Haro sur les agrocarburants !

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Ce n’est un secret pour personne, le discrédit entourant le développement des agrocarburants prend une ampleur rarement atteinte. Plus une semaine ne se passe sans qu’une étude ne vienne apporter de l’eau au moulin d’un moratoire sur leur développement. Pourtant du coté de la Commission européenne et des États-Membres, le discours n’a pas l’air de changer radicalement. Au plus, voit-on quelques appels à la réflexion.

Un lobby intense

Les fausses bonnes idées ont parfois la vie longue. Et quand elles sont soutenues par de puissants lobbys, elles sont plus tenaces encore… Pour les agrocarburants, nous avons affaire au fin du fin: rien moins que les réseaux très actifs de la phyto-pharmacie et du génie génétique, de l’agriculture, du secteur automobile et des pétroliers! Soit, les lobbys les plus présents et les mieux huilés au sein de la Commission et des États-membres.

Une critique qui s’élargit et s’étaye considérablement

Du côté de la critique, on assiste non seulement à un accroissement du nombre d’acteurs, mais aussi à une diversification de ceux-ci. Après les ONG, ce fut le tour des grandes organisations internationales, tirant la sonnette d’alarme et appelant à plus de prudence : l’OCDE en tête, la FAO, le PAM, … Depuis peu, ce sont les scientifiques qui apportent leurs contributions à ce débat. Et ils se font entendre jusque dans des revues « prestigieuses ». Dernièrement, un article paru dans la revue « Science » démontre que l’utilisation de terres de culture aux États-Unis pour la production d’agrocarburants augmente les émissions de Gaz à Effets de Serre (GES) du fait des changements d’affectation des sols (déforestation, conversion de praires en cultures, …) induits dans les pays tiers par le biais de la pression sur les prix. Un impact qui n’est jamais pris en compte dans les bilans de GES utilisés pour évaluer l’intérêt des agrocarburants, et qui rend leur contribution … négative au changement climatique ! Des conclusions qui sont pratiquement transposables pour tous les agrocarburants, même ceux produits en Europe, dans le contexte actuel de la flambée des prix agricoles.

Une Commission sourde

Pourtant la Commission et les 27 États-membres supportent toujours l’objectif d’incorporer 10 % d’agrocarburants dans l’essence et le diesel d’ici à 2020, mesure qu’ils considèrent positive dans la lutte contre le réchauffement global. Ce soutien est pourtant contesté à l’intérieur même de la Commission puisque le Joint Research Center vient de tirer à boulets rouges sur la politique européenne de promotion des agrocarburants, et ce, tant du point de vue environnemental qu’économique.

Des critères de durabilité inadéquats

La directive permet cependant de limiter l’incorporation des agrocarburants disponibles sur le marché aux seuls agrocarburants bénéfiques du point de vue environnemental, en terme de GES notamment. Mais il n’est évidemment pas question de prendre en considération les GES produits par les changements d’affectation des sols induits dans les pays tiers par l’augmentation des prix agricoles…
Une véritable politique de l’autruche… Le bilan, en terme de réchauffement climatique, restera négatif tant que ces changements d’affectation persisteront. Mais ceux-ci sont incontrôlables car induits, partout sur la planète, par l’augmentation des prix agricoles. La terre est finie, il est urgent de s’en rendre compte. Ce phénomène préexistait cependant au développement des agrocarburants qui n’a fait qu’amplifier la demande de produits agricoles existante (consommation croissante de viande au Sud, augmentation de la population mondiale, sécheresses répétées dues aux changements climatiques, …).

Mais la liste des effets pervers ne se limite pas au seul GES, l’environnement, la biodiversité, les droits humains, l’accès à la terre sont bafoués au Sud pour produire ces agrocarburants. Sur le seul plan de la biodiversité l’OCDE est d’ailleurs des plus pessimiste dans son rapport « perspectives de l’environnement de l’OCDE à l’horizon 2030 » notamment du fait du développement des agrocarburants.

Des politiques sortent du bois

Dernièrement, un comité de la Chambre des communes en Grande-Bretagne s’est prononcé contre les agrocarburants. Un avis suivi par le gouvernement britannique qui vient de lancer une étude de grande envergure sur la question. Une telle prise de position n’est cependant pas si étonnante que cela dans le chef de la Grande-Bretagne, dont le gouvernement est traditionnellement assez sourd aux appels de son lobby agricole et plutôt engagé sur le dossier climatique. Même l’Allemagne, leader européen en matière d’agrocarburants va modérer ses ardeurs et s’est engagée à prendre en compte leur bilan en terme de GES pour être rassurée sur le fait qu’ils contribuent bien à la protection de l’environnement.

Un moratoire internationnal !

Faudra-t-il attendre une nouvelle poussée des prix agricoles et alimentaires pour mettre en cause la production d’agrocarburants ? Ou alors, les études récentes permettront-elles de remettre les enjeux climatiques au coeur du débat ?

Les enjeux climatique et de sécurité alimentaire induits par le développement des agrocarburants sont tels, dans des marchés complètement libéralisés, qu’il faudra rapidement en gérer collectivement les effets. En attendant, un moratoire s’impose. Sans cette mesure, demain, les objectifs de production d’agrocarburants des seuls États-Unis nécessiteront 20 % de la production mondiale de céréales soit 140 % des volumes de céréales échangés dans le monde en 2000 !

Ne manquez pas de lire, pour aller plus loin, la position d’IEW.

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité