FEBIAC, ou la manipulation fiscale

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Le 22 janvier 2014, profitant de l’attention (pour ne pas dire obsession) médiatique associée au Salon de l’auto, la FEBIAC dévoilait son dernier brûlot relatif aux politiques publiques de mobilité. Sobrement intitulé « Les usagers de la route veulent des alternatives réalistes en lieu et place d’une politique auto-dissuasive », le texte publié par la fédération automobile ne fait pas, selon l’expression consacrée, dans la dentelle[Les documents sont téléchargeables sur [le site de la FEBIAC ]].
Sans entrer dans les détails de l’étude menée par Dedicated pour le compte de la FEBIAC et de Touring ni de l’utilisation qui en est faite, nous aimerions partager ici quelques émotions nées de leur lecture.

Du bon usage des pourcentages

La première phrase du texte de la FEBIAC est pour le moins habile : « 52% estiment toujours la voiture comme le moyen de transport le plus rapide pour se rendre au travail, 35% jugent les transports publics inadéquats ». Ces pourcentages impressionnants, assénés avec force d’entrée de jeu, n’invitent guère le lecteur à se demander « 52% de quoi ? ». Mieux, si l’on peut dire : la formulation adoptée amènera nombre de celles et ceux qui se seraient interrogés à conclure qu’il s’agit de 52% de la population belge. Or, l’institut de sondage s’adresse clairement aux personnes qui utilisent leur voiture pour se rendre à leur lieu de travail ou à leur destination habituelle (soit 760 personnes sur les 1000 interrogées). Ce « détail » de forme ne serait rien si, dans le même paragraphe, la FEBIAC ne présentait des résultats obtenus sur l’échantillon de 1000 personnes sans transition et sans préciser la différence dans les référentiels (voir le paragraphe « du sens du raccourci » ci-dessous).

Il convient de noter également que Dedicated demandait « Pour quelles raisons utilisez-vous la voiture plutôt qu’un autre moyen de transport ? » en invitant les répondants à citer les trois raisons principales. Ainsi, 52% des personnes visées citent la rapidité de la voiture (proposition : « c’est la manière la plus rapide de me rendre à mon travail ») – elles étaient 31% en 2001. Mais si l’on rapporte les chiffres au total des avis exprimés, on se rend compte que la rapidité de la voiture représente 18,7% des avis exprimés en 2013 (52 sur 278), ce qui est assez proche des 15,9% (31 sur 195) exprimés en 2001. La manière de présenter les chiffres, comme on le voit, n’est guère anodine.

Enfin, si la rationalité (la voiture est plus rapide) semble tenir le haut du pavé avec ses 52%, la subjectivité n’est guère moins bien lotie : si on additionne les 37% de « je trouve la voiture plus confortable », les 15% de « j’aime rouler en voiture », les 9% de « ça me permet d’écouter de la musique/les informations » et les 8% de « c’est un moment où je décompresse », on obtient… 69%.

Du sens du raccourci

Dans la deuxième partie de sa phrase, la FEBIAC souligne que « 35% jugent les transports publics inadéquats ». Cette inadéquation fait en fait référence à la proposition « les connexions en transport en commun sont mauvaises ou insuffisantes ». La juxtaposition des deux chiffres (52% et 35%) fait dire à la FEBIAC. « C’est la raison pour laquelle 59% des usagers trouvent qu’il faut avant tout investir dans l’optimisation du réseau routier existant et 53% dans les transports publics ». Cette relation de causalité identifiée par la FEBIAC, qui n’apparaît pas directement dans les résultats du sondage de Dedicated, est la preuve d’un beau sens du raccourci dans le chef de la fédération automobile. Elle fait aussi l’impasse sur une autre raison potentielle au fait que 59% des personnes interrogées se prononcent en faveur d’une optimisation du réseau routier : la manière de poser la question.

De l’art d’interroger

Nous le savons tous : la manière dont est posée une question peut, inévitablement, influer sur les réponses données. A titre illustratif, en matière d’évaluation des différentes mesures pour améliorer la mobilité et l’environnement, l’une des propositions soumises aux répondants est « afin de limiter le nombre de camions sur les routes, permettre la circulation des eco-combis ». Derrière cette appellation verdoyante se cache en fait le concept de VLL (véhicule plus long et plus lourd), véhicule de 25,25 m de long et 60 tonnes (contre 18,75 m et 44 t actuellement). Or, il existe un risque important que, du fait de la diminution du coût du transport routier induite par l’usage de ces véhicules (avec la même main-d’œuvre, on transporte près de 50% de plus), les VLL induisent une augmentation des volumes transportés par la route et aucune diminution du trafic. En commençant la question par « afin de limiter le nombre de camions sur les routes », on influence inévitablement les répondants.

« L’Etat collecte en moyenne chaque année 15 milliards d’Euros (soit 4% du PIB belge en 2012) en taxes sur les voitures et sur les automobilistes. D’abord, connaissiez-vous l’importance de ce prélèvement? ». Telle est la première question posée sous le titre « La réaffectation des taxes collectées sur l’automobile ». Ce chiffre, bien sûr, interpelle et conforte l’automobiliste dans l’idée reçue qu’il est « la vache à lait de l’Etat ». Il s’agit en fait d’une idée fausse, comme nous l’avons déjà démontré à de nombreuses reprises[Voir par exemple la fiche 12 de la brochure « [12 idées reçues sur la voiture » ou la page 13 du dossier « Taxer plus, taxer mieux »]] et comme le soulignait en 2009 la Section « Fiscalité et parafiscalité » du Conseil supérieur des finances : « Dans ces conditions domination de la route], il n’y a rien d’étonnant à ce que les coûts externes du transport soient importants. Ils sont supérieurs à la fiscalité sur le transport, même dans une acception large de celle-ci (TVA incluse) et dans une acception étroite des coûts externes (hors accidents)[[Conseil supérieur des finances, Section fiscalité et parafiscalité : [La politique fiscale et l’environnement, septembre 2009]] ». Mis en condition par cette première question, les répondants auront bien sûr tendance à privilégier les propositions visant à « rendre aux automobilistes ce que l’Etat leur a pris ». Citée par 59% des 1000 personnes interrogées, la proposition « l’entretien et l’optimalisation des routes existantes » arrive en effet en tête des propositions les plus citées. Obtiennent également de bons score la construction d’une bande supplémentaire sur les autoroutes et rings les plus chargés (35%), la construction de ce qu’on appelle les chaînons manquants routiers (33%), …

De l’importance de la comptabilité

Un examen un peu attentif des statistiques de la FEBIAC[Consultables ici : [http://www.febiac.be/public/statistics.aspx?FID=23&lang=FR]] nous apprend que les 15 milliards de « productivité fiscale des voitures » auxquels il est fait référence dans le sondage sont obtenus en ratissant tous azimuts. Des accises sur les carburants aux droits de douane en passant par les taxes sur les primes d’assurances, FEBIAC, emportée par son élan, fait même un détour par… les cotisations de solidarité sur les voitures de société. Or, celles-ci relèvent clairement de la fiscalité sur le travail – et non sur la mobilité. En effet, la voiture de société constitue un « avantage de toute nature » (ATN) attribué en tant que rémunération extra-salariale. La cotisation de solidarité a été mise en place pour compenser (très) partiellement le fait que la cotisation sociale (32% du salaire brut versés par l’employeur à l’ONSS) n’est pas prélevée sur les voitures de société. Le manque à gagner de l’Etat, compte-tenu de la cotisation de solidarité, est de l’ordre de 1 milliard d’euros par an[Pour le détail des calculs, se référer à l’annexe 1 du dossier « [Voitures de société : oser la réforme ! »]]. Intégrer, dans ces conditions, la cotisation de solidarité dans la « productivité fiscale des voitures » relève pour le moins d’une vision… particulière des choses.

De l’art de communiquer

Dans ses conclusions, la FEBIAC fait référence – sans les détailler – à des « mesures auto-dissuasives menées ces 15 dernières années ». On peut légitimement se demande à quoi fait allusion la fédération automobile. Aux six cents millions d’euros de primes à l’achat de véhicules peu émetteurs de CO2 octroyées par le pouvoir fédéral entre 2007 et 2011 ? Au maintien d’une taxe de mise en circulation (TMC) parmi les plus basses d’Europe[Voir le [benchmarking européen publié en septembre par IEW ]] ? Peut-on réellement parler de mesures auto-dissuasives alors que, en 2011, on a immatriculé en Belgique 51 voitures pour 1000 habitants contre 39 en Allemagne et 33 en France[Calculs IEW sur base des données de l’ICCT : [European vehicle market statistics pocketbook 2013 ]] ?
En cette période pré-électorale, la communication de la FEBIAC, non décryptée, risque évidemment – c’est là son objectif – d’engendrer certaines prises de position très favorables aux demandes de la fédération automobile.
Puisse la présente petite analyse aider les femmes et les hommes politiques à poser un regard objectif sur la communication de la FEBIAC.