Il y a des jours où…

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Il y a des jours où j’ai envie tout à la fois de pleurer et de crier mon désespoir et mon dégoût. Ils me donnent la nausée, tous ces bons petits soldats du passéisme, de l’immobilisme qui apportent, l’air dédaigneux et avec le sentiment du devoir accompli, leur modeste pierre au monument d’inertie qui pèse sur nos sociétés, les empêchant d’évoluer face aux enjeux environnementaux et sociaux.

Ce lundi 26 novembre encore, assistant à un workshop sur les émissions de CO2 des voitures neuves organisé par la Commission ENVI du Parlement européen, un monstrueux haut-le-cœur m’a contraint à m’éclipser avant la fin de la séance. Visiblement indifférents à la grogne des producteurs de lait venus en masse manifester devant les institutions européennes, se trouvaient rassemblés de très nombreux représentants de l’industrie automobile (allemande en particulier) et d’industries connexes. On pouvait également voir de rares députés européens, quelques attachés et, moins nombreux encore, des représentants d’ONG et des personnes issues du monde académique. Mue par la défense d’intérêts sectoriels, l’industrie, bien que s’en défendant à grands coups de déclarations vibrantes (certains lobbyistes, super-entraînés, peuvent planter les yeux dans les vôtres et vous déclarer de manière tout à fait convaincante que l’objectif premier de toute l’industrie automobile est de produire des véhicules toujours plus respectueux de l’environnement), l’industrie, donc, restait totalement imperméable aux enjeux globaux auxquels le projet de règlement en discussion – celui relatif aux émissions de CO2 des voitures neuves – est censé apporter un modeste élément de réponse.

L’ingénierie développée pour affaiblir le projet législatif et l’argumentaire enveloppant la chose peuvent susciter une admiration purement formelle – mais ils dégagent surtout une nauséabonde puanteur. L’apport des eurodéputés se cantonnait au duel de deux Allemands, l’un manifestement mû par le souci de l’intérêt général, l’autre défendant les intérêts financiers de l’industrie allemande avec un brio juste un peu terni par sa trop grande agressivité. Perdus dans cette arène, représentants des ONG et académiques tentaient, chacun à leur manière, de rappeler que l’enjeu sous-jacent consiste en la conservation d’une planète viable. Las ! Le message passe mal, et l’emballage que l’on est tenté de lui adjoindre pour le rendre assimilable a tendance à fortement le dénaturer. Gardant fermement le cap, un professeur d’université allemand déclenchait des murmures de désapprobation au sein d’un public qui lui était majoritairement hostile. Certaines présentations sont disponibles ici.

Quel dérisoire, quel lamentable spectacle – symbolique, malheureusement, des semblants de débats qui animent nos sociétés autour des questions environnementales et sociales.

Mais merde ! Avais-je envie de hurler. C’est de l’avenir de mes enfants dont il est question ici, bande de r…, de s… (oui, ce genre d’émotions a l’avantage de nous ramener à nos motivations profondes – je reconnais que, bien égoïstement, c’est avant tout pour mes enfants que je me bats). Etes-vous seulement conscients, messieurs les lobbyistes industriels, que, pour assurer à vos actionnaires des dividendes à deux chiffres dans une perspective purement court-termiste, vous participez à rendre cauchemardesque la vie de toutes celles et tous ceux qui souffrent déjà des ravages causés par nos excès, mais également la vie future de vos enfants, de mes enfants ? Plus cinq degrés en 2100, savez-vous ce que cela signifie ? Le cauchemar absolu ! Des désastres naturels à très grande échelle, des famines abominables, des sociétés complètement déstabilisées, des conflits sociaux sanglants… C’est à cela que, petit à petit, l’air méprisant et satisfait, vous contribuez.
L’image qui me vient inévitablement en tête à ces moments est celle de ces messieurs (les femmes sont rares dans le secteur automobile) bien mis, versant chacun dans les verres de mes enfants, sur la table familiale, une petite dose du poison qui les tuera. Comment, dans ces conditions, débattre sereinement avec ces personnes, comment parvenir à maintenir le minimum de respect nécessaire au dialogue ?

Il y a des jours où l’on se dit qu’on ne peut plus, des jours où l’on a envie de tout laisser tomber. Puis on pense à ces 300.000 morts annuelles déjà causées par les changements climatiques, on pense à toutes les victimes, directes et indirectes, du système automobile, on regarde ses enfants – et l’on repart gaillardement sur son blanc destrier, ravalant son dégoût, son amertume…

Il y a des jours où l’on regrette d’être lucide.