Humble navetteur au coeur de la Gare-Cathédrale Calatrava

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L’album de Lucky Luke intitulé « Des rails sur la prairie » nous induit en erreur : le chemin de fer ne passe pas partout. Le roulement d’une roue en acier sur un rail en acier présente l’inconvénient de son avantage : peu de frottements sont synonymes de faible consommation d’énergie, mais également de glissade assurée en cas de pente trop forte. Bref, une voie ferrée, dans notre région vallonnée, ça suit les vallées. Aussi, me rendant trois fois par semaine en train de Spa à Namur, je voyage au fil de l’eau : vallées du Wayai, de la Hoëgne, de la Vesdre et enfin de la Meuse. Le tout au rythme de six trains quotidiens (trois dans chaque sens). Bref, la probabilité de rater, de temps à autre, l’une ou l’autre correspondance n’est pas nulle.

Me refusant (obstinément diront certains) à utiliser un GSM, tant pour des raisons de santé que de diminution de mon empreinte écologique (l’énergie grise et les impacts d’un GSM sur les ressources naturelles étant tout sauf anodines), il m’arrive donc de faire appel aux vestiges de feu le réseau public de cabines téléphoniques pour avertir qui de droit du fait que j’arriverai une heure plus tard que prévu. Il y a quelques semaines, le cas se présente dans la nouvelle gare des Guillemins récemment rebaptisée Cathédrale Calatrava. Coup d’oeil sur les quais, dans le passage sous voies… rien ! Tout au fond du hall, peut-être, au niveau des WC ? Nada ! Devant la gare, sous l’impressionnante « casquette » ? Que dalle ! Je me replie sur le comptoir du « travel center » pour me renseigner… les employés déçoivent mon dernier espoir. Les citoyens non équipés de leur téléphone personnel (que ce soit par choix ou par contrainte) n’ont pas ici la possibilité de téléphoner ! Est-ce là un choix conscient de la SNCB ou l’une des nombreuses particularités de ce symbole du « détournement de fonds » que constitue la nouvelle gare des Guillemins – les fonds censés servir à l’infrastructure ferroviaire ayant, en l’occurrence, été utilisés pour « offrir » à Liège une image de dynamisme ? Quoiqu’il en soit, je n’avais, jusqu’à ce jour, été confronté à telle situation dans une gare belge.

Plus récemment, de retour d’une conférence-débat organisée par IEW et ayant subi un léger retard sur la ligne 125 Namur-Liège, j’arrive à La Cathédrale Calatrava (encore récemment appelée la gare de Liège-Guillemins donc) vers minuit trente. Damned ! Le prochain départ pour Verviers est à 01h25’. Assez fatigué par une journée débutée à 06h00’, j’envisage de m’asseoir pour méditer dignement. Las ! Pas un siège dans cette gare. De fait, à cette heure où seuls sont présents trois voyageurs égarés et deux vigiles tout de rouge vêtus, dont on se demande à la sécurité de qui (ou de quoi) ils sont destinés, l’évidence éclate. Le passage sous voies qui constitue le « c½ur » de la gare est en fait une galerie commerciale. De petites cellules, situées entre les accès aux quais, occupent les flancs du passage sous voies. Au centre de celui-ci, des écrans affichent pour certains les arrivées ou départs de trains, pour d’autres des images de synthèse de l’½uvre du sieur Calatrava. Pas un siège. Pas un seul. Les quais, quant à eux, sont équipés de bancs sans dossier. La hauteur de la maintenant célébrissime verrière est telle que le vent peut allègrement y souffler. Bref, qui veut s’asseoir dans des conditions pas trop spartiates est forcé de le faire dans un des commerces de la galerie. Et donc de consommer. En-dehors des heures d’ouverture des dits commerces, la station debout est de rigueur. Service public, où es-tu ?

Face au choix cornélien de me geler le postérieur en m’asseyant sur les marches en pierre des escaliers intérieurs ou de m’exposer aux bourrasques de vent sur l’un des rares bancs des quais, je décide de faire les 400 pas (et plus) autour et alentour de la gare. Ce qui me donne l’occasion de m’approcher de la chose par le devant. Et d’apercevoir, sous les quatre ou cinq guichets du « travel center » (fermé, et c’est bien normal, à cette heure indécente) des écrans lumineux invitant les usagers à s’adresser, plutôt qu’aux employés, aux automates distributeurs de tickets. Le tour de force des banques (jeter les guichetiers, faire faire le boulot par les clients tout en augmentant le tarif des opérations), la SNCB New Age va-t-elle le réussir également ? En tout cas, elle utilise les mêmes armes. Ainsi, les fameux automates sont-ils qualifiés, par une campagne d’affichage dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne fait pas dans la délicatesse, de faciles, rapides, fiables et pratiques. Doit-on comprendre que la SNCB considère que ses employés ne présentent pas, eux, ces qualités ? Personnellement, en tant que guichetier, je prendrais très mal la chose. De plus, l’accueil par une personne humaine dans les gares constitue un élément majeur du service de transport en commun par voie ferrée.

Que conclure de ces petites aventures d’un navetteur ordinaire ? Que, malheureusement, la Gare-Cathédrale Calatrava, symbole du rail de demain, reflète une image assez inquiétante du « service public » du futur transport ferroviaire : des gares-surfaces commerciales d’aspect tout à fait impersonnel, sans accueil, sans cabines téléphoniques, sans sièges pour attendre le train à l’abri des intempéries… Triste, non?

Extrait de nIEWs (n°65, du 26/11 au 17/12),

la lettre d’information de la Fédération.

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