole Commune laisse une impression très désagréable d’occasion manquée.

Quelques propositions

En conclusion, voici quelques propositions pour laisser un espace de qualité à l’agriculture urbaine et périurbaine :

  • Moratoire sur la construction d’immeubles, sur la destruction des vergers et des cultures, sur la revente à l’immobilier, de façon à garantir de l’espace pour les terrains agricoles en ville, en périphérie et à la campagne.
  • Sensibilisation de tous les publics à l’importance d’un sol en bonne santé.
  • Mise en place et maintien, dans le tissu bâti existant, de halles de producteurs, de marchés couverts, de marchés de plein air. Arnaud Tandt, de FEBELCEM – InfoBeton, nous donne sa description du FOODmet d’Anderlecht, installé au Marché des Abattoirs.
  • Mise en place, dans le tissu bâti existant, d’installations de transformation à usage collectif pour valoriser les produits : saloirs, séchoirs, pressoirs, extracteurs, etc. Ce serait par exemple judicieux d’installer un pressoir sur le site du Val Saint-Lambert à Seraing, puisque le Bois du Val est en partie composé d’un ancien verger qui contient encore des pommiers de variétés anciennes. Cela pourrait encourager les riverains à entretenir leurs arbres, sachant qu’un exutoire existe pour valoriser leurs excédents de récolte.

Diffusion auprès de nouveaux publics d’informations sur la situation des exploitations et des familles qui en vivent. Il est en effet urgent d’associer les habitants à la réflexion sur l’agriculture urbaine et périurbaine. Qu’elles se trouvent à la lisière des territoire urbanisés comme à Lantin ou à la limite entre Liège et Beyne-Heusay, ou juste à côté de la gare comme à Leuze-en-Hainaut, mieux connaître les parcelles et leurs exploitants peut susciter des vocations, des aides financières et des coups de main bénévoles.

Leuze-en-Hainaut, où I’arrivée en gare se fait le long des champs. Le noyau urbain, coupé par le chemin de fer, ménage depuis toujours un vaste espace inondable entre la Nationale 7 et les rails. Selon les années, il y a une rotation sur ces parcelles à usage agricole : pâture, pré de fauche, cultures. IEW a organisé un Décodage de terrain à Leuze en 2020 et 2021

Documentation

  • La dernière édition de « Espace Vie » rend compte de ce problème particulièrement aigu en Brabant wallon : « Comment les agriculteurs brabançons tentent de résister à la pression foncière ? », Espace-vie n°305 – Décembre (mailchi.mp) https://mailchi.mp/ccbw/espace-vie-303-juillet-10397881?e=ef627de14e
  • Rem Koolhaas, architecte, urbaniste et concepteur, entraîne dans chacune de ses recherches sur notre monde un énorme bureau de collaborateurs et un très large public. Il a été invité par le Guggenheim Museum de NY à se pencher de la ruralité et de l’agriculture. En a résulté « Countryside, the Future » une exposition au Guggenheim, en 2020. https://www.youtube.com/watch?v=87_dtBWL2ZA&t=33s
    « Countryside, a Report » a été publié par Taschen dans un petit format illustré qui inclut les nombreuses questions existentielles posées par l’exposition. Je vous en cite quelques unes, reliées au thème de cette « Échelle Humaine n°7 » : « La disparition des vaches, était-ce planifié ou juste une conséquence ? » – « Pour chaque vache qui a disparu, une nouvelle résidence secondaire ? » – « Pourquoi avons-nous produit une génération qui n’a jamais trébuché sur une bêche, ne connaît pas la taille d’un cochon, ni la force d’une brebis ? » – « Les plantes doivent-elles désormais grandir dans une Smart City ? »
  • « La Nature comme partenaire de la ville autonome : quelle place pour l’agriculture urbaine et les énergies renouvelables ? » était le titre d’un atelier animé par IEW lors de la 2ème édition du colloque international sur la ville de demain, « LINKING CITIES, l’avenir des villes au 21ème siècle ! », organisé par le CEPESS le 30 novembre 2016 à Louvain-la-Neuve. Internet ne semble pas avoir gardé une trace exploitable des actes de ce colloque ; je vous renvoie dès lors à des courtes vidéos sur l’actualité récente des trois orateurs en lieu et place des exposés de Haïssam Jijakli (Gembloux Agro-Bio Tech,Département GxABT, interview sur l’agriculture urbaine lors de la Foire de Libramont 2018), Jean-Patrick Scheepers (Peas and Love, exposé en anglais sur son entreprise de potagers urbains) et Marc Frère (Institut de l’Energie, UMons, présentation de son département de recherche).
  • « Penser la ville par le paysage », une conférence de Michel Corajoud. https://www.youtube.com/watch?v=02cJmVd6oUE Michel Corajoud s’est intéressé à la ville sur ses bords. Il circule entre la grande ville (Paris) et les terres agricoles autour des communes périphériques. Il estime qu’il y a possibilité de réintroduire, en bordure des villes, des lieux où la campagne se redéveloppe. Et pourquoi pas jusqu’au cœur des villes, si on pousse encore son idée plus loin ? Il évoque les murs à pèches de Montreuil, qui formaient un système de parcellaire, avec des cailloux et du plâtre trouvés sur place. Les arbustes étaient attachés via des bandes de tissu sur les murs qui leur restituaient la chaleur. On peut encore en voir sur le Plateau Saint-Antoine à Montreuil. En 2006, 17 km de murs fortement dégradés subsistaient, sur les 600 km initiaux. L’association Murs à pêches tente de les sauvegarder https://mursapeches.blog/.
  • Deux chansons pop anglaises irrésistibles :
  • Chaque numéro d’Echelle Humaine se termine par un ou deux petits films. En voici cinq d’un coup, à regarder et partager autant que vous voulez :

Ce numéro 7 d’Échelle Humaine, consacré à l’agriculture urbaine et périurbaine, est dédié à Pierre Rabhi, qui vient de quitter son champ à l’âge de 83 ans. https://information.tv5monde.com/video/france-pierre-rabhi-est-mort