Finances communales : attention aux recettes faciles

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Dans les communes, c’est rarement l’opulence. Quand, de surcroit, la crise économique sévit, le grand argentier des communes flanche et les transferts nord/sud se tarissent, elles tremblent. Grand est alors le risque de prendre les pires décisions souvent camouflées en (fausses) bonnes solutions. Pensons à l’équation davantage d’habitants = davantage de ressources. Est-elle toujours gagnante si on y intègre les coûts de la désurbanisation, et en particulier les coûts d’investissement et de fonctionnement des transports et des services collectifs ?

Les conseils communaux sont en passe d’être renouvelés suite aux récentes élections. Des mini séismes aux confortables reconductions, plusieurs milliers de femmes et d’hommes signaient pour un bail de six ans. Au sein des compétences à assumer, celle de l’aménagement durable du territoire communal est loin d’être mince. Face à des enjeux majeurs – explosion de la mobilité, mitage du territoire, érosion de la biodiversité, diminution de la surface agricole… – et dans un contexte socio-économique des plus tendus, rarement législature communale ne se sera ouverte sous d’aussi sombres auspices.

La question budgétaire reste complexe et constitue souvent le nerf de la guerre. Avec des moyens aussi maigres, nos édiles pourraient se laisser tenter par des « recettes faciles ». Mais attention, malgré les apparences, une recette est rarement aussi « facile » qu’elle n’en a l’air. Et peut-être particulièrement en matière de finances communales où toute recette présente en fait des coûts induits qui peuvent se révéler des plus conséquents. Et ceci est encore plus vrai de certaines recettes. Brève démonstration.

En quoi consiste le budget d’une commune ?

Le budget d’une commune wallonne, c’est un ensemble de postes budgétaires (petite enfance, environnement, espaces verts, jeunesse, travaux publics…) équilibré par un complexe système de recettes. Dans ce délicat exercice d’équilibrage financier, un principe préside : les dépenses de fonctionnement ne peuvent être financées par l’endettement, au contraire des dépenses d’investissement.

La figure qui suit réprésente ce en quoi consistaient en 2011 les recettes d’une commune wallonne type (source : Union des Villes et Communes de Wallonie).

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– RECETTES PROPRES = 10 % DES RECETTES

Pour l’essentiel, des recettes financières (au travers de Belfius, ex-Dexia, par exemple), des prestations de services à des privés et entreprises (le ramassage des ordures), des dividendes sur le gaz et l’électricité (les impétrants paient des droits pour occuper le sol/sous-sol communal), et puis, des ressources directes liées au patrimoine communal immobilier, forestier, aqueux (Chaudfontaine ou Spa, par exemple).

– DES FONDS ET DES SUBSIDES = 41,2 % DES RECETTES

Le Fonds des Communes constitue la généreuse tentative des pouvoirs publics de rééquilibrer les lourds déséquilibres socio-économiques existant entre les 262 communes wallonnes. En 1880 la création du fonds visait à compenser la disparition de l’octroi ; son ambition a donc nettement évolué par la suite. Son mode de calcul a plusieurs fois été revu, ceci dans le but de rectifier certaines anomalies de la fiscalité communale : disparités fortes entre les revenus moyens des habitants entre communes ; services rendus par les grandes villes (écoles, hôpitaux, police, mobilité) aux communes de leur hinterland ; étendue variable des réseaux à entretenir ; rôle institutionnel à remplir (chef-lieu de province).

Les subsides consistent en un ensemble de budgets régionaux, mais aussi fédéraux ou européens, qu’une commune peut solliciter pour remplir telle ou telle mission. Leur attribution dépend d’un ensemble de facteurs pas toujours des plus limpides pour les communes.

– UNE FISCALITÉ = 48,2 % DES RECETTES

La fiscalité d’une commune est constituée, pour une petite partie, par les taxes locales. La commune les décide de manière autonome dans l’objectif de cadrer le développement d’activités données, et ce faisant, en profite financièrement. Les activités ciblées sont souvent très spécifiques à des réalités communales particulières : golf, débits de boissons, terrasses de café, logements inoccupés, hôtesses. Malgré leur importance réelle dans le budget de certaines communes, les taxes communales ont un poids relativement marginal par rapport aux deux poids-lourds de la fiscalité des communes : les additionnels à l’IPP (impôt des personnes physiques) et les centimes additionnels au PRI (précompte immobilier).

L’impôt des personnes physiques est l’impôt dû au droit des revenus du travail. Il est fédéral et suit en ce sens le même mode de calcul dans les trois régions. Celui-ci prévoit une dose de progressivité (plus le salaire est élevé, plus le taux de l’impôt l’est), mais plafonnée. C’est sur cet IPP que les communes ont la possibilité de prélever des additionnels. Les communes s’arrogent donc un pourcentage de l’impôt dû par leurs résidents pour leur travail (que celui-ci ait lieu ou non dans la commune, dans la région), mais ceci sans intervenir sur son mode de calcul. Ces additionnels varient en Wallonie entre 5 et 10 points selon les communes.

Le précompte immobilier est l’impôt dû à la Région au droit de la propriété immobilière. Il équivaut à un pourcentage du revenu cadastral (RC). Le RC correspond au revenu potentiel qu’aurait rapporté un bien à son propriétaire pendant un an si ce bien avait été en location. Rappelons un détail piquant qui a son importance : le revenu cadastral a été évalué pour la dernière fois en Belgique en 1975. La fiscalité immobilière continue donc à fonctionner comme si 40 ans ne s’étaient pas passés, comme si le marché de la location n’avait pas évolué. Au précompte immobilier, les communes ajoutent des centimes additionnels par euro d’impôt de base. Par exemple 100 centimes additionnels est égal à une taxation additionnelle de un euro pour chaque euro de précompte immobilier.

La tentation de la « recette facile » : le « plus d’habitants, plus de moyens »

Pour mener les politiques promises aux électeurs à l’occasion de récentes élections, ou bien, plus prosaïquement, pour se maintenir à l’équilibre budgétaire, beaucoup de communes désireront augmenter leurs recettes. Mais on aura vite compris que les solutions laissées aux communes ne sont pas légion.

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La périphérisation de l’habitat faible densité autour de Tournai (Bing)

Les recettes propres ne peuvent que très difficilement bouger. L’enveloppe « fond des communes » est plus ou moins fixe. Les subsides, on peut en réclamer plus, mais la réussite de la démarche est toujours incertaine. Des taxes communales, on peut en créer de nouvelles, mais leur gestion génère des coûts administratifs non-négligeables et elles peuvent déplaire aux contribuables ciblés. Restent les deux poids-lourds des budgets communaux : les additionnels à l’IPP et les centimes additionnels au précompte immobilier.

Dans un climat fortement concurrentiel, une commune rechigne à augmenter ses ressources, en jouant sur ses additionnels à l’IPP ou au précompte immobilier. Peur de faire fuir des investisseurs potentiels, peur de perdre en attractivité. Une commune préfère souvent ne pas augmenter le niveau de ses additionnels, ou en tout cas, le faire le moins possible et, quitte à le faire, le faire en parallèle avec les communes voisines (concurrentes ?). Le tout est à éviter à l’approche d’échéances électorales (cf. les travaux de Christian Valenduc sur l’hystérèse électorale des additionnels communaux wallons).

Unique solution restante pour redresser, tout de suite, les finances, du moins en apparence : l’arrivée de nouveaux contribuables dans la commune. Sans augmenter la pression fiscale, et donc sans attenter à l’attractivité de la commune – du moins de prime abord, et à considérer qu’un environnement dégradé n’écorne pas l’attractivité… –, l’arrivée de nouveaux habitants, en augmentant le nombre de contribuables, peut accroître assez nettement les recettes d’une commune.

Mais quid des coûts de la désurbanisation ?

Reste que dans cette option, la commune ne prend peut-être pas en compte tous les facteurs. Ainsi, elle appréhende souvent mal la matérialisation physique de l’augmentation espérée des revenus liés à l’IPP et au précompte immobilier. Souvent, la dichotomie est grande entre la décision budgétaire – augmenter les revenus liés à l’IPP et au précompte immobilier – et la matérialisation physique de la décision – davantage de maisons, en définitive. Matérialisation physique, qui au-delà même de toutes considérations environnementales – urbanisation en ruban, périphérisation de l’habitat, érosion de la biodiversité, mitage de la surface agricole –, constitue un surcoût important pour la collectivité, en matière d’infrastructures de transports et de services collectifs, au niveau des réseaux et des dessertes : routes, transports publics, trottoirs, égouts, canalisations, ramassage scolaire, tournée des facteurs, rondes de police, épandage de sel sur les routes (cf. les travaux de la CPDT sur les coûts de la désurbanisation).

Ces coûts seront d’autant plus élevés que le développement de l’habitat se poursuivra à un haut niveau de dispersion, laquelle dispersion constitue la tendance lourde suivie depuis plusieurs décennies en Wallonie, et qui par exemple donne aujourd’hui en moyenne 290 m² de superficie résidentielle à chaque habitant (Julien Charlier, IWEPS). Considérable, catastrophique environnementalement, et tellement dispendieux budgétairement.

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L’urbanisation en ruban autour de Braine-le-Comte (Google Earth)

Les autorités communales prennent d’autant moins conscience de ces impacts budgétaires et environnementaux, qu’ils poursuivent, têtes brulées, ce qui s’apparente souvent à une vraie « chasse aux habitants » (Jean-François Husson). Tout y est rendu possible pour draguer un maximum de ménages dans leur localisation résidentielle et rencontrer au mieux les aspirations profondes du Belge au niveau du choix de vie : le grand jardin, au centre de la parcelle la maison dont on peut faire le tour, les commodités de la voiture. La liberté, quoi !

Pour la commune, cela passe généralement par différentes mesures de séduction, un travail sur l’image, et surtout, la mise à disposition de toujours plus de terrains viabilisés et accessibles facilement en voiture. Ce qui implique souvent des changements d’affectation de terrain, ou encore des activations de ZACC (zones d’aménagement communal concerté).

Un jeu éminemment dangereux. Dangereux, car il risque, à terme, de fragiliser encore davantage les finances communales, en y augmentant les charges de fonctionnement. En conséquence, et face à une nécéssité incontournable d’avoir à faire des économies, la commune pourrait être contrainte au rognage de ses services publics. Dangereux, car il implique une dégradation encore plus importante de l’état de l’environnement wallon, passablement sous pression, remettant ainsi durablement en cause l’éventuelle poursuite d’un développement territorial… durable.

Autant de raisons qui font de la question des finances communales une question cruciale dont doit se ressaisir au niveau régional. Le système doit être revu dans sa globalité. Les communes doivent être remises à flot. Et la dégradation de leur environnement ne doit plus être une variable pour le permettre.