Inégalités environnementales et pollution des sols. Comment améliorer la communication destinée aux populations précarisées ?

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Certaines franges de la population – celles aux revenus les plus modestes – sont davantage exposées aux nuisances environnementales et en subissent par conséquent davantage les effets, notamment sanitaires. Ces inégalités dites écologiques sont fréquentes puisqu’elles concernent tant la distribution des risques environnementaux que l’accès aux biens et services liés à l’environnement. De nombreux aspects environnementaux sont concernés : de la localisation des activités industrielles à risques aux nuisances sonores en passant par la proximité d’espaces verts[[DOZZI J., LENNERT M. et WALLENBORN G., « Inégalités écologiques : analyse spatiale des impacts générés et subis par les ménages belges » Espace, Populations, Sociétés, pp. 127-143, 2008/01
LEJEUNE M., La pauvreté et l’environnement : les inégalités écologiques en Wallonie, 2007]] ou les pollutions intérieurs
Voir par exemple le site de santé et habitat .

Appliquées aux pollutions des sols, les inégalités écologiques supposent que les personnes moins favorisées sont davantage exposées aux pollutions des sols et donc plus concernées par les problèmes notamment sanitaires que celles-ci peuvent potentiellement générer. A ce premier problème vient s’en ajouter un second, lié au fait que les personnes moins favorisées sont moins bien armées pour réagir et se prémunir contre les risques liés à cette pollution. Celles-ci ont en effet souvent une capacité moindre à se mobiliser et se révèlent moins réceptives aux messages de précaution adressés par les acteurs de la santé et les autorités publiques. Les campagnes de communication réalisées de manière indifférenciées selon le type de public, contribueraient d’ailleurs à maintenir les inégalités, voire à les renforcer.

Comment attirer l’attention des publics défavorisés sur les problèmes liés aux pollutions des sols et comment faire pour qu’ils adoptent les recommandations qui ont été définies par les experts de la santé ? Comment les mobiliser ? C’est à ces questions que la Fédératon s’est attelée à travers deux études de cas, l’une concernant le site pollué de Chimeuse en région liégeoise et l’autre dans le bassin industriel de Charleroi. De nombreux acteurs de terrain et des spécialistes de la précarité, des pollutions des sols, de la communication ont été interviewés. De ce travail exploratoire est ressorti une série de pistes qui, nous l’espérons, permettront de communiquer plus facilement et efficacement avec les populations précarisées.

On citera notamment:

➢ S’interroger sur le public visé: avant de définir une stratégie de communication, il convient de définir en quoi le public visé est précarisé. Le qualificatif peut en effet recouvrir des réalités différentes. Il peut s’appliquer à des populations économiquement affaiblies, mais également à d’autres populations. Le critère pécuniaire est-il d’ailleurs le plus pertinent ? Les différences culturelles et le niveau d’éducation ne sont-elles pas prépondérantes ? Ces questions devront être posées au moment où l’on définit la stratégie de communication.

➢ Recourir aux relais actifs sur le terrain social (CPAS…) et médical (maisons médicales…) de proximité. Il est important que ces acteurs soient impliqués dans le travail d’information, le plus en amont possible. Ceux-ci connaissent en général bien les publics visés, sont directement en contact avec eux et ont déjà établi une relation de confiance. Ils sont souvent les plus à même de trouver une porte d’entrée qui permettra de susciter l’intérêt et d’aborder le sujet voulu et pourront initier des projets participatifs sur le long terme. Pour les populations précarisées, vu leurs difficultés économiques et sociales, l’environnement est souvent une préoccupation de second plan. Parmi les relais à mobiliser, on citera également les acteurs de l’éducation et de la petite enfance qui sont d’autant plus importants que les enfants sont particulièrement vulnérables et sensibles aux effets de la pollution.

➢ Avoir un matériel d’information adapté, tant sur le contenu que sur la forme. On évitera ainsi les tableaux de chiffres, les sigles peu usuels comme certaines unités de mesure, le jargon scientifique… . Le rapport texte/illustrations sera soigneusement étudié et la nature du support (vidéo, folder, …) sera évaluée.

➢ Utiliser les canaux de communication en combinaison. Les médias de masse comme la télévision ne sont pas forcément le meilleur moyen de communication. Même si l’on s’adresse, via la télévision locale par exemple, aux groupes sociaux que l’on pense être les plus vulnérables, les évaluations d’écoute, de compréhension ou de mémorisation de certains messages révèlent que le public touché n’est pas nécessairement le public visé[[DECCACHE A. « Peut-on influencer les comportements de santé par une communication publique ? » (1996) Dans CHAUVIN F, BRIXI O. et ROUSSILLE B. Du bon usage de la communication en éducation de la santé Vanves : éditions CFES; pp 49-53]].

➢ Organiser des séances d’informations, des permanences décentralisées, pour être certains de toucher le public concerné. Des lieux de réunion trop éloignés peuvent décourager certains riverains, parfois dépendants de dessertes en transports collectifs. Un lieu connu et familier des riverains situé au c½ur du quartier concerné favorisera aussi la participation.

➢ Evaluer le processus de communication: cette piste peut paraître triviale mais elle est trop souvent délaissée. Cette évaluation aura lieu pendant mais aussi après la dépollution ou la réduction de la pollution. Cette évaluation doit être à la fois quantitative mais aussi qualitative. Ainsi par exemple, une diminution progressive du nombre de participants lors d’une session de réunions n’est pas forcément le signe que les personnes confrontées à une situation problématique en lien avec une pollution sont rassurés. L’évaluation permettra de déterminer si des mesures correctrices ou complémentaires doivent être apportées à la stratégie de communication mise en place.

En dehors du champ de la communication, évaluer l’ampleur des inégalités écologiques dans le domaine des pollutions des sols nous paraît essentiel. On peut légitimement penser qu’en Wallonie, les populations précarisées sont davantage exposées aux phénomènes de pollution des sols, mais aucune étude ne le démontre. Comme préalable, il est nécessaire de déterminer l’étendue de la pollution des sols à l’échelle de la Région. Plusieurs inventaires répertorient bien les sites pollués, mais il s’agit de données principalement basées sur l’évaluation théorique et subjective du risque liée aux activités connues qui se sont déroulées sur les sites en question. Il serait nécessaire que des efforts supplémentaires soient fournis, dans la perspective d’une éventuelle étude de corrélation entre pollutions et niveau socio-économique des populations environnantes, mais aussi et surtout pour résoudre les problèmes de pollution qu’elle permettrait d’identifier.

En attendant que ces données à l’échelle de la Région ne soit disponibles, il serait déjà intéressant de vérifier l’existence d’inégalités écologiques à une plus petite échelle sur la base d’une analyse de cas.
Pour pouvoir réaliser ce type d’études, les données relatives aux pollutions des sols doivent être accessibles au public, conformément à la convention d’Aarhus sur le droit d’accès à l’information en environnement. Cette recommandation appelle donc les autorités et acteurs intervenant dans la gestion des sites pollués à plus d’ouverture envers la population en ce qui concerne l’accessibilité des données dont ils disposent.
Au sujet de la communication, on soulignera encore qu’elle est un élément important, mais qu’elle ne doit pas justifier l’immobilisme ou la lenteur dans d’autres domaines, que ce soit la dépollution lorsqu’il s’agit d’un site à réhabiliter ou la diminution de la pollution si le site en question est toujours en activité. La communication est un élément qui doit trouver sa place parmi d’autres dans les stratégies mises en ½uvre pour remédier aux problèmes rencontrés.

En savoir plus:
Damien Francenne, Anne Thibaut, Inégalités environnementales et pollution des sols. Comment améliorer la communication destinée aux populations précarisées, IEW 2009